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ANNIVERSAIRE - Février 1971 : 42 ans après, l'Algérie remise sur les rails de l'après-pétrole

par Reghis Rabah*

Cette date de février 1971, nombreux la réduisent à la récupération des ressources pétrolières sous le vocable de « nationalisation ». En fait, il n'y a pas que cela.

Avant d'exposer les motifs en détails lisons la toile de fond des négociations de l'Accord d'Evian sous la plume du principal acteur de la guerre d'Algérie : le Général Charles de Gaulle dans ses mémoires de l'espoir édités par Plon « Pour garder la mise à disposition des gisements de pétrole que nous avons mis en œuvre et celle de nos bases d'expérimentation de nos bombes et de nos fusées, nous sommes en mesure, quoiqu'il arrive, de rester au Sahara quitte à instituer l'autonomie de ce vide immense.»

Les circonstances de cette nationalisation en sont révélatrices: devoir de mémoire

Cette nationalisation n'était pas spécifique à l'Algérie mais elle est apparue avec la prise de conscience de certains pays qui se sont rendu compte de l'exploitation de leurs richesses par les grandes firmes multinationales. Il y a eu le Mexique en 1938 puis l'Iran de Mossadegh en 1951. Elle n'est pas non plus la conception d'une équipe au pouvoir mais largement explicitée dans les documents doctrinaux (01). Il s'agissait en fait de récupérer les ressources naturelles et contrôler les instruments de régulation de l'économie. Le Code Pétrolier Saharien (CPS), qui était le seul cadre institutionnel avant l'indépendance, s'est trouvé modifié par les Accords d'Évian en 1962, dans sa partie consacrée aux hydrocarbures dans un sens encore plus favorable aux intérêts français et vient ainsi altérer le transfert de la souveraineté au profit de l'Algérie. En dépit de l'Accord Algero -Français de 1965, plusieurs contradictions ont été relevées dans le comportement des sociétés exploitantes : insuffisance des investissements d'exploration; gonflement artificiel des charges d'exploitation dans le seul but de réduire la marge qui revient à l‘Algérie et rapatriement insuffisant du chiffre d'affaires réalisé par le groupe ELF etc. Plusieurs mois de négociations ont confirmé la position de la France de refuser l'alignement du pétrole algérien sur le régime fiscal pratiqué par les pays de l'OPEP et de se conformer à un contrôle de gisement par l'Algérie. C'est donc avec la souveraineté nationale et le libre exercice de disposer de ses richesses qu'il fallait peser les conséquences de la nationalisation du 24 Février 1971. Elle consistait en fait: de récupérer 51% des intérêts français dans la production du brut ; nationaliser la totalité des réserves gazières et celle de tous les moyens de transport. La réaction française était violente mais prévisible : les compagnies ont essayé, entre autres de faire un Embargo sur le pétrole algérien en le déclarant « rouge » Il ne s'agit pas ici de déclencher la symbolique des années70, mais juste souligner le caractère combatif de ce processus qui a exigé pour se concrétiser un acte de grand courage et une mobilisation très importante d'où son lien indéfectible avec l'organisation syndicale «d'antan» bien entendu.

Ce qui s'est passé après la nationalisation est Algero - Algérien

Précisons d'emblée pourquoi 42 ans ? De 1971 à 1982, un peu plus d'une décennie, la démarche économique avait d'abord une cohérence puis un objectif, celui d'industrialiser l'économie nationale en utilisant comme assise financière le secteur des hydrocarbures, notamment l'exportation du pétrole et du gaz et leurs dérivés. Cette démarche concertante a exigé une certaine austérité de la part de tout le monde pour permettre le montage des unités industrielles à travers toutes les régions du pays, dans le cadre d'un équilibre régional en fonction des atouts de chacune des régions. Cependant, les décideurs ont tracé une ligne rouge de l'étendue de cette austérité à la consommation interne de l'énergie et la politique de l'emploi. Cette démarche réfléchie pourrait être facilement vérifiée en parcourant les grandes lignes du Plan quadriennal qui couvre la période 1970-1973 et dont l'objectif primordial est de créer les conditions qui permettraient de fournir un emploi durable à l'ensemble de la population masculine active d'ici l'horizon 1980 (02) quel que soient les moyens utilisés, ce plan vise essentiellement l'épanouissement des citoyens ce qui est effectivement une aspiration fortement populaire. Les principes retenus pour permettre sa réalisation sont :

- Le renforcement de l'indépendance économique en diversifiant les échanges extérieurs et le recours des investissements étrangers comme apport aux moyens nationaux et jamais facteurs dominants,

- L'établissement de nouveaux rapports de production pour la construction d'une société socialiste, - La mobilisation des travailleurs fondée sur leur adhésion et leur association à tous les aspects de la vie économique du pays,

- L'industrialisation qui doit engendrer un mouvement de croissance auto - entretenue (03). C'est en vrai projet de société que s'érige ce plan, il définit les règles de jeu et fait appel à l'adhésion de toutes les forces vives pour entamer une deuxième révolution, cette fois industrielle, agricole et culturelle pour parachever le processus d'indépendance économique, moyennant, bien entendu, des sacrifices à l'instar de la révolution armée.

