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Trippant road-trip dans le Rif marocain

par De Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

Avec son sixième long-métrage Déserts dévoilé à la Quinzaine des Cinéastes, Fawzi Bensaïdi le plus engagé des cinéastes marocains signe son meilleur film.

Fawzi Bensaïdi n'est pas Aki Kaurismäki et encore moins Elia Suleiman, mais avec son dernier film Déserts, se dessine une filiation avec les maîtres de l'absurde qui n'est pas du tout déplacée. Comme les deux illustres metteurs en scène, respectivement finnois et palestinien, le cinéaste marocain aime à manier les codes de l'humour pour rendre compte des situations les plus désespérées. Comme eux, il porte un amour infini (et contagieux) aux personnages de ses films.

Les protagonistes principaux de son dernier opus sont deux agents de recouvrement qui sillonnent, avec leur voiture pourrie, les villages du Rif marocain où les habitants sont tous plus ou moins surendettés. Quitte à leur extorquer leurs derniers biens, chèvres chétives ou tapis usés, les deux pauvres gus en costume se font violence pour faire ce qu'ils doivent faire, car eux-mêmes sont sous la pression d'une patronne qui les menace de licenciement. Pauvres vs pauvres, les précarisés contre les exclus.

Sans rien céder à sa courageuse charge politique, ce film poétique et nuancé nous fait l'honneur de ne jamais verser dans le mélo social et lacrymal si cher aux cinématographies du Maghreb et, sans se noyer non plus dans la marre-y'en a marre- des films de dénonciation.

Entre les deux agents pressurisés et les montagnards du Rif, le film Déserts va bien au-delà de la critique du nouvel ordre économique mondial, il multiplie à travers des scénettes presque toutes réussies des histoires de vie et d'humanité, et offre à chacun des personnages sa part de rêves et de mystères.

S'il emprunte parfois la veine métaphysique de son cousin algérien Abou Leïla, réalisé par Amine Sidi Boumediene, le film de Fawzi Bensaïdi, riche en rebondissements, reste néanmoins singulier dans sa manière de nous étonner aussi efficacement que calmement, sans jamais passer par la case esbroufe. Ainsi, un autre film s'invite dans le film, une histoire d'amour et de vengeance digne d'un western spaghetti. En orchestrant des boucles narratives originales qui lui permettent de bifurquer d'un genre à l'autre, le réalisateur marocain nous entraîne dans son road-trip sans jamais nous perdre. Tant mieux, car dans le désert, personne ne nous entendra crier.