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Le commerce des idées: la connaissance dans l'économie (2ème partie)

par Lakhdar Ydroudj*

L'innovation

Les grandes puissances scientifiques sont les pays les plus innovants. L'innovation exige des conditions adéquates afin que les chercheurs puissent être valorisés en termes d'exploitation de résultats de leurs travaux. L'intégration des résultats de la recherche permet non seulement de garder la main un rythme de développement mais et surtout de trouver les moyens de rendre tous les secteurs plus performants et ainsi prétendre a un meilleur confort pour les gens. Selon le rapport établit par l'Organisation mondiale de la propriété industrielle (WIPO) plusieurs pays africains et arabes commencent à éprouver le besoin de mettre en avant de politiques dans ce domaine.

Parmi les 26 pays dans le monde qui ont fait des efforts en 2022 pour trouver une place dans la liste des pays innovants on retrouve des pays comme le Niger, l'Ile Maurice, Botswana, Kenya, Rwanda, Madagascar, Ethiopie. Le seul pays arabe qui figure sur le podium de la région MENA c'est les Emirats Arabes Unis (16). Les recommandations de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle pour les pays à faible taux dans le domaine de l'innovation concerne la prise en charge de deux courants innovants pour les années à venir :

Le courant dominant qui relève « 1- du numérique et qui se construit autour des technologies comme le super computing, l'intelligence artificielle et l'automatisation, qui est a l'aune d'impacter la productivité dans tous les secteurs - y compris les services - et de porter les breakthrough scientifiques dans le domaine des sciences de base de tous les domaines, et 2- un courant profond de l'innovation scientifique qui couvre les biotechnologies, nanotechnologies de nouveaux produits, et les autres sciences qui sont entrain de révolutionner les quatre clés importantes pour la société : la santé, l'alimentation, l'environnement, et la mobilité » (17).

Pour les pays développés, innovants et savants, les différentes formes d'intégration technologiques visent un développement durable qui intègre tout ce qui est produit par les chercheurs. D'ailleurs, le taux d'exploitation des brevets et autres prototypes d'inventions dans les processus de productivité sont nécessaires pour innover dans un domaine précis. Notons que la Chine qui est devenue une puissance économique, militaire, spatiale, industrielle, financière, a elle seule envoyé «en 2021, 1,59 million de demandes de brevet sur les 3,4 millions déposées au niveau mondial, un chiffre équivalent au total combiné des 12 autres offices les mieux classés, du second au treizième. L'Office de la Chine était suivi des offices des États-Unis d'Amérique (591 473), du Japon (289 200), de la République de Corée (237 998) et de l'Office européen des brevets (188 778). Ensemble, ces cinq offices représentaient environ 85,1% du total mondial» (18).

La disponibilité de l'IST pour tous les secteurs

Faut-il revenir sur les notions et les propriétés de l'IST ou serait-il suffisant de confirmer son statut de ressources de toutes les autres ressources dont aucun secteur ne peut s'en passer. L'intelligence de l'information n'est plus à présenter pour innover, développer, produire, éduquer, former, etc. On doit aussi distinguer une autre nécessite pour le grand public qui est vitale pour la réussite de l'innovation et de la transition vers l'économie de la connaissance. C'est la disponibilité d'un niveau inferieur de l'IST que nous qualifions de culture scientifique, impératif qui doit être pris en charge par les moyens de communication de masse. C'est une forme de socialisation scientifique des groupes sociaux qui consiste à préparer les compétences futures à être à jour avec les innovations technologiques, puisque les supports sont préparés par des experts des domaines vulgarisés.

Si les moyens audiovisuels ont été le support le plus approprié pour accomplir cette mission scientifique (19), les pays développés ont aussi instrumentalisé toutes les ressources documentaires et scientifiques pour socialiser leurs populations à consommer l'écrit, l'image et tous les signes porteurs de sens innovants. Le reflexe de la lecture devient un des facteurs clés de la société savante et de l'économie de la connaissance. L'ère du numérique permet de démultiplier le document à l'infini et de le généraliser à un nombre indéterminé tout en rentabilisant le document sur l'investissement dans le capital humain. Il faut que l'ALESCO en tant qu'organe de la science et de l'éducation s'implique davantage dans la mise en place de prospective stratégique dans les pays arabes pour développer ce secteur notamment par l'adoption de projets susceptibles de mener à cette économie. Il faut que cette institution contribue à mettre à la disposition du public l'ensemble de la littérature scientifique produite dans tous les pays arabes et encourage la traduction, la numérisation et toutes les autres activités liées à l'économie immatérielle. Le projet du réseau arabe est semble-t-il enterré depuis les années 90 ce qui a entrainé avec lui la mise à mort des projets télématiques Maghreb-net et Machrek-net (20). Est-il possible pour des pays comme l'Algérie de prétendre à une place dans la nouvelle économie vers laquelle la majorité sont en pole de transition et ont accompli les conditions nécessaires pour un atterrissage dans l'univers de la nouvelle version du développement ? Il serait peut-être très logique de diagnostiquer l'état général de la science en Algérie pour répondre à cette question avec une objectivité générale et sans aucun militantisme. Une section est réservée au cas algérien.

L'industrialisation des supports de la connaissance

Au risque de nous répéter, l'industrie 04 est fondamentalement une industrie immatérielle produite à travers une ressource immatérielle. Son industrialisation est aussi importante pour les pays développés au même rang des matières premières pour les autres pays. Elle peut être même plus stratégique pour les puissances du savoir et de la connaissance, car elle est indispensable pour l'exploitation des autres ressources. Depuis les années 70 l'informatisation des sociétés s'est amplifiée et s'est généralisée de façon rapide, efficace et rentable, ce qui a permis davantage de multiplier les possibilités offertes au processus de l'industrialisation de tous les produits de la connaissance. Il est actuellement possible pour des entreprises l'utilisation des produits numériques pour la diffusion des savoirs parce que ce cycle économique post-industriel se déploie dans la nouvelle dimension des ressources maitrisées technologiquement, par le savoir, et seulement le savoir.

