Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Musique andalouse: Parution d'une anthologie de la musique andalouse intitulée «Exhalaison des fleurs d'Eden» de Salim El Hassar

par B. S.

Le monde artistique est gratifié par la publication d'un livre qui a valeur de document portant sur la musique andalouse de l'auteur Abdelkader Salim El Hassar, Maître de conférences à l'ESM Tlemcen.

La première partie d'une anthologie en quatre tomes d'un volume de plus de mille pages, vient de paraître aux éditions KOUNOUZ, et ce, sous l'égide de l'ONDA. Cette anthologie est le fruit d'un travail à la fois de compilation et de recherches entamé il y a déjà plusieurs années par l'auteur après avoir compulsé des archives et une documentation importante et fragmentaire, a-t-il expliqué dans son introduction, lui a permis, après l'étude des textes et l'identification de leurs auteurs, de lire autrement l'histoire de cette musique. Une quinzaine de manuscrits dont certains inédits ont été exploités dans le travail. Il s'agit essentiellement de ceux ayant appartenu soit à des musiciens tels Kada Lazzouni, Abdelkader Qarmouni-Serradj, Mohamed Benchâbane dit Boudelfa, Mouley Djilali Ziani-Chérif, Larbi Bensari, Abderrahmane Sekkal et d'autres ou encore à des esthètes faisant partie du milieu élitiste et intellectualiste des 19e et 20e siècles notamment Mohamed Fekar, Mohamed M'rabet, Mohamed Ibn Dhurra, Mohamed Bensaad, Cadi Choaïb, Hadj Mustapha Baghli... outre aussi, les manuscrits confinés dans les bibliothèques nationales et privées.

Ce travail de recherche mérite son importance car il fait évoluer les idées reçues sur ce patrimoine remontant à l'origine à Zyrieb (9e siècle) et qui n'a cessé d'évoluer subissant les influences des terroirs maghrébins. L'auteur précise dans ce livre que : ‘'Le patrimoine poétique de la musique andalouse offre la possibilité d'études qui n'ont point été exploitées pour parvenir à une définition plus claire de son évolution à travers les âges et que l'approche nouvelle identifiant les auteurs de chaque poésie musicalisée est combien précieuse pour connaître des étapes de sédimentation de ce patrimoine‘'. Cette musique porte en elle les strates de son histoire, de son évolution. Une telle étude nous permet certes aujourd'hui d'avancer et de démontrer que cette musique n'est point celle héritée tout à fait de l'époque de Zyrieb comme le suppose la tradition soutenue toujours par de nombreux historiens contemporains de l'art musical andalou. Cette musique, héritage exclusif de l'Andalousie, est tout simplement un mythe, dira-t-il. Le patrimoine de la musique dite andalouse de l'école algérienne dans ses contenus à la fois poétiques et musicaux est de son opinion loin d'avoir été scruté et approfondi pour nous aider à mieux comprendre les différentes étapes de son évolution à travers les siècles. Il signale par ailleurs que le patrimoine de cette musique façonnée par la culture arabo-andalouse n'est pas à faire supporter entièrement à Zyrieb en expliquant que l'héritage de l'école algérienne s'est certes enrichi d'apports constants au croisement de plusieurs cultures : arabe, hispano-arabe, berbère, turque. Mieux nous l'étudions, mieux nous la comprenons, ajoute-t-il.

Patrimonialement, l'auteur signale qu'il est difficile de ne pas reconnaître aussi l'œuvre des producteurs contemporains à Zyrieb, poètes ou musiciens, qui ont contribué à sa permanence durant les siècles à ce jour. Sur le plan musical, il précise par ailleurs que le concept de norme sous-tend la codification or, rien n'a été fait pour l'écrire en dehors des rares essais précieux à l'exemple du professeur Yahia Ghoul de l'association Nassim al-andalous d'Oran sur les modes et les rythmes en musique andalouse et d'autres particularités techniques, aussi de quelques anthologies même si elles sont toujours incomplètes avec les faits empiriques rapportés par les historiens de l'art.

Le travail d'identification entamé dans cette recherche démontre qu'à l'aide des textes, il est possible de remonter et écrire l'histoire de cette musique, voire les auteurs, les dates de composition, les différents moments de l'histoire. L'auteur de l'anthologie ‘'Exhalaison des fleurs d'Eden» précise que l'héritage de l'école maghrébine de musique andalouse est aussi émaillé de poésies musicalisées composées bien plus tard et n'ayant rien à voir avec la période omeyyade de Zyrieb.

Grâce à l'identification des textes poétiques de cette littérature exceptionnelle, il nous est permis de démontrer les différents apports. ‘'La société algérienne n'est pas restée passive, dira-t-il, à l'égard de ce patrimoine qu'elle a reçu de l'Andalousie à travers les multiples relations à la fois de vassalité sous les Omeyyades jusqu'au 9e siècle, les émigrés andalous, les échanges commerciaux et familiaux qui ont existé entre l'Espagne musulmane et certaines vieilles cités, notamment Tlemcen. Enfin, et surtout, entre Grenade et Tlemcen sous les Nasrides et les Zianides‘'. Pour justifier cet enrichissement musical et poétique permanent de la ‘'Sana'a», ‘'Gharnata» ou ‘'Malouf», Salim El Hassar citera les principaux auteurs algériens dont les œuvres ont fait une incursion dans la nouba algérienne. Il cite Abou Hammou, roi-poète (14e siècle), Abi Djamaa Talalissi (15e siècle), Saïd al Mandassi (fin du 16e siècle), M'bareb Bouletabag (17e siècle), Mohamed al Faroui (17e siècle), Al Khadr (18e siècle), Ahmed Bentriqui (17e siècle), Mohamed Ben M'saïb (18e siècle), Mohamed Bendebbah (19e siècle), entre autres... Il citera les titres de leurs chansons introduites dans le corpus de la sana'a comme, entre autres, ‘'hark dhana mouhdjati‘', ‘'ana ouchkati fi es-soultan‘', ‘'âbqat fi ryad al-azhar»...

Salim El Hassar, auteur d'une autre anthologie ayant pour titre ‘'de Grenade à Tlemcen‘' (ENAG, Alger, 2011), cite, entre autres, l'œuvre colossale du grand historien et polygraphe tlemcénien al-Maqqari (17e siècle). L'œuvre de ce grand humaniste, ayant sauvé pour la mémoire des pans entiers de l'histoire des rois, des savants, des poètes, des musiciens d'al-Andalous dans son ‘'Nefh ettibmin ghusni al-andalous erratib‘' (Exhalaisons) dont le titre en arabe ‘'Nafh el azhar essoundoussia fi madjami'e el nawba el andaloussia» s'y inspire, est importante. Les musiciens voyageaient d'une rive à l'autre et les traces musicales de ces échanges sont fréquentes dans leurs œuvres établissant ainsi des liens d'où les hybridations, les convergences et les métissages.

Au-delà de l'identification des textes chantés, les œuvres léguées par les grands chroniqueurs et savants andalous et maghrébins comme Ibn Hayyan, Ibn Badja, Tifachi (12e siècle), Abdelouahid al-Wancharissi (15e siècle)... sont très intéressantes, nous informe l'auteur, rapportant de multiples informations sur les premiers âges de cette musique et de son évolution dans le temps.

Cette musique reste encore une activité de cénacles autour de maîtres opiniâtres attachés au pur lyrisme d'antan avec ses effets poétiques et musicaux. Ils sont fortement opposés à tout effort de rajeunissement des formes pleines d'onomatopées et d'allitérations et où l'élément rythmique est essentiel. Les arts du rythme et du chant reliés l'un à l'autre y sont traités ensemble comme connexes.

Cette musique s'est de ce fait, très rarement aventurée dans la symphonie et son héritage lourd et sublime enveloppé dans une histoire très riche et dont la popularité n'a point émoussé la séduction atteigne aujourd'hui une qualité d'expression plus haute d'où le rôle des associations et des tenants modernes et les interprètes représentant la tendance régénératrice du patrimoine.

Il conclura en soulignant que ‘'cette musique dite andalouse en hommage à la civilisation produite en Andalousie pendant leur présence dans la péninsule Ibérique est également travers les différentes traditions de style existantes en Algérie aussi bien à Tlemcen, Alger ou Constantine l'œuvre de poètes-musiciens algériens''. Ces poètes-compositeurs, s'est-il interrogé, ne doivent guère figurer encore comme des anonymes puisque jamais aucun hommage ne leur a été rendu contrairement à ce qui est des interprètes. Cette édition enrichira la riche bibliographie des grands livres portant sur le patrimoine constitué par cette musique née en Andalousie, héritage aujourd'hui de tout le Maghreb. Salim El Hassar, connu aussi, pour son émission ‘'Alwane andaloussia» à Radio Tlemcen, est auteur de plusieurs ouvrages dont ‘'De Grenade à Tlemcen» (ENAG, 2011), ‘'Florilège» (DALIMAN, 2011), ‘'L'épopée musicale andalouse» (PAF, 2013), ‘'Tlemcen terre de brassage» (DALIMAN, 2015), ‘'L'héritage musical andalou» (ANEP, 2017). La deuxième partie de cette anthologie dédiée cette fois-ci à la poésie populaire nationale est en cours d'achèvement pour une publication prévue prochainement.