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La TNT : Norme périmée et programmes virtuels «Le profit de l'un est le dommage de l'autre». (Montaigne)

par Abdou B.

La presse est unanime ! La dame est saluée comme la découverte nationale du siècle, la panacée irremplaçable, la mère de toutes les vertus, celle qui va guérir tous les maux, retards et déficits énormes que connaît l'audioviduel algérien. Sous couvert d'un jargon, supposé hautement technique pour endormir le gogo qui n'y comprend rien, on aligne des normes où se conjuguent la HD, la VHF, l'UHF, des sigles d'organisations internationales dont les rôles ne sont pas explicités pour le consommateur lambda et plus encore, et on y a joute pour mieux assaisonner la cuisine des mots magiques tels que multiplex, IPTV, Triplay comme dans les pays qui ont inventé la télévision, le satellite, les sociétés de programmes, le cahier des charges et les instruments de régulation des médias lourds. L'Algérie se met à l'heure de la télévision numérique terrestre (TNT) !

 Des communiqués sont envoyés à la presse. Des rencontres entre spécialistes ou supposés l'être sont organisés, pour justifier des importations de matériels, de relais terrestres pour faire disparaître la réception analogique de programmes de télévision qui n'ont aucune industrie digne de ce nom en Algérie. Mais c'est quoi cette magie dite TNT qui fascine certains cercles où il n'est question que de télévision alors que la radio algérienne offre de loin plusieurs canaux qui arrosent pratiquement toutes les régions du pays ? La radio semble ne pas être concernée par le numérique comme le sont l'internet, la télévision mobile et d'autres services présents et futurs. La lecture de revues spécialisées, le parcours de pays qui ont inventé la télévision, le satellite, la TNT apprendraient sûrement beaucoup aux décideurs à qui on fait valider des normes dépassées, au prix fort. C'est le cas de la MPEG-1 obsolète dans les pays nordiques, délaissées progressivement en Europe au profit de la MPEG-4. Mais qui a donc choisi une norme dépassée pour équiper l'Algérie de matériels déja» vieux» dans les pays développés et même en Tunisie, qui a opté pour la génération MPEG-4 après avoir invité depuis 2001 la compression MPEG-1 ? L'ONT (organisme de télédiffusion tunisien) a donc choisi la norme du futur après avoir opté pour l'ancien dans le passé.

 La potion magique (TNT) est tout simplement une technologie de compression d'un nombre de signaux qui basculent dans le numérique. Autrement dit là où le «tuyau» analogique faisait passer un nombre limite de signaux, le numérique déroule six à dix fois plus de programmes. Le MPEG-2 (l'ancien) acceptait six programmes, la norme MPEG-4 fait diffuser, par compression le double sinon plus. La TNT a débuté a titre expérimental en France le 31 mars 2005 à 19 heures. Avec 115 émetteurs ré-émetteurs au lancement, il est prévu dans ce pays un nombre beaucoup plus élevé pour arriver en 2011 à une couverture de 95 % de la population. Mais qui conçoit et décide d'une norme technique ? Ce ne sont ni un importateur d'équipements, ni le fabricant ou le vendeur, dans un marché juteux qui concerne l'aménagement du territoire, l'environnement (emplacement des émetteurs), les industriels (qui fabriquent le récepteur, l'adapateur), l'entretien et la maintenance, la ristourne et le contrôle de qualité...

 En France, c'est le conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendance qui commande les études, planifie avec ses experts le calendrier des installations et les zones pilotes. Et ce, pour faire faire le moins de dépenses possibles aux ménages. Le législateur a son mot à dire puisque l'article 19 de la loi du 5 mars 2007 stipule (en France) qu'à partir du 1er décembre 2008" les téléviseurs mis en vente devront intégrer un adaptateur permettant la réception des programmes en haute défintion s'ils veulent se voir décerner le label «prêt pour la haute définition». En revanche, pour les téléviseurs anciens et pour les récepteurs récents mais antérieurs au 1er décembre 2008, et même s'ils sont revêtus de la mention «HD ready ou «Full HD» le consommateur devra faire l'acquisition d'un adaptateur». Ainsi donc, le citoyen est informé après le travail terminé au Parlement. Que pensent les députés d'Algérie de la TNT et sont-ils au courant de ce qui va se passer dans l'industrie de téléviseur, pour les consommateurs et pour d'éventuels compensations pour les citoyens incapables d'acheter un téléviseur de dernière génération apte pour la TNT ?

