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Biden et l'occasion manquée

par Shang-Jin Wei *

NEW-YORK - Lors de leur récent sommet à San Francisco, le président Joe Biden et le président chinois Xi Jinping se sont mis d'accord sur quelques questions importantes. Il s'agit notamment de la reprise des communications militaires (ce qui réduit le risque d'un conflit accidentel) et d'une limitation plus stricte par la Chine de ses exportations des composants chimiques du fentanyl (un puissant opioïde de synthèse, cause majeure de décès aux USA). Mais il n'y a guère eu de progrès dans un domaine crucial: les droits de douane.

En 2018, Trump qui était alors président a augmenté les droits de douane sur les produits importés de Chine, les faisant bondir d'un peu plus de 3% à plus de 21% - un niveau jamais atteint depuis la Deuxième Guerre mondiale. A titre de représailles, la Chine a augmenté ses droits de douane sur les importations en provenance des USA d'environ 8% à 19%. Par contre elle a baissé ses droits de douane sur les importations de tous les autres pays, au détriment des produits américains devenus ainsi moins compétitifs sur le marché chinois; ils y ont perdu davantage que les produits chinois sur le marché américain.

Fin 2019, Trump et Xi ont conclu un accord de «phase 1» qui a gelé les droits de douane. C'était un accord contraignant qui obligeait la Chine à augmenter ses importations en provenance des USA au détriment d'autres partenaires commerciaux, ce qui est contraire à la réglementation de l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Finalement la Chine n'a pu respecter ses engagements d'achat et en 2020 un groupe spécial de l'OMC a statué: les droits de douane imposés par Trump sont illégaux. L'insistance des USA à maintenir les droits de douane viole la réglementation du système commercial international et nuit aux ménages et aux entreprises des deux pays. En 2017 - la dernière année avant la hausse des droits de douane décidée par Trump - les importations américaines en provenance de Chine s'élevaient à 506 milliards de dollars, environ 22% du total de leurs importations. Toutes les études approfondies sur la question montrent que la hausse des coûts liés aux droits de douane a été répercutée sur les consommateurs américains. Les produits importés représentent environ 12 % du panier de consommation des ménages américains, aussi les droits de douane ont-ils augmenté le coût de ce panier d'environ un demi-point de pourcentage.

Mais ce n'est qu'une partie de la question. Quelques 40% des importations américaines en provenance de Chine sont des pièces détachées, des composants et des biens intermédiaires. De ce fait, la suppression de ces droits de douane réduirait aussi le coût des intrants pour les prestataires de services et les fabricants américains. Cela se traduirait par une baisse des prix de nombreux produits et services fabriqués aux USA et inclus dans le panier de consommation des ménages américains.

Il faut aussi compter avec les effets indirects. Si le coût des importations chinoises baisse, cela induira une pression concurrentielle à la baisse sur les prix des produits fabriqués au Mexique, en Inde, au Vietnam et même aux USA. Tous ensemble, effets directs et indirects réduiraient de manière permanente d'environ un point de pourcentage le coût de la vie des ménages américains - soit une augmentation globale de leurs revenus annuels supérieure à 250 milliards de dollars (1% du PIB américain en 2022).

Les entreprises américaines seraient également gagnantes. Etant donné que la Chine n'a jamais caché que l'augmentation de ses droits de douane sur les produits américains était une mesure de rétorsion, on peut supposer qu'elle les supprimerait si les droits de douane datant de Trump étaient supprimés. La compétitivité des produits américains sur le marché chinois s'en trouverait renforcée, ce qui stimulerait l'emploi et augmenterait les revenus des exportateurs américains et de leurs fournisseurs d'intrants.

Cette évolution serait favorable financièrement aux citoyens américains, et politiquement au président Biden. Dans un récent sondage, seulement 14 % des électeurs américains ont déclaré que leur situation financière s'était amélioré depuis que Biden est à la Maison Blanche. Près de 70 % d'entre eux ont déclaré que sa politique avait nuit à l'économie américaine ou n'avait rien changé, et environ la moitié ont estimé que sa politique avait beaucoup nui à l'économie.

S'il n'est guère surprenant que la grande majorité des électeurs républicains n'apprécient pas la politique de Biden, le fait que moins de la moitié des électeurs démocrates approuvent sa politique économique devait l'alerter. Sa réélection l'année prochaine est loin d'être assurée, alors que la hausse du coût de la vie est la première préoccupation économique des électeurs. Pourtant malgré tous les avantages qu'apporterait une baisse des droits de douane, le représentant au commerce des USA n'a pas participé au sommet de San Francisco. On peut donc supposer que le président américain n'a même pas envisagé de discuter de cette question.

On dit que Biden ne veut pas que les républicains puissent dire de lui qu'il est trop mou à l'égard de la Chine. Mais il devrait déclarer publiquement que la suppression des droits de douane décidés par Trump serait une bonne chose pour les ménages et les entreprises américaines. Ne pas le faire serait une faute politique.

Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

* Professeur de finance et d'économie à l'Ecole de commerce et à l'Ecole d'affaires publiques et internationales de l'université de Columbia à New-York. Il a été économiste en chef de la Banque asiatique de développement