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Quelques pages algériennes au livre parisien

par El Yazid Dib

Paris, fin mars. Un salon du livre a eu lieu. Un écriteau en gras servant de fronton à un stand mal cossu, identifiait timidement notre pays. Il y est gravé «Ministère de la Culture Algérie ». Ni l'emblème national, ni le portait du président de la République n'ont été jugés aptes à distinguer l'Algérie. Ni l'un, ni l'autre n'était arboré.

En face, le pavillon des éditeurs tunisiens ou marocains était perceptible à travers la mise en relief respective du drapeau et des photos du roi et de Benali.

Le stand du «ministère de la Culture », peint en un jaune brut, se trouve loin des couleurs nationales. Rien n'indique pour le visiteur qu'il est spatialement en Algérie. Aucun décor matériel, graphique ou caractéristique. Ni même un produit typique et artisanal. Tout était dans le moderne et le new-look. La table en verre, les chaises en bakélite. Chez les Tunisiens, des bancs sont couverts de tapisserie locale où le rouge prédomine grandement. Le marocain, lui, vous reçoit en djellaba tout en laissant entrapercevoir des coins où sont mises furtivement maroquineries minuscules et théières décoratives. Certes, il ne s'agissait pas d'une foire de produits du terroir, mais il est question tout de même de l'exportation de l'image du pays. La symbolique, l'original et l'icône nationale devraient, en toute bonne politique, avoir leur espace de privilège et de priorité. Un one, two, three ou un portrait de l'équipe nationale aurait suffi d'octroyer une photo d'identité. Ce constat a été très capable d'extraire le déambuleur que j'étais pour le plonger dans la cuisine de nos différents salons. Je quittais involontairement, par pensée le salon et Paris pour rattraper le pays et y voir tout et de près.

 Nos salons, à nous ressemblent à tous les autres. Je me suis rappelé quelques éditions de salons du livre d'Alger. La méditation a de tout porté sur le sort du monde de l'édition, de ses arcanes et de ses sous-entendus. Ce n'est pas uniquement une bagatelle de lecteurs studieux et assidus ou de grands bibliophiles. C'est un monde où se disputent l'art et l'intérêt, la gloire et le gain. La culture dans ce sens «salonnique » reste toujours en quête de recherche. D'un salon à un café, la littérature déambule au gré de ses producteurs.

Ainsi un amalgame vient chaque année pour s'instaurer dans l'idée génésiaque présidant à l'organisation de cette exposition commerciale. Semi culturelle. Le public est confondu. Enfants à la recherche de manuels scolaires, avec une croyance ferme qu'il pourrait s'agir d'une kermesse à bas prix, se pressent en compagnie de mères dont le seul souci réside dans l'économie des frais de fournitures scolaires. Ceci est corroboré par la simultanéité chronologique du salon et de la rentrée scolaire. Les autres, rares mais plus avertis et habitués sont préparés à épier les nouveautés dans le rang des best-sellers nationaux ou étrangers. Les statistiques fournies par les organisateurs ne montrent que des chiffres sur le nombre des éditeurs, exposants, leurs nationalités, etc. Il n'existe aucun renseignement sous forme de bilan dressé au titre du salon précédent.

 En fait l'on aimerait être édifié sur le profil du visiteur de ces salons. Visiteur, curieux, badaud, lecteur, accro, revendeur, libraire ? Son niveau, son rang ? Ses goûts, ses préférences ? Sa langue de lecture ? Enfin son intérêt, son amour pour la chose culturelle ?

 Le salon international du livre d'Alger est aussi une circonstance formidable, dans la mesure où il participe à la médiatisation de la production littéraire nationale ou étrangère. A l'instar des salons de Paris ou d'ailleurs. Ce sera l'unique objectif, sinon le principalement secondaire. Il tient à aider les maisons d'éditions dans un travail supplémentaire de marketing qu'elles n'arrivent pas encore à maîtriser sauf par quelques panneaux d'une publicité timide à insérer dans certains quotidiens nationaux. Au bonheur des férus, ces salons se multiplient et s'éditent, un peu partout, à travers le pays. Tous sont enrobés «phraséologiquement» d'une couverture dite internationale. Le mal, ainsi, ne couve pas dans le produit, ni dans l'exposant, beaucoup plus qu'il ne subsiste dans les méninges et la rentabilité des organisateurs. A Sétif, il sera au mois de mai, question de la tenue d'un autre salon du livre. L'ANEP serait en conséquence derrière cette manifestation. Si la forme y sera, il n'en est pas pour autant du fond. Heureusement, qu'il se trouve des Ouaret, fervents défenseurs de l'art et de l'histoire de la cité prêts à dégainer une colère architecturée et justifiée face à un fond sans fonds ni fondement. Ils disaient à ce propos «qu'il est impossible d'imaginer un salon de livres sans auteurs ». C'est vrai quoique qu'en termes d'auteurs, l'interpellation reste debout et vive pour se dire de qui, de l'auteur ou du salon, fait l'autre ? L'on n'a pas idée d'aller chercher ailleurs ce que l'on a sous la main. Un salon, somme toute, n'est pas une pléiade d'auteurs à moitié écrivains. Il est raisonnablement cet espace périodique où la création prend l'instant que dure la manif, tous ses repères.

