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L'université de demain: la e-université, ou plutôt la M-université

par Abdellatif Megnounif*

Il est clair qu'aujourd'hui, les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) revêtent une importance primordiale au sein des établissements du supérieur. Ces technologies qui permettent d'offrir des services très diversifiés de grande qualité et de performances inégalées, doivent être considérées comme stratégiques contribuant dans une large mesure à l'amélioration de la performance de nos universités. Elles permettent aussi la gestion efficace de la connaissance dans son sens le plus large.

L'idée est de mettre en place un système complet (gouvernance, pédagogie, recherche, administration, ...) qui s'appuie sur les connaissances et l'information pour gérer les objectifs de chaque processus du système en accord avec la stratégie de l'université. Ce système sera constitué d'un ensemble de méthodes, de stratégies, de pratiques et de techniques pour modifier, soutenir et améliorer les taches et les processus liés à l'information et ses nouvelles technologies électroniques.

Disons à cette étape que la mise en place de ce système doit passer par la formation, l'échange d'expérience et surtout la bonne intégration, au sein de l'université, d'outils basés sur le NTIC afin d'améliorer sa performance.

« L'université numérique », comme on aime l'appeler aujourd'hui ne se limite pas à mettre des cours sur une plateforme, développer des outils (dites plateformes) de temps à autre ou bien faire sortir un arrêté pour des formations diplômantes à distance à appliquer à partir de la prochaine année universitaire. C'est tout un ensemble, qui doit commencer par analyser tous les besoins de l'université dans les domaines de la pédagogie, de la recherche, de l'employabilité et l'insertion professionnelle, de la relation université-monde socio-économique, de la visibilité nationale et internationale de l'université, de la gouvernance et management, de la structure organisationnelle... On parlera alors, comme sous-systèmes qui doivent interagissent entre eux, du e-learning, de la e-recherche, de la e-gouvernance, du e-management, du e-campus... Cette analyse de besoins, pour sa réussite, doit se faire en impliquant toutes les parties prenantes de l'université (responsables, enseignants, étudiants, personnels, socio-économique, décideurs...).

La compréhension des besoins constituera la base fondamentale pour mettre en place un système numérique performant, qui n'est pas forcément le même pour toutes les universités. Au contraire chaque université algérienne doit avoir sa propre « identité numérique » qui sera clairement définie dans son « schéma directeur du numérique », qui sera en cohérence avec la stratégie globale de l'université et avec son projet d'établissement en se concentrant sur la mise en place de dispositifs de pilotage, de contrôle et de suivi.

Il ne faut pas se limiter à mettre des cours en ligne, faciliter l'accès aux ressources numériques, développer des plateformes, ... c'est un ensemble qui s'appuie sur des intranets, des extranets et l'internet qui va permettre à l'université de faire face aux nouveaux défis et de s'adapter facilement aux changements rapides que connait le monde. Un système numérique passe aussi par le choix d?une « charte numérique graphique », qui doit être très attractive et facile à naviguer. C'est la vitrine du processus de numérisation. Essayer de faire un tour sur certains sites officiels d'universités algériennes, sur certaines plateformes développées ou bien même le pro logiciel de référence « progres » et vous jugez de vous-même la qualité de la charte graphique et des fois du contenu lui-même. Deuxième étape, est de prioriser la conception du système numérique selon des critères établis suite à l'analyse des besoins. Est-ce qu'on commence par la e-pédagogie puis la e-gouvernance ? Est-ce qu'on développe en même temps ? etc.

Bien que l'université algérienne ait franchi