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Project Syndicate pour Le Quotidien d'Oran: Pas de bouée de sauvetage pour les détenteurs d'obligations !

par Lucian Bebchuk*

Un an après que le gouvernement américain ait laissé couler la banque d'investissement Lehman Brothers mais soit intervenu peu après en faveur d'AIG, et après que beaucoup d'autres gouvernements partout dans le monde aient sauvé un grand nombre d'autres banques, une question essentielle reste sans réponse : quand et comment les autorités doivent-elles aider les institutions financières ?

 On s'attend maintenant à ce que l'Etat vienne au secours de celles jugées «trop grande pour couler». Mais jusqu'à quel point doit-il intervenir ? Contrairement à ce qui s'est passé lors de la récente vague de plans de sauvetage, les prochains ne devraient concerner que les créanciers des institutions secourues et le filet de sécurité de l'Etat ne devrait plus s'étendre aux détenteurs d'obligations de ces institutions.

 Dans le passé, les détenteurs d'obligations bénéficiaient fréquemment de l'injection d'argent par l'Etat, les plans de sauvetage protégeant tous ceux qui avaient contribué au capital - à l'exception des actionnaires, censés subir des pertes ou parfois totalement ignorés.

 Ainsi les détenteurs d'obligation d'AIG, de la Bank of America, du Citigroup et de Fannie Mae ont été totalement couverts grâce à l'intervention de l'Etat en faveur de ces institutions, alors que leurs actionnaires ont subi des pertes importantes. Cela a été la même chose au Royaume-Uni, en Europe et ailleurs. Les détenteurs d'obligations ont été épargnés parce que l'Etat a souvent décidé d'injecter des liquidités en échange d'actions ordinaires ou privilégiées subordonnées aux créances des détenteurs d'obligations ou encore d'améliorer leur bilan en rachetant ou en garantissant la valeur de leurs actifs.

 Deux éléments poussent un Etat à sauver une institution financière et à protéger ses créanciers. D'une part les déposants et les créanciers étant libres de retirer leur capital à tout moment, le parapluie de l'Etat peut s'avérer nécessaire pour éviter une panique bancaire susceptible de s'étendre aux autres institutions. D'autre part, la majorité des petits créanciers sont mal adaptés au système car ils n'ont pas la compétence voulue pour suivre la situation des institutions financières avec lesquelles ils traitent. Aussi, l'Etat aurait-il peut-être intérêt à garantir implicitement ou explicitement leurs créances.

 Si ces considérations justifient de protéger à 100% les déposants et les autres créanciers d'une institution financière secourue par l'Etat, elles ne justifient pas l'extension de cette protection aux détenteurs d'obligations. Ces derniers, contrairement aux déposants, ne peuvent retirer leur capital quand bon leur semble. Ils reçoivent la somme qui leur est due à une date fixée contactuellement, parfois éloignée de plusieurs années. Ils ne peuvent donc pas se précipiter pour retirer leur mise quand une firme financière semble en difficulté et déclencher un rush identique auprès d'autres firmes.

 Par ailleurs, lorsqu'ils confient leur capital à une firme financière, ils espèrent généralement que les termes du contrat reflètent les risques qu'ils prennent. Ce dédommagement pourrait être un facteur de discipline pour les marchés : quand les sociétés financières prennent davantage de risques, elles s'attendent à devoir verser des taux d'intérêt plus élevés ou à signer des conditions contractuelles plus contraignantes en ce qui les concerne.

 Mais ce facteur de discipline des marchés perd toute efficacité si le parapluie protecteur de l'Etat s'étend aux détenteurs d'obligations. S'ils savent que l'Etat va les protéger, ils n'insisteront plus pour bénéficier de conditions contractuelles avantageuses à titre de compensation des risques. Le problème du risque subjectif (selon lequel les acteurs prennent davantage de risques s'ils pensent ne pas supporter totalement la conséquence de leurs actes) est cité généralement comme une raison pour ne pas protéger les actionnaires des sociétés secourues, mais cela s'applique aussi aux détenteurs d'obligations.

 Quand une grosse société financière est en difficulté au point de nécessiter l'intervention de l'Etat, ce dernier doit être prêt à offrir un filet de sécurité aux déposants et aux autres créanciers, mais pas aux détenteurs d'obligations. Notamment quand les capitaux propres d'une firme sont à la baisse, l'Etat ne devrait pas injecter des fonds (directement ou pas) dans le but de mieux protéger les détenteurs d'obligations. Il faudrait plutôt convertir une partie des obligations en capitaux propres. Et toute injection de fonds par l'Etat pour constituer un nouveau capital ne devrait se faire qu'en échange de titres ayant préséance sur les obligations existantes.

 Au moment de décider des détails d'un plan de sauvetage, l'Etat devrait non seulement refuser de protéger les détenteurs d'obligations, mais le faire savoir au préalable. Quelques-uns des avantages de la stratégie qui les induit à demander des conditions avantageuses aux firmes prenant le plus de risque seront perdus s'ils pensent que l'Etat va venir à leur secours dans le cadre d'un plan de sauvetage.

 Autrement dit, l'Etat devrait concevoir sa politique d'aide aux institutions financières à froid, avant d'être dans l'obligation d'agir, plutôt que d'en décider dans l'urgence. La meilleure stratégie consiste à exclure catégoriquement les détenteurs d'obligations des bénéficiaires potentiels des plans de sauvetage. Cela diminuerait la fréquence de ces plans et réduirait leur coût qui est alourdi par ces frais inutiles.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz





*Professeur de droit, d'économie et de finance et directeur du programme de gouvernance d'entreprise à la faculté de droit de Harvard