La réorientation de modèle économique

Malheureusement après le décès du feu Président Houari Boumediene et le retour des cadres algériens, envoyés en la circonstance, dans les différents pays occidentaux pour être formés afin de prendre la relève des coopérants, le discours a changé et ses implications sur le terrain s'écartaient peu à peu de la ligne suivie pour atteindre les objectifs, objet des tous les précédents « Consensus »:

- Le gigantisme des sociétés nationales,

- Le sureffectif des entités économiques

- L'efficacité selon le principe «Small is beautifful», La tentative d'abandon des hydrocarbures comme stratégie de développement, - Le désengagement progressif de l'Etat vis - à - vis des différentes institutions publiques, pour, selon ce discours politique, une meilleure efficacité budgétaire. Cette remise en cause a été, en réalité, à l'origine des multiples formes de résistance des actions collectives (grèves) et aux pratiques individuelles : absentéisme, turnover, etc. Pour rappel, durant les années 1981-1982, l'absentéisme a tellement inquiété les autorités qu'elles ont impliqué les forces de sécurité et de l'ordre pour procéder à des contrôles en dehors de l'entreprise jusqu'à dans les lieux publics (cafés et autres). Ceci devait donner pour la première fois, en Algérie, à la grève une portée sociale comme l'a noté feu CHIHKI « La grève est devenue un phénomène de société. (04) Pour faire court, depuis cette nouvelle orientation économique dans une ambiance conflictuelle, tous les gouvernements qui se sont succédé jusqu'en 2019, géraient le social abandonnant toute perspective stratégique qui prennent en compte l'après énergie fossile et tout ce qui reste pour les générations futures. Bien au contraire, la vente des hydrocarbures s'est imposée comme seul alternative pour financer le circuit économique et social à plus de 98% et l'industrie est devenue un tas de ferraille des propos même du ministre qui l'a gérée. Bref ! La rente pétrolière, de plus en plus croissante et qui permettait de résoudre les différentes contradictions inhérentes au système économique et social, avec une absence totale d'une vision du lendemain.