L'industrialisation des produits et autres supports est la plateforme de cette économie qui piétine sur d'autres territoires pour inclure les industries culturelles -partie intégrante de la vulgarisation scientifique- dont les retombées socio-économiques sont immenses et inestimables sur les gens notamment en ce qui concerne l'amélioration des conditions générales, le confort et la prospérité. Pour ne citer que le chiffre mondial des industries culturelles estimé sous l'égide de l'Unesco par Ernest and Young en 2015 à 2.250 milliards US dollars (21) (hors les industries spécialisées de la connaissance comme les PC, les logiciels, les réseaux, l'électronique, l'engineering du conseil et toute activité liée à un actif immatériel ou les biens de traitement de la connaissance et du savoir).

Le changement technologique est l'une des sources de la croissance économique, qui sur le long terme est le régulateur de tous les processus de développement notamment la mécanisation de la production, de la productivité et de la consommation de tous les autres produits. Le commerce en ligne est très souvent cité comme un résultat inéluctable de cette révolution savante dans le domaine économique. Il est prévu qu'il touche la barre de 8.100 milliards US dollars en 2026 après avoir passé le seuil de 5.200 milliards US dollars en 2023 (22).

Sans une université productive, des institutions de recherche innovantes, un ratio élevé de chercheurs par rapport aux nombres d'habitants, une enveloppe financière conséquente, un statut important de la science, une sociologie rigoureuse dans le classement des métiers, une valorisation intensive des résultats de la recherche, une réelle prise en charge de toutes les industries culturelles et les industries de la connaissance, le développement des activités de consulting dans la prise de décision économique et prospective, etc., les pays sous-développés n'ont aucune chance de prendre le chemin de cette économie.

La vulgarisation de la science et les produits culturels

Nous avons déjà abordé ce point en insistant sur le rôle de la culture scientifique de masse dans l'essence et l'évolution de la société vers l'économie fondée sur les produits savants et innovants. Nous réservons ce point pour évoquer comment les pays développés ont pu mettre en place des stratégies de communication qui vulgarisent la science et les techniques et ont pu créer une société consommatrice de produits. Il faut savoir que c'est l'industrialisation massive des produits culturels qui peut imposer une vulgarisation de la culture scientifique à condition bien sûr que les acteurs impliqués dans la production de la connaissance valorisent leurs travaux par des publications pour le grand public. Sur le plan opérationnel, les pays qui ont pris en charge la responsabilité ont lancé des chaines thématiques audiovisuelles et mis en place des éditions spécialisées pour généraliser les notions du savoir et la connaissance. Disons aussi que les processus de la vulgarisation ont commencé par une stratégie de socialisation avec les concepts soit à travers des encyclopédies générales des sciences, des dictionnaires, des bandes dessinées, des dépliants pour enfants, des livres de poche. Tout cela a été conçu dans un objectif de créer une société en harmonie avec le niveau de la communauté scientifique qui développe et mis en marche le progrès.

A suivre

* Ex-Secrétaire général du Centre de Recherche sur l'Information Scientifique et Technique, Fondateur et responsable de la rédaction de la Revue RIST.

Notes

16 World Intellectual Property Organization (WIPO): Index Database, 2022. Disponible sur le site: https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo-pub-2000-2022-section3-en-gii-2022-results-global-innovation-index-2022-15th-edition.pdf, P 44.

17 WIPO : Global Innovation Index, 2022. Page 19. https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo-pub-2000-2022-section1-en-gii-2022-at-a-glance-global-innovation-index-2022-15th-edition.pdf

18 https://www.wipo.int/publications/fr/details.jsp?id=4632

19 Ces questions ont été et sont massivement traitées pour trouver les meilleures pédagogies afin de colmater les fractures entre le développement technique et la culture de masse et surtout préparer les gens à adopter un comportement adéquat pour intégrer les connaissances acquises dans leurs environnements respectifs. Cf. Lakhdar Ydroudj : Le rôle de l'audiovisuel dans l'accès à la connaissance : Formation de culture de masse scientifique ; In : Revue d'Information Scientifique et Technique (RIST), CERIST, Alger, Vol 3, No 1, 1993 ; PP 23-27.

20 Ces deux réseaux devaient être reliés durant la décennie 90' pour constituer le grand réseau scientifique Arab-net, mais il semble que ce genre de projet n'a pas eu la prise en charge adéquate par les politiques ce qui a pénalisé la communauté scientifique dans la région. Cf. Ydroudj (Lakhdar) : Maghreb-Net : l'IST via les télécoms, RIST, Vol 1, N1, 1991, PP 49-52. Plus de détail sur le cas des pays arabe est présenté dans le Rapport de la Banque mondiale : https://documents1.worldbank.org/curated/en/664441468059651205/pdf/827360ESW0v10P00Box3 79869B00PUBLIC0.pdf

21 Ernest and Young: Un monde très culturel. Premier panorama mondial de l'économie de la culture et de la création Décembre 2015, P 15. Disponible sur le site : https://fr.unesco.org/creativity/sites/creativity/ files/un_monde_tres_culturel._ premier_panorama_ mondial_de_le conomie_de_la_culture_et_de_la_ creation.pdf. Consulté le 30 Avril 2023.

22 Chiffre disponible sur le site : https://www.statista.com/statistics/379046/worldwide-retail-e-commerce-sales. Consulté 30 Avril 2023.