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QUENTIN TARANTINO FEL HOUMA

par Quentin Tarantino (*) Et Nabil Djedouani (**)

Autour de quelques classiques du cinéma hollywoodien, discussions entre le célèbre cinéaste américain par ailleurs grand cinéphile et quelques cinémaniaques algériens méritants.

QUENTIN TARANTINO : «Après la dévastation de l'Europe et de l'Asie pendant la Seconde Guerre mondiale, à partir du moment où on a recommencé à faire des films, il s'est avéré qu'ils s'adressaient à des publics bien plus adultes qu'avant la guerre. Et le cinéma mondial est devenu plus adulte au fil des années 50 et 60.

En Amérique toutefois, malgré les tentatives d'hommes tels que Stanley Kramer et toto Preminger, les films hollywoodiens sont restés obstinément immatures et attachés à l'idée d'amusement pour toute la famille. Mais avec la montée de la contre-culture jeune, la nouvelle maturité introduite dans les musiques populaires, l'engouement pour des films tels que Bonnie and Clyde, Le Lauréat, et en particulier le succès surprise de Easy Rider de Dennis Hopper, un Nouvel Hollywood a fait son entrée, un Hollywood orienté adultes. Un Hollywood avec une sensibilité année 60 et un ordre du jour anti-establishment. En 1970, ce Nouvel Hollywood était Hollywood

NABIL DJEDOUANI : «? Two Lane Back Top (Macadam à deux voies) de Monte Hellman, Vanishing Point (Point Limites Zéro) de Richard C. Safarian, Bad Lands (La Ballade Sauvage) de Terrence Malick, Electra Glide in Blue (Dérapage contrôlé) de James William Guercio, j'ai eu la chance de découvrir tous ces films qui partagent une fascination pour la route, les grandes étendues, la vitesse et la quête de soi dans deux cinémas associatifs de la ville de Saint-Etienne. Le cinéma «Le France » et le «Grand Lux », deux écoles buissonnières d'une cinéphilie rebelle très éloignée des bancs de l'université et des cours plombant sur la théorie du cinéma. Avec ces films se jouait à l'écran un cinéma de rupture, de marginaux en fuite, presque encore adolescents dans leurs entêtements. Les paysages de plaines désertiques et rocailleuses traversés par ces anti-héros souvent anonymes faisaient échos en moi aux paysages de l'Est algériens sillonnés tous les étés depuis l'enfance. Rouler avec frénésie sans jamais se retourner sur une bande originale soul et rock n'roll comme dans Vanishing Point, traverser un territoire dans une course folle comme dans Two Lane Back Top jusqu'à l'embrasement de la pellicule-bitume ou fuir en amoureux comme dans Bad Lands, pas de happy-ending dans ces films mais plutôt l'esprit d'une époque en quête de liberté à travers la métaphore du voyage et la naissance pour moi d'un désir d'image, d'évasion et de disparition dans le lointain. Plus tard viendra la rencontre de films peut-être plus profonds: l'Epouvantail de Jerry Schatzberg, Midnight Cowboy de John Schlesinger ou même The Graduate de Mike Nichols, film dont la fin me rappelle toujours celle du «Vent du Sud» de Slim Riad. Ici Dustin Hoffman et Katharine Ross, là Nawal Zaatar et Boualem Bennani, deux couples fuyant en bus et dans un ultime sourire l'ordre patriarcal de l'Amérique conventionnelle et de l'Algérie profonde. En attendant que l'Algérie trouve son nouveau cinéma, on peut toujours s'imaginer ces films américains du nouvel Hollywood comme des films algériens, les road-movies des seventies s'y prêtent si bien et les cinéastes qui ont tenté l'aventure de la route nous ont souvent offert de belles œuvres : Le Clandestin de Benamar Bakhti, Inland de Tariq Teguia, Abou Leila d'Amin Sidi Boumediene, le nocturne et labyrinthique Soula de Salah Issad ou encore le «statique » road movie 143 rue du désert de Hassen Ferhani. Il y a peut-être là, dans le mouvement, la rencontre, l'inconnu et la fuite la plus belle façon de raconter de ce qui se joue aujourd'hui sous le ciel d'Algérie.

(*)Les propos de Quentin Tarantino sont extraits de son livre «Cinéma spéculations» (Flammarion) publié cette année, un très beau recueil de textes sur les films qui ont marqué le réalisateur américain, ouvrage que tous les cinéphiles de plus de 40 ans devraient impérativement lire.

(**) Réalisateur, restaurateur de films et acteur à ses heures perdues, Nabil Djedouani est le créateur et administrateur de la page Archives Numériques du Cinéma Algérien, il est par ailleurs le co-directeur artistique -avec Latifa Lafer et Hakim Abdelfettah- des Journées Cinématographiques de Béjaïa