 Mais, au-delà des aspect législatifs, financiers, industriels (téléviseurs fabriqués ici, simplement montés ou importés prêt à l'usage), il y a l'essentiel, qui justifie dans les grands pays modernes la compression numérique et la norme MPEG-4, celle de l'avenir. L'essentiel étant l'offre futur proposée par des sociétés de programmes privées/publiques, caractérisée par les soins pris pour satisfaire des demandes diversifiées selon le niveau socio-culturel, l'âge et le revenu. Ces demandes sont aujourd'hui satisfaites par la parabole généralisée jusque dans les bidonvilles les plus misérables, dans toutes les langues, tous statuts juridiques confondus. En dehors des bouquets payants, les Algériens regardent des centaines de chaines gratuites, publiques, privées de tous les pays du monde. Une offre à l'échelle d'un pays est réalisée, en termes de milliers d'heures de programmes, dans tous les genres (films, documentaires, série, feuilletons, informations, sports, musiques, culture, théâtre, danse, émissions-débats, nature, histoire... etc) par l'importation et par des industries nationales du film et de l'audiovisuel et par divers prestataires (décors, costumes effets spéciaux, musique, dialoguistes, scénaristes, chorégraphes, maquilleurs, techniciens...). Au plan juridique, artistique et financier, quelle est l'offre actuelle en Algérie ?

 On se gargarise avec «cinq chaines» en service et d'autres plus nombreuses à venir. Ce qui fera de l'Algérie une puissance dans le domaine, plus forte que les groupes France Télévision, la RAI ou la TVE. Le pays s'apprête à devenir un géant audiovisuel alors que le Parlement n'en a jamais discuté et que personne ne sait par quelles entreprises vont être alimentées en programmes les chaines en question disposant de la TNT avec une norme périmée, remplacée partout ailleurs. Retour au réel !

 Le pays a une seule TV ayant le statut EPIC, issue de la restructuration en 1986 de la RTA. Cette société de programme qui n'est pas sur satallite (une des rares au monde dans ce cas) décline des programmes publiés nulle part. Ces programmes clônes utilisent les ressources humaines, les matériels, le budget, les véhicules, les archives, les locaux de la seule ENTV. Une chaine qui crée d'autres «chaines» en dehors du législatif est effectivement une trouvaille inédite à ce jour sur la planète, comme celle qui définit l'ENTV comme «institution de l'Etat» ! On décide pour la TNT avec une norme abandonnée par les grands pays, sans industrie de programmes et sans un vrai débat national sur l'audiovisuel avec les professionnels et les industriels concernés. C'est comme un individu qui a 2 pièces, cuisine, salle de bain qui achète, cher, des meubles bling bling mais déja ringards, pour une villa de 15 pièces qu'il n'a pas. Qui gagne ? Le vendeur de meubles et les éventuels intermédiaires. Boum ! Revoilà la TNT !

 Celle-ci n'est qu'une technologie accessible contre paiement. Elle ne fait pas un audiovisuel national performant à l'échelle planétaire. Pour s'en rendre compte, il n'y a qu'à passer en revue les discours du «conclave des pleureuses» après le match du Caire qui a vu la domination des chaines égyptiennes. Ces dernières ne sont destinées accessoirement aux Algériens qu'après l'Egypte et le reste du monde. Et il faut le redire sans cesse, avec une seule chaine (qui n'est pas sur satellite) qui décline les mêmes vieilleries dans des programmes sans pertinence médiatique, avec ou sans la TNT, les retards de l'Algérie chez elle et dans le ciel sont profonds, considérables.