Si ce n'étaient les rubriques culturelles de quelques rédactions, personne n'en saurait davantage sur tel ou tel créateur. Ainsi tous s'équivaudront. Croyez-vous que pour être édité il vous faudrait du talent ? Le talent devra exister avant la germination du désir envers l'édition.

 Il fut un temps où le temps était au monopole de l'unique société nationale d'édition et de diffusion (SNED) que de rares noms avaient pu émerger des rotatives politiquement grincheuses et parcimonieuses de cet organisme de l'Etat.

 Ainsi sous le fourre-tout de la dénomination de « information » s'assemblaient pêle-mêle, les productions de journaux, d'œuvres littéraires et tout produit de la muse, de l'imagination ou de la narration effective. Le code de l'information, promulgué par la loi n 82-01 du 06 février 1982 (modifiée et complétée par la loi 90-07 du 03 avril 1990), prêchait loin du champ démocratique.         L'information y était définie comme étant l'un « des secteurs de la souveraineté nationale ». Article premier de la précitée. La production, la diffusion et l'importation de « l'information » écrite, photographique, sonore ou visuelle était du ressort exclusif de l'Etat. L'on suppute ici et là que cette année 2010 connaîtra un nouveau texte dont la mouture sera présentée par Mihoubi, le 03 mai prochain, à l'occasion de la Journée mondiale de la presse.

 Avec l'avènement de la démocratie, conditionnée dans son essence par la liberté d'expression, la chose imposait sans ambages l'ouverture du monde de l'édition. L'on ne peut estimer une bonne liberté d'expression sans une quelconque liberté d'édition, de production et de diffusion. Naissaient alors des éditeurs habiles, connaisseurs et rassis à côté d'autres mercantiles, indélicats et grossièrement grossistes. Aucun segment de la récolte phraséologique ne s'en trouvait épargné. La presse s'en prenait, sous ce nouvel élan démocratique, à cœur joie. On y unissait, on continue à le faire entre « presse indépendante » « presse privée » et « presse libre ». Le pouvoir contrôlait certaines lignes disant: à ne pas franchir. Mais les scandales, les frasques, les délations, la honte ont pris un certain temps le haut de la page. Jusqu'au paroxysme de l'inouï, l'on arrive à peine à dénicher les frontières qui séparent la «liberté d'expression », celle de l'homme et la « liberté de presse », celle de la société commerciale éditrice du journal.

 Dans le livre, la bataille est ailleurs.

 Tout a commencé par le refus d'éditeurs nationaux marqués à l'égard du volume insignifiant que faisaient les déclarations en douane de mise à la consommation de livres ou de manuels scientifiques. La bataille était, semble t-il, déloyale. Les droits et taxes douaniers devaient intervenir pour la régulation de ce marché. Un équilibre est trouvé cependant. Dans une autre phase, la grogne portait sur les éléments taxables greffés à la matière première devant servir comme produits bruts à la réalisation matérielle du livre. Le papier, l'encre, la typographie. Mais le front final reste encore ce créneau, jusqu'ici dévolu à un organisme étatique: le livre scolaire. Point d'achoppement, le dernier rempart d'un monopole difficile à se maintenir devra s'écrouler par-devant la concupiscence des imprimeries et la soif de se faire le distributeur des ouvrages destinés aux millions d'élèves et qui se comptent également en millions d'exemplaires. La partie est belle. Juteuse.

 Il n'y a pas plus nostalgique que de revisiter les années passées où la foire du livre, au plan local ou régional constituait un évènement. En ces temps là, la révolution culturelle ne manquait que d'une culture révolutionnaire. Sinon, le soutien accordé aux prix du livre importé, sur budget de l'Etat ne rimait pas avec commercialité, rentabilité ou performance des entreprises. L'investissement était projeté en termes de semences fructueuses dans les méninges de ceux qui n'étaient qu'un ensemble de squelettes de l'encadrement actuel. Avec toutefois l'effet pervers et futurement dramatique que ces foires avaient engendré par l'importation massive d'ouvrages moyen-orientaux d'obédience théologique et qui auraient fait fatalement le lit intellectuel de l'extrémisme religieux et son corollaire djihadiste: le terrorisme.

