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La guerre des mots

par Bouchikhi Noureddine

Le génocide du peuple palestinien qui se déroule sous les yeux du monde entier sur une superficie microscopique, outre le fait qu'il soit la scène où tout l'arsenal meurtrier possible est étalé, bombes de fort tonnage transperçantes, à fragmentation, phosphoriques, missiles air-sol, artillerie lourde, drones tueurs, n'est hélas qu'une des multiples facettes de l'agression perpétrée en Palestine, car derrière et en toile de fond, c'est un autre champ de bataille où se trame une autre guerre menée sans répit et à grande échelle, sournoise mais beaucoup plus destructrice car elle se poursuit depuis des décennies et prend pour cible l'humanité entière; une guerre non conventionnelle dont les effets dévastateurs persistent des années et parfois le temps de générations entières et dont les victimes ne sont pas que les Palestiniens mais aussi l'opinion mondiale, des politiciens, des journalistes ou de simples citoyens qui peuvent s'avérer être même des sympathisants de la cause palestinienne; il s'agit bien de la guerre des mots, des sens, des concepts et des expressions qui font malheureusement beaucoup plus de mal que les balles; elle fait le lit à l'acquiescement conscient ou inconscient à la version de l'agresseur et ses alliés et justifie de fait les atrocités et la sauvagerie commises.

Cette autre guerre, invisible pour beaucoup, n'a pourtant jamais été aussi évidente et aussi palpable que maintenant à Ghaza et pour illustrer cet état de fait, nous explorons ce lexique funeste et pernicieux qui est aujourd'hui la référence utilisée par les médias belliqueux, les politiciens véreux, les organismes régionaux acquis aux thèses sionistes et leurs complices, mais pas que, car aussi malheureusement ses termes sont d'usage par l'opinion arabe et musulmane formatée à son insu à coup d'insistance, de répétition et d'acharnement continu jusqu'à rendre ces vocables, routiniers, acceptables et admissibles sans se rendre compte, tel un poison distillé à petites doses jusqu'à atteindre son effet létal.

Et voici quelques exemples des termes les plus utilisés choisis délibérément afin de façonner des esprits à la rhétorique sioniste.

La guerre ou le conflit israélo-palestinien

Ce terme de «guerre ou conflit» impliquerait dans la normalité une confrontation entre deux belligérants, deux armées régulières, équipées sensiblement avec des armes équivalentes comme c'est le cas dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine, la guerre entre les factions soudanaises, la guerre dans les années 80 entre l'Irak et l'Iran, la Deuxième Guerre mondiale où des armées de plusieurs pays se confrontèrent.

Mais dans le cas de la Palestine et plus précisément à Ghaza, le terme de «guerre ou conflit» est utilisé de façon sournoise et perfide; il s'agit ni plus ni moins que d'une manipulation manifeste de l'opinion internationale pour justifier la barbarie sioniste, car il n'y a aucune commune mesure de comparaison entre l'armée de l'entité israélienne et la résistance palestinienne pour qualifier ce qui se passe de «guerre ou conflit»; en effet, l'une comptabilise des centaines de milliers de soldats réguliers, réservistes et mercenaires surentraînés, suréquipés et parfaitement encadrés par les puissances mondiales, dotés d'un arsenal fait d'avions de chasse, de bombardiers, d'hélicoptères, de drones, de chars, de canons, de bombes intelligentes, de missiles et même de l'arme nucléaire et assistée par ses alliés occidentaux et arabes de porte-avions, de satellites de surveillance, de munitions qui coulent à flot, d'un pont de ravitaillement aérien, maritime et terrestre pour en assurer la disponibilité en carburant, en denrées alimentaires et même d'espions infiltrés sous couvert d'aide humanitaire profitant de la situation catastrophique que vivent les Ghazaouis tandis qu'en face, ce ne sont que quelques milliers de résistants volontaires sommairement équipés de fusils et de lances roquettes bricolées, encerclés de tout bord par les ennemis de toujours et les amis prétendus d'autrefois, manquant de nourriture, de soins, de munitions, ou d'armes pouvant rivaliser avec celles sophistiquées de l'ennemi dans un environnement hostile où ils ne peuvent compter sur personne comme soutien.

Le déséquilibre est tellement flagrant, criant, qu'il répond parfaitement à la définition du «massacre» et non d'une «guerre».

La guerre Israël-Hamas

Affirmer qu'il s'agit d'une guerre qui oppose Israël au Hamas est une autre tromperie pour justifier l'injustifiable et sonner ainsi dans l'inconscient du lecteur ou bien du téléspectateur ou le follower des réseaux sociaux qu'«Israël» mène une guerre qui vise les combattants du Hamas uniquement comme s'il s'agissait d'extraterrestres qui se sont trouvés là par hasard, sans attache avec leur terre et leur peuple ! Alors que les chiffres de Palestiniens assassinés, les images, les témoignages contredisent tous cette supercherie puisque c'est le peuple palestinien en entier qui est pris pour cible sans aucune distinction et lorsque l'énormité des faits dépasse l'entendement et ne peut être voilée ou contestée car bien documentée souvent par les soldats ou médias propres des sionistes; les dirigeants criminels se réfugient derrière des déclarations d'erreurs commises et de commissions d'enquête fictives sans lendemain.

Les terroristes du Hamas ou les islamistes du Hamas

Le terme miracle de «terroriste», une étiquette qu'on colle à tout bout de champ pour jeter le discrédit sur son adversaire et lui ôter tout droit de se défendre ou défendre sa cause aussi juste soit-elle exactement comme ce fut le cas pour les moudjahidine durant la guerre de libération, ne dit-on pas que «lorsque on veut tuer son chien on l'accuse de rage» ! «Le Hamas est l'émanation de la volonté populaire acquise d'abord par la légitimité des urnes et ensuite par le droit inaliénable et reconnu que leur confèrent toutes les législations universelles, celui de se défendre contre l'occupant, l'agresseur, le spoliateur; le Hamas qualifié injustement de terroriste ne s'est jamais attaqué à un pays, ou un soldat en dehors de ses frontières, il n'a commis aucun attentat depuis plus d'une décennie et ceux pour lesquels il a été tenu pour responsable étaient en réponse aux actes répondant à la définition de «terrorisme d'Etat», assassinats et exécutions sommaires, destruction de maisons, confiscation de terre et de biens commis dans l'impunité totale par l'occupant sioniste et sous la protection juridique des détenteurs du veto; l'histoire se répète ainsi à travers ce résistant qui, durant la guerre d'Algérie, répondait de manière cinglante à ses tortionnaires qui lui reprochaient le recours aux explosifs : «Donnez-nous vos avions, on vous donnera nos couffins» ! Une façon simple pour dire que l'opprimé qui n'a aucun choix se défend avec les moyens de bord; une équation pourtant simple à comprendre mais qu'on voudrait dénier aux Palestiniens.

Mais depuis la dernière décennie, c'est un autre terme fourre-tout qui a été introduit dans le lexique par des intellectuels racistes et xénophobes, c'est celui d'«islamiste», un vocable pour cacher une islamophobie rampante et qu'il suffit juste de le prononcer pour jeter l'opprobre sur l'opposant; nul ne conteste qu'il existe des extrémistes et fanatiques musulmans comme nul ne peut contester l'existence d'extrémistes dans les autres religions chrétienne, juive, bouddhiste, hindouiste, mais seuls les musulmans ont eu droit à un néologisme stigmatisant puisqu'il n'en existe pas pour désigner par exemple les extrémistes juifs. Cela fait aussi partie de la guerre menée contre les musulmans à tous les niveaux.

Le 07 octobre

Une date qu'on voudrait maintenant sacraliser au même titre que la Shoah et qu'on aimerait bien qu'elle puisse prendre le relais tellement les générations actuelles semblent de plus en plus hermétiques au matraquage sans répit et à une fixation maladive de son usage depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui, comble de l'ironie, les Palestiniens n'en sont aucunement responsables; cette date qu'on veut imposer faussement comme étant le début de la confrontation juste pour donner l'impression qu'avant c'était un havre de paix pour les Palestiniens ! faisant table rase sur leur malheur qui dure depuis plus de 70 ans, aggravé par un embargo inhumain infligé à la population ghazaouie entière depuis plus de quinze ans et rendu encore plus cruel depuis l'avènement du général putschiste égyptien Al Sissi.

Les victimes du 07 octobre

Ainsi sont désignés les Israéliens qui ont succombé à l'attaque du Hamas à l'aube du 07 octobre; le nombre annoncé sur le feu de l'action a été de 1.400, ensuite revu à la baisse à 1.200, ce qui permet le doute sur les chiffres déclarés; mais le plus important c'est que le chiffre est donné sciemment cru pour faire passer le message mensonger qu'il s'agissait que de civils inoffensifs ! Ils évitent à tout prix d'en préciser la composition de ces «victimes» dont le chiffre est invérifiable mais qui englobait des soldats, des réservistes, des colons armés; cibles légitimes mais aussi peut-être d'authentiques civils qui peuvent être considérés alors comme des victimes collatérales dont la responsabilité incombe sans aucun doute à l'Etat sioniste; sachant que ce terme de «victimes collatérales» est si cher aux puissances colonialistes qu'ils veulent en détenir l'exclusivité pour leur servir d'alibi chaque fois qu'elles commettent des massacres de civils innocents, que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, en Somalie et maintenant en Palestine, sauf qu'à Ghaza, «les victimes collatérales» se comptent par dizaines de milliers sans que cela puisse irriter les tenants des droits humains et chantres de la démocratie aujourd'hui discrédités.

Les morts palestiniens

«Morts» est le terme presque exclusivement utilisé pour désigner les victimes de cette barbarie inégalée au 21e siècle afin d'éloigner de la pensée le fait qu'ils ont été froidement assassinés avec préméditation et de la façon la plus abjecte car ils ne sont pas morts tous seuls, sans cause apparente de «cause naturelle» comme nous avons l'habitude de lire sur les certificats de décès en temps de paix; à l'opposé, on ne qualifie par contre jamais ainsi les Israéliens de morts mais plutôt de «victimes du Hamas» alors que les chiffes des uns et des autres ne peuvent tenir la comparaison, un millier d'un côté versus trente mille de l'autre ! Le terme «morts» est une autre façon de rendre invisible le coupable et d'adoucir le meurtre.

Conclusion :

Ainsi sont sélectionnés perfidement les mots, les adjectifs, les attributs afin de modeler les esprits qui élaborent les actes et les politiques en faveur de l'idéologie sioniste et ses intérêts; d'ailleurs, une de leurs exigences primordiales avec les Etats normalisateurs, c'est la refonte totale des programmes scolaires afin d'expurger tout terme pouvant les démasquer et d'introduire tout ce qui peut leur conférer une respectabilité et une façade moderniste et civilisée une image aujourd'hui altérée au yeux de l'opinion internationale.

Il ne suffit donc pas de comprendre l'enjeu et la portée de ce lexique, mais il faudrait le contrecarrer en utilisant des termes propres à notre vision et qui décrivent fidèlement l'imposture, on aurait ainsi au moins contribué à dévoiler au monde et aux générations futures la réalité d'une entité cruelle qui ne se fixe aucune limite pour atteindre ses objectifs sinistres.