Ce qu'a changé depuis le Hirak

D'abord l'abandon du pessimisme qui pousse les Algériens vers le désœuvrement, le manque de créativité et surtout l'absence de motivation. Rappelons pour mémoire, l'embellie financière de plus 200 millions de dollars, amassée avec des prix du baril qui a frôlé les raccords durant le milieu des années 2000, était placée dans les banques étrangères notamment le Trésor américain, probablement par manque de vision de les mettre au service du développement de notre industrie ou créer un fonds souverain comme a fait la Norvège dont la réussite est connue dans le monde entier. Cette situation apathique a fait dire à certains « A quoi servira-t-il de produire des richesses pour les vendre et amasser leurs fruits dans les banques étrangères, autant ne pas produire pour les laisser aux générations futures.» Aujourd'hui, il faut être réaliste, pragmatique et reconnaître que c'est un leurre de penser qu'en un peu plus de 4 ans l'équipe actuelle, élue dans des circonstances qu'on connaît avec les résultats obtenus livrerait des miracles économiques d'une dérive de 42 ans mais en cette courte période, elle a réussi brillamment à assainir la piste de décollage vers une industrialisation et moins de dépendance des énergies fossiles. Les résultats sont visibles. Pratiquement tous les projets prévus précédemment sont mis en œuvre, d'autres projets structurants sont en cours d'étude pour leur réalisation dans les échéances arrêtées. La recette tirée des hydrocarbures servirait, aujourd'hui, non seulement pour une sécurité dans le cas des crises mais aussi à financer le secteur industriel pour préparer l'après-pétrole par sa substitution des exportations hors hydrocarbure qui monte progressivement de 2 milliards de dollars en 2020, 4 en 2021 pour passer à 7 en 2022. Elle est attendue à 13 milliards de dollars en 2023. Il y a eu une volonté ferme d'encourager le créateur/ investisseur par un assainissement sans précèdent du climat des affaires : lutte sans merci de la bureaucratie, combat contre la corruption et le « traquage » des poches bureaucratiques qui créent une iniquité sociale conflictuelle. L'importance des recettes pétrolière est prise en compte par une augmentation substantielle de la production gazière pour exporter plus. Une réorientation stratégique du secteur des hydrocarbures pour sortir du « tout exploration » pour revenir à l'exploitation « intensive » des gisements matures en phase de déclin par des méthodes de stimulation afin d'augmenter leur taux de récupération. Sonatrach, par exemple, a dépensé entre 1986 et 2023 en effort propre plus 23 milliards de dollars (M$) dans l'exploration pour un résultat médiocre (05). Probablement qu'elle réserve ses investissements dans les zones vierges difficiles alors que ses partenaires n'ont dépensé que moins de la moitié pour un résultat meilleur parce qu'ils campent « Near Fields » avec moins de risque totalement pris par Sonatrach. Avec la nouvelle orientation d'opter pour l'intensification des gisements matures, elle a réservé 30 des 50 milliards prévus dans le Plan Moyen Terme (PMT) pour l'amont. Les résultats sont d'ores et déjà perceptibles sur le terrain. Il faut préciser, par ailleurs, que les réserves initiales en place, toute forme confondue (prouvées, probables et possibles) ont été évaluées à près de 16,5 milliards de tonnes Equivalent Pétrole (MTEP) dont près de 5 milliards ont été estimées récupérables dans la partie prouvée estimée quant à elle à 13,47 MTEP. Ces volumes prouvés concernent l'huile, le condensat, gaz naturel, Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL). Le taux moyen de récupération, toutes formes confondues de produit est évalué à 50%. Maintenant, si on se limite au gaz naturel dont l'Algérie en fait sa stratégie d'exportation pour son développement économique, les réserves initiales en place sont estimées à près de 7.600 milliards de m3 avec un taux de récupération moyen de 73% soit un volume récupérable de près de 5.600 m3.. Si on arrive par une stimulation augmenter de 10% le coefficient de récupération ce qui est fort possible, on aurait gagné plus de 6 ans de production au rythme actuel qui permettront de faire face à la croissance de consommation domestique et aussi augmenter le volume à l'exportation. Enfin, durant la crise énergétique que vivent depuis le 24 février 2022 de nombreux pays de l'Union Européenne (UE) suite à la guerre déclaré par la Fédération de Russie à l'Ukraine, l'Algérie est devenue un lieu de rencontre, de discussions et surtout de décisions du commerce du gaz pour l'approvisionnement européen. Des nombreuses visites qu'a connues l'Algérie, il en ressort que ce n'est ni les réserves des hydrocarbures ni encore moins ses importantes ressources qui sont mises en avant, mais le qualificatif «fiabilité» est continuellement employé par toutes les délégations qui ont visité le pays quelques jours seulement après le déclenchement de la guerre que de nombreux analyses l'avait prédite courte mais malheureusement, non seulement dure à ce jour mais fait des ravages dans l'économie de l'UE.

Ce capital confiance dont jouit l'Algérie, aujourd'hui, n'est pas récent, voire même complaisant mais construit de longue date. Les anciens cadres du secteur de l'Energie, depuis la récupération de ses richesses un certain mercredi 1971, jour d'une courageuse décision de la promulgation du processus de la nationalisation des hydrocarbures par le président de la République Houari Boumediene.

Cette contribution tentera de rendre hommage à ces femmes et hommes qui ont eu à conduire le secteur des Hydrocarbures en Algérie et qui ont, par leurs exploits, réussi à bâtir cette réputation dont jouit le pays aujourd'hui. Toutes ces actions ajoutées l'une sur l'autre en si peu temps, donnent effectivement l'espoir d'une reprise de la démarche dans la voie tracée par la Révolution de 1954. Les tirs d'ouverture de Gara Djebilet, l'un des plus grands gisements de fer au monde sont annonciateurs du retour à l'approche industrielle du Boumédiénisme des années 70.

*Economiste Pétrolier

Renvois

1- Programme de Tripoli et Charte d'Alger. /

2- J.C MARTENS Edition SNES Alger 1973

3- Préambule du premier Plan Quadriennal 1970-1973. /

4- S. CHIKHI « Grève et société en Algérie » CREAD 6.

5-http://www.aps.dz/economie/96604-la-loi-sur-les-hydrocarbures-affranchira-sonatrach-des-contraintes-regl