Le SILA, devrait à l'aide de ses sponsors (peu nombreux et hors champ culturel) créer l'envie de lire. Il devra entre autres ; de pair avec ses « clients » que sont les éditeurs, inciter à la consommation bibliographique. Il n'est, cependant, en aucun cas responsable de la léthargie dans laquelle se trouve la situation atrophiée du taux négligeable de lecture actuelle. Le prix est certes déterminant dans la relance de la lecture, mais il ne peut être l'unique facteur de la régression lectorale. Que faut-il attendre pour la politique du livre, que si dans un pays le prix d'un livre de poche dépasse celui de la poule de chair ? Une eau de source mise en bouteille vaut plus chère qu'un litre de gasoil, prospecté, trouvé, extrait, transporté, traité, raffiné, taxé et distribué à la pompe ? Le constat est amer. L'école ne crée plus l'envie de lire et de bouquiner. Nos universités ne sont que des débats de restauration, de transport et d'hébergement. Enfin cette reculade face à l'ardeur de dévorer les pages, de connaître les chefs-d'œuvre universels, de découvrir les nouveaux talents, les poètes en herbe, les néo-nouvellistes, suscite à bien des égards, beaucoup d'inquiétude.

 Le problème, en somme, n'est donc pas un cas d'édition. Ni encore de production. Il s'agit d'une absence manifeste d'acheteurs. Contrairement pour le livre scolaire, point de fixation des imprimeries privées, les « acheteurs » sont répertoriés sur les bancs des écoles et bien obligés d'honorer la commande, sinon le ministère de l'Education ou de la Solidarité nationale le fera à leur place.

 Il est vrai que la fonction de la lecture n'a pas de connotation commerciale. Ce n'est pas un créneau de profit. Pas plus qu'un plaisir. Un passe-temps. A la limite une distraction cérébrale. Pourquoi l'on attribue un code de registre de commerce et on le pratique à une vidéothèque (location de k7 vidéo), à un cybercafé (location sur place d'un micro-ordinateur connecté) et non pas une bibliothèque où l'on aura, à loisir la location de livre s? (Le livre physique, palpable et en papier restera toujours une chose en soi et à soi) La réflexion sur la faisabilité est de mise, seulement après avoir tenu un plan d'incitation à la lecture. Madame la ministre peut en un spot publicitaire, lancer une campagne de lecture. Un jeu et un concours, feront une attraction livresque formidable. Je ressuscitais par la même pensée et me retrouvais toujours là ; à Paris, dans la 30e édition du salon du livre, devant une vitrine sans vitres à contempler aux lieux et places de livres, des pages algériennes. L'ENAG, m'avait-on dit, aurait été responsabilisée pour chapeauter cette représentation. Pour une affaire de liquidités, on a pu la secourir par une agence célèbrement méconnue. AARC (Agence algérienne pour le rayonnement culturel). L'on aurait bien vu ce rayonnement se répandre dans les allées du salon, jeter ses lueurs sur le lectorat hétéroclite et encore susciter l'avant-goût à une virée au pays, soit-elle par virtualité. Ce rayonnement, hélas brillait à mourir par défaut d'un bon éclairage.

A tous mes égarements, seule la gentillesse d'une personne « responsable », mais irresponsable en fait quant à l'organisation, est venue quelque peu les tempérer. Officiellement, il y aurait plus de 400 titres, 4.000 ouvrages, une quarantaine de maisons d'édition, une cinquantaine d'auteurs et des séances de dédicace multiples, chaque jour. Il y avait, du moins ce que j'ai vu, pas plus d'une centaine de titres. Une dizaine d'éditeurs nationaux.

 La matière exposée était en sa majorité périmée. Certains ouvrages qui ont plus de 10 années garnissent pâlement les étagères à moitié vides ! Le mercredi 31 mars, dernière journée du salon, le général Khaled Nezzar était programmé pour une vente dédicace de ses œuvres à 14 h. A 15 h30, il n'y était pas. Le salon se vidait peu à peu et à moi de reprendre le RER pour regagner la banlieue parisienne. Ainsi à mon retour au bercail j'ai pu dire et l'écrire, non sans fierté et avec contrariété que j'ai pu quand bien même compulsé quelques pages algériennes au livre parisien. Ceci dit, en attente de compulser ou d'être compulsé lors du prochain salon de Sétif.