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Sortir du mal-développement touristique: Comment s'ouvrir au tourisme international ? (Suite et fin)

par Said Boukhelifa*

Le consulat établira les visas d'entrée, normalement, dans des délais acceptables. Dix à quinze jours. En janvier 2023, une nouvelle procédure fut décidée et établie, aussi bureaucratique que l'ancienne et qui enlève les prérogatives aux consulats/AE de délivrer les visas en apposant l'autocollant sur les passeports des touristes. Unique au monde ! Ce sont les services du ministère de l'Intérieur qui contrôlent les dossiers des touristes, et c'est à la PAF d'accorder à l'arrivée les visas d'entrée, dits de régularisation. Le Premier ministre actuel, en 2022, avait déclaré aux diplomates réunis au CIC Club des pins/Alger que «l'obtention des visas par les investisseurs et les touristes étrangers était la plus difficile au monde, n'attendez plus la réponse tardive d'Alger, vous devez délivrer dans des délais réduits les visas».

Cette nouvelle procédure va à l'encontre de ses orientations. En effet, elle se déroule ainsi : 1-l'agence de voyages algérienne retire de la plateforme numérique de la direction du tourisme de wilaya, les formulaires de demande de visa, établis par les services de l'Intérieur; 2-elle les transmet à son partenaire à l'étranger qui les fait remplir par ses clients; 3- le partenaire les renvoie remplis à l'agence algérienne; 4-cette dernière les transmet avec tous les documents exigés à la direction du tourisme de wilaya; 5-elle les envoie aux services de l'Intérieur, qui sont censés les contrôler au bout de 15 jours et les renvoyer à la direction du tourisme; 6-celle-ci les remet à l'agence algérienne qui les envoie à son partenaire étranger qui remet chaque formulaire visé à ses clients qui doivent présenter ce document à l'enregistrement au niveau des aéroports d'embarquement. Un groupe de 26 touristes français n'a pas pu embarquer, en février passé, vers l'Algérie, faute d'avoir reçu à temps les formulaires, car les services d'une direction du tourisme avaient omis de remettre à temps les dossiers complets aux services de l'Intérieur. Oubliés dans les tiroirs, bien que reçus 30 jours avant, mais communiqués à l'Intérieur que 4 jours avant la date d'arrivée en Algérie. Revenons à la réflexion du Premier ministre et que les consulats reprennent leurs prérogatives mais en délivrant les visas dans des délais ne dépassant pas une semaine et en autorisant les tour-opérators et agences de voyages occidentales, à ramasser tous les passeports avec dossiers complets des touristes, les déposer et les récupérer auprès des consulats. Il n'y a pas mieux si on veut vraiment recevoir des touristes. Et s'ouvrir réellement au tourisme. Et non pas les dissuader à venir chez nous, et partir vers les pays qui leur délivrent le visa avec facilité et rapidité.

Escortes des services de sécurité à revoir

Dans le Sud, Oasis et Saoura, et dans le Grand Sud, Hoggar et Tassili, les escortes, notamment celles du Darak El Watani, sont maladroites, envahissantes, étouffantes. Anti-tourisme. Et ce sont les échos parvenus des ATV locales et étrangères. Et j'en fus témoin, alors CES/conseiller au MTA, en 2013, entre Adrar et Timimoun. Changement à cinq reprises d'escortes, pour 220 km. Leurs passeports étaient demandés. J'accompagnais 5 VIP britanniques, concernés par le tourisme. Pas un seul touriste de Grande-Bretagne n'a été envoyé par eux, depuis 2013, soit dix ans. Ils avaient vu et subi ces escortes pas du tout discrètes. Parmi ces 5 VIP, il y avait la présidente de la chambre de commerce britano-algérienne et le président d'un club des loisirs. Deux journalistes et un directeur d'agence de voyages.

Il y a un excès de zèle de la part de certains sous-officiers, car leur commandement ne leur a jamais donné ces instructions qui entravent sérieusement le bon déroulement du circuit au grand dam des touristes, médusés dans leur bus. Certains osent demander les passeports, déjà compostés aux aéroports.

Et à la limite territoriale des wilayas et communes, il y a la relève des brigades des escortes. Quand une est en retard, le bus plein de touristes est bloqué jusqu'à son arrivée. C'est l'escorte qui doit attendre à l'avance le groupe de touristes et non pas l'inverse. Puis ces escortes, en véhicules 4X4, marchent au ralenti, 20 à 30 km à l'heure, faisant perdre beaucoup de temps aux groupes qui rateront des visites prévues. Depuis plus de 20 ans que ces escortes existent, il est temps d'y renoncer. Car les groupes de touristes, encadrés par un guide national, passent par des routes nationales, Oasis et Saoura, empruntées par beaucoup de véhicules. Les services devraient juste sécuriser les passages des bus de touristes, en ayant à l'avance les programmes des circuits. Et dans l'extrême Sud, ils séjournent en bivouac, 100 à 250 km dans les environs. Et les Touaregs connaissent très bien leur région.

La participation de l'Algérie aux foires et salons du tourisme à l'étranger

La participation effective et de qualité aux salons étrangers requiert une approche marketing pointilleuse, bien pensée et bien ciblée. Le décor général du stand Algérie doit se faire en rapport avec le segment de clientèle étudié, saharien ou culturel, ou les deux à la fois.

Notre pays est en mesure d'offrir aujourd'hui des produits touristiques sahariens très attractifs et des produits culturels/archéologiques d'une exceptionnelle richesse mais inconnus ou méconnus.

Quels Salons et Foires ? Berlin (Allemagne) Mars - (5 jours)

Le premier marché émetteur de touristes (47 millions/an). 70% optent pour le balnéaire, 10% pour le culturel et le tourisme d'aventures, soit près de 5 millions potentiels.

Si par un plan media de qualité et un marketing mix (des 4 P, produits, prix, place, promotion, on arriverait à capter, à convaincre et à faire ramener 2% de ces 47 millions, cela représenterait plus de 200.000 touristes par an ! II faut souligner que dans le cadre du tour-operating (voyages organisés par les TO européens), l'Algérie n'a pas encore reçu au cours des 50 dernières années plus de 150.000 touristes pour le tourisme culturel et le tourisme saharien réunis.

Cet important marché leader n'a pas «émis» en voyages organisés (Tour Operating) plus de 40.000 touristes en Algérie, en 50 années.

Londres (World Travel Market) Novembre - (4 jours)

Le marché britannique représente 20 millions/an de touristes. Même démarche, même approche, 10% de ce marché, soit 2 millions, et si nous en captons 2,5 soit 100.000 touristes/an. Pas plus de 10.000 touristes britanniques ont visité l'Algérie en voyages organisés en 50 années. Ce marché comprend deux segments qui sont intéressés par les tourismes saharien et culturel.

Paris TOP RESA Fin Septembre - (5 jours)

Ce salon professionnel du tourisme de Paris, l'Algérie y participe depuis 1976. Rencontre entre plusieurs opérateurs de tourisme et office nationaux de tourisme. Le marché français depuis 3 décades représente 85% des flux touristiques étrangers reçus en Algérie. C'est le 3e marché émetteur avec 18 millions/an. Le tourisme saharien et culturel ! Et de mémoire (pieds-noirs) sont les plus prisés.

UTRECHT (Pays-Bas) Janvier - (6 jours)

II s'agit du 4ème marché émetteur avec 5,5 millions/an. Le saharien et le culturel sont les deux produits également que l'Algérie peut proposer au profit des Néerlandais, même démarche et approche marketing que pour Berlin et Londres.

Une promotion doit être entretenue sur la durée afin de bien s'incruster dans l'imaginaire des touristes potentiels. L'Algérie participait à ce salon depuis 1991 et jusqu'en 2007.

FITUR Madrid Janvier et BIT Milan Février

Deux marchés émetteurs méditerranéens avec chacun près de 10 millions de touristes/an. Ils dégagent une très forte image de pays réceptifs du fait que l'Italie était leader dans les années 70, l'Espagne dans les années 80 auxquels la France a succédé depuis les années 90, ces deux marchés ont un potentiel client : pour nos produits sahariens et culturels. Pour l'Italie, nous avons 22 sites romains, méconnus au niveau de ce marché.

Salon des vacances Bruxelles 2ème semaine Février

Le marché de la Belgique est intéressant pour notre destination. Jadis, une douzaine de tour-operators publiaient notre destination (1986 - 1991).

Les pays de l'Est (Russie, Pologne, Tchéquie) à éviter.

L'ONT avait participé en 2005/2023 à ces salons sans aucune étude de marché au préalable en imitant la Tunisie qui offrait un très bon produit balnéaire avec un rapport qualité/prix très attractif.

Ce sont des marchés émergents avec la Hongrie qu'il faudrait cibler à l'horizon 2030, pour leur proposer les produits de notre tourisme saharien et tourisme culturel.

Genève, Montreux, Tunis, Le Caire, Dubaï, Serbie, Bulgarie, Croatie, des salons sans retombées promotionnelles et commerciales.

L'ONT, sur injonction du ministère, a participé à d'autres salons sans aucun impact pour la destination Algérie, Genève, Montreux, Tunis, Le Caire, Dubaï, Toulouse, Marseille, Istanbul, Avignon, Malaga, Cagliari, Serbie, Bulgarie, Croatie, Russie.

Indigence et vétusté du rail en Algérie

Notre pays étant le premier en Afrique de par sa superficie, plus de 2.400.000 km², le rail et le chemin de fer doivent tisser une toile nationale, d'Est en Ouest et du Nord au Sud. Impérativement, nous devons songer au développement du rail, à double voie bien entendu, le long de la côte, d'Alger vers El Kala à l'Est et vers Ghazaouet à l'Ouest. Le rail doit arriver aux pieds des montagnes, puis continuation par bus, minibus ou microbus. Tikjda, Talaguilef, Chélia dans les Aurès, dans le massif des Bâbords (Bordj Bou Arréridj), les monts d'Aïn-Defla et des Traras (Tlemcen) et autres régions montagneuses, massif de Collo, où l'investissement public et privé doit être boosté, afin de permettre l'éclosion d'une multitude de structures légères adaptées au milieu d'accueil. Il faut sauvegarder et réhabiliter les villages ancestraux aux maisons en tuiles, qui dépérissent sous les aléas et les intempéries du temps, car vidées de leurs propriétaires partis ailleurs. En Kabylie, dans les Aurès, et dans des massifs montagneux d'Est en Ouest. Ces destinations concernent les quatre saisons, hiver, printemps, été, automne, pour la pratique du trekking, des randonnées pédestres, des sports d'hiver, de l'agrotourisme, de l'écotourisme, du tourisme solidaire ! Le rail doit arriver aussi en milieu saharien à Béchar - Taghit, Beni Abbes, Adrar, Timimoun, El Menea, Ghardaïa, Ouargla, Touggourt, El Oued, Biskra, Boussaâda. Horizon 2030 ? Des trains modernes, confortables, climatisés, avec un système de réservations on-line et auprès des agences de voyages, complémentaires aux bureaux SNTF (insuffisants). Sans le rail, difficile de faire du tourisme domestique qui ne repose pas que sur des hôtels et des sites à visiter. Le chemin de fer, cet oublié, indispensable aux déplacements multiples et fréquents et aux grandes capacités de transport de passagers. Par cette période de disette financière, il s'agit là d'un projet pharaonique aux coûts énormes. A méditer, à penser et à projeter, en attendant des jours meilleurs ! Le rail et le train sont des éléments structurants des espaces touristiques.

Par ailleurs, il faudrait songer impérativement à revoir la signalisation routière, défaillante, insuffisante, absente parfois, exaspérante et déroutante (plaques directionnelles).

La formation touristique de qualité négligée

Depuis trente ans, la formation touristique a été délaissée, faute de convictions et de volonté politique. Les ressources humaines formées et de qualité seront les fondements pour la réalisation des objectifs tracés. L'homme doit être au centre des préoccupations des pouvoirs publics, du CNT et du MTA. Le marché des compétences hôtelières et touristiques est inexistant. Il faudrait le créer et le construire, à court et moyen termes. Les hôtels 3*, 4* et 5*, qui ont ouvert ces dix dernières années, souffrent tous d'un manque de personnel qualifié. Les prestations sont en deçà de leur classement. Même si le confort existe. Réanimer la carte pédagogique nationale de la formation touristique élaborée en 2011 par le MTA, inachevée et non mise en application.

Revoir le contenu obsolète des programmes pédagogiques de nos écoles et instituts de tourisme. Et former des formateurs en tourisme.

Le Mexique possédait en 2021, 150 écoles et instituts de formation en hôtellerie et tourisme, avec 12.000 étudiants inscrits. L'Algérie 5 écoles et instituts publics, plus une vingtaine d'écoles privées dont la moitié dispense une formation de qualité moyenne, voire bâclée. Deux grandes écoles prévues et budgétisées en 2007/2008, à Aïn Témouchent et surtout celle de Tipasa, 1.200 places pédagogiques, d'envergure internationale. Partenariat avec l'UE et le Canada. N'ont jamais vu le jour et leur budget récupéré par le Trésor !

CONCLUSION

Voilà, une projection réaliste, non exhaustive, pour la relance du réceptif tourisme international, sans balnéaire, à court, moyen et long terme, horizon 2034.

Il faudrait s'y mettre, dès 2024, avec une volonté inébranlable, car notre destination Algérie, n'a plus de temps à perdre, mais du temps à gagner, avec les efforts conjugués de tous, CNT, administration centrale, directions régionales, offices locaux de tourisme, experts, partenaires sociaux, opérateurs du tourisme, formateurs spécialisés et société civile. Le tout adossé au concept des 3 « C », conviction, compétences, concrétisations. Car de nos jours, aux yeux des experts et des prescripteurs de voyages étrangers, «l'Algérie demeure fermée au tourisme». Dommage pour cette «aimée et souffrante Algérie touristique».

*Président du Snat, syndicat national des agences de tourisme - Expert international afest/amforht