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Ecrire, une histoire de temps

par Ahmed Saïfi Benziane

A chaque fois que l'Etat se retrouve coincé quelque part, il se souvient qu'en dessous, il y a un pays peuplé par autre chose que des généraux et des ministres, une carte de géographie qui ne sert pas qu'à positionner les puits de pétrole dans l'espace, des enfants qui se battent pour un avenir multicolore sans tablier, des intellectuels qui savent écrire, lire et réfléchir.

C'est le cas du Ministre des Moudjahidine qui se disaient anciens et qui ont fini par comprendre que la fin d'une guerre n'est que le début d'une autre guerre contre l'analphabétisme, la misère, le sous-développement. Une vraie guerre celle-là, avec des morts aussi, des blessés, des sans-abris et des harraga. Qui ont fini par comprendre que s'ils avaient lutté pour que les intellectuels puissent dire la vérité comme ils en auraient fait le serment, sans en subir les conséquences, l'Histoire aurait été écrite depuis longtemps déjà et que nous serions passés aux choses sérieuses telles que l'analyse de cette Histoire et la séparation du bon grain de l'ivraie. Mais comme la confusion arrangeait un peu tout le monde là-haut et que les générations post-indépendance ne disposaient que de racontars avec pour toile de fonds un certain article 120, le mutisme a fini par céder la place à tous les mensonges, à de faux faits d'armes et à l'écrasement de véritables combattants qui ont refusé cette fameuse fiche communale comme justification de leur engagement envers Dieu d'abord et une terre ensuite. L'Histoire a subi le sort des confiscations de la parole et de l'écrit. Le texte pouvait attendre que des ventres plats se remplissent d'air à faire éclater les boutons des uniformes. « Tu me colles une décoration je t'en colle une, sur un champ de bataille imaginaire ». « Tu prends le micro pour divaguer, je le prends pour t'appuyer ». De fil en aiguille tout le monde s'est écarté des repères qui auraient pu fonder la société et ce qui devait être une révolution n'a pu être qu'une guerre contre l'occupation coloniale. Pourquoi alors cet empressement à faire accélérer l'écriture de l'Histoire maintenant ? Maintenant que la révision constitutionnelle a introduit cet acte entre les lignes d'une présidence à vie, juste pour meubler un vide rassurant. Maintenant qu'Outre-mer des historiens qui se sont spécialisé dans la guerre d'Algérie ont dit ce qu'ils avaient à dire selon leur degré de maturité, selon les angles qui les guident, remplissant les bibliothèques pour qui veut lire les lignes d'un passé. De ce côté-ci on a continué à s'offusquer, à démentir, à jouer les vierges puritaines, à tenir un langage intraduisible par l'écrit, à crier au complot et à cette main étrangère brandie comme un spectre pendant que les affaires succédaient aux affaires. Pendant que l'argent était utilisé comme une muselière et que les crédits non remboursables faisaient détourner les regards sur un passé qui mérite que l'on s'explique, d'autres recueillaient des témoignages, fouillaient des archives et éditaient des ouvrage qui font référence. Un passé qui mérite que l'on dise ce pourquoi des clans, et leurs guerres dans la guerre. Qui mérite que l'on sache pourquoi autant de morts et autant de veuves et d'orphelins. Qui mérite que l'on revendique une Algérie réellement plurielle puisqu'elle l'a été avant la guerre et fermée par soucis d'unicité de pensée après, si bien que les seuls penseurs sur lesquels pouvaient reposer un projet social se sont tu ou ont pris le chemin de l'exil. Maintenant que le vide a réussi à exclure la contestation, en la logeant dans la case de la réaction, en la livrant à la vindicte populaire, en la taxant de « hizb frança » on veut écrire l'Histoire. He bien ! écrivez-là puisque l'envie vous en prend. Ecrivez-la à votre manière avec vos peu de mots blottis dans un dictionnaire de fortune qui vous a permis de tenir plus de quarante ans au pouvoir. On verra bien comment vous écrivez et de ce côté-ci de l'exclusion on va bien rire. Ce qu'il faut savoir c'est que les pleurs ne servent plus à rien sauf à remplir des encriers renversés au passage par des bottes. Et si devant les larmes de nos responsables anciens et nouveaux qui couleraient y compris pendant des heures, on pouvait se remémorer Sidna Youcef jeté dans un puits par ses frères qui l'ont pleuré pendant des jours, l'heure n'est plus à un registre de commerce périmé. L'heure est à la manière de s'en sortir devant les face-à-face des forces de l'ordre contre des manifestants du même âge. Elle est au compte-rendu envers une génération qui n'a pas touché aux dividendes de l'indépendance et à laquelle on continue de raconter des histoires à dormir assis. Assis sur la braise du chômage et de l'incertitude de son avenir pendant que l'argent qui rentre par les pipe-lines coulent dans les mêmes poches depuis toujours. De cela aussi l'Etat devrait se souvenir de temps en temps lorsqu'il lui arrive de regarder en bas. L'Histoire s'écrira un jour, lorsque ceux qui se croient éternels disparaitront lorsque le bon grain finira par être plus fort que l'ivraie.