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Y a-t-il des pauvres en Algérie ?

par Mohamed Chabane*

La pauvreté en Algérie est considérée comme une insuffisance qualitative et quantitative de la consommation alimentaire ou un défaut d'accès aux besoins sociaux élémentaires (santé, éducation...).

Connaître le nombre exact de pauvres aujourd'hui en Algérie, relève de l'impossible. La raison est assez simple. La grande pauvreté de l'information statistique accessible à ce propos ne permet pas d'établir un profil exact des pauvres algériens et de leur nombre réel. La dernière étude qui a permis de développer des analyses objectives à ce sujet est celle de la banque mondiale de 1995. L'analyse des données de cette enquête révèle une concentration de la pauvreté dans le milieu rural. La proportion élevée de pauvres dans le milieu rural s'explique essentiellement par la faible diversification des sources de revenus et par les contraintes qui pèsent sur l'agriculture et l'élevage, qui sont les deux principales sources d'emploi rural. L'enquête de la banque mondiale a évaluée le nombre de pauvres en Algérie à cette époque, à 6 360 000 personnes, soit 22,6 % de la population du pays. La proportion des plus pauvres est passée de 10 à 20 % de la population entre 1988 et 1995. En 1988 comme en 1995, les populations les plus pauvres sont en majorité rurales avec respectivement, 72 % et 68 %.

 L'étude s'est basée sur trois seuils de pauvreté : d'abord, un seuil de pauvreté extrême, estimé comme la somme d'argent nécessaire pour satisfaire les besoins alimentaires minimaux, équivalents à 2100 calories par jour, soit pour 1995, 10 943 DA par an et par personne, ensuite, un seuil inférieur, tenant compte des dépenses non alimentaires et estimé en 1995, à 14 825 DA par an et par personne, et enfin, un seuil de pauvreté supérieur, équivalent à 18 191 DA annuel par personne. Une autre étude (enquête sur le niveau de vie et la mesure de la pauvreté accomplie par le Centre national d'études et d'analyses pour la population et le développement (CENEAP) divulgue une diminution de la proportion des pauvres en Algérie.

 En effet, l'accélération de la croissance économique en Algérie depuis les années 2000 a contribué fortement à développer des signes favorables pour les principaux équilibres macro-économiques et financiers du pays. Elle a contribué également à la réduction des taux de chômage et par conséquence à celui de la pauvreté. Néanmoins, et malgré les politiques menées par l'Etat et les efforts considérables consacrés afin d'éradiquer ce dernier, il demeure un phénomène d'actualité qui touche les classes les plus diminuées de la société.

 Selon les résultats de cette enquête du centre national d'études et d'analyses pour la population et le développement (CENEAP), la prévalence de la pauvreté est de 11,1% de ménages pauvres dont 8% de ménages urbains et 15,2% pour le milieu rural. Cette enquête a révélé également que le seuil de pauvreté général (SPN) en 2005 a atteint le seuil de 5,7%, par rapport à 12,1% en 2000 et 8,1% en 1988.

 Cette étude a permis de mettre en évidence l'existence de 177 communes en situation critique, abritant une population de 1 569 637 personnes, pour lesquelles tous les indicateurs signalent une précarité avancée. Un deuxième ensemble de 230 communes qui jouissent d'une situation moyenne et près de 75% des communes, soit 1 131 communes connaissent une situation favorable. Cette enquête a révélé que le Nord concentre le plus grand nombre de communes défavorisées, soit 84 communes suivi par les Hauts Plateaux avec 80 communes.

 Aujourd'hui, aucune étude fiable ne peut déterminer les seuils exacts de la pauvreté dans le pays. Néanmoins, quelques éléments et un petit calcul, nous permettent de constater que le phénomène est réel et d'actualité en Algérie.

 Prenant l'exemple d'une petite famille constituée de deux parents et deux enfants. Sachant que les dépenses alimentaires représentent près de 60% du budget global des ménages dont un peu plus d'un quart pour les céréales, 14% pour le lait et ses dérivés et 13,5% aux légumes secs, 11,5% pour les fruits et les légumes frais (d'après les estimations de l'enquête du CENEAP). Calculons les frais mensuels de leurs alimentations de base : 60 baguettes de pain, 60 sachets de lait, un bidon d'huile alimentaire, 3 kg de sucre, 5 kg de pattes alimentaires, 2 kg de riz, 1 kg de café, 1 plateau d'œufs et l'équivalent de 4 000 DA de légumes frais et des légumes secs par mois. Avec ce simple calcul, nous constatons que cette petite famille (relativement à la taille moyenne de la famille en Algérie), consomme l'équivalent de 8 000 DA de produits alimentaires de base, sans protéines animales (viandes rouge ou blanches), sans fruits et sans produits laitiers (fromages et yoghourts). On incluant ces produits, la somme s'élève à plus de 12 000 DA par mois. Sans la prise en considération des charges mensuels (loyer, électricité, ...) ou des frais occasionnels (rentrée scolaire, frais de santé, vêtements de l'aïd, ...), des dépenses de distraction,...etc. Cette famille n'est-elle pas considérée comme une famille pauvre ? Elle dépense la somme de 12 000 DA pour son alimentation de base et elle ne pourrait pas se nourrir normalement à raison de 2 700 calories par jour (apports en énergie quotidiennement nécessaire à un être humain normal selon les normes de l'OMS) sans dépenser plus.

 Cette somme représente en parallèle, le SNMG Algérien (Salaire National Minimum Garanti). Combien de personnes vivent en Algérie avec le SNMG ? Combien seraient-ils à ne même pas toucher les 12 000 DA ? Certainement, ils sont des centaines de milliers à travers le pays. Des titulaires des contrats précaires, des vacataires, des jeunes en pré-emploi, des retraités, des licenciés,... Nous ne pouvons donc pas les considérer comme des pauvres ?

 Par ailleurs, la forte corrélation établie entre le niveau du chômage et celui de la pauvreté, nous laisse prétendre qu'il y a des pauvres au-delà de ceux qui perçoivent un salaire fixe. Avec 1 245 000 personnes sans emploi, soit 12% de la population active, et en absence d'une indemnisation du chômage conséquente pour faire face aux coûts de la vie, il y a au moins, 1,2 millions de pauvres en Algérie. Cette analyse permet de déduire que le phénomène de pauvreté est réel et ne peut être une simple illusion. Il ne pourrait malheureusement pas être une invention des médias.



*Laboratoire d'Economie et de Sciences Sociales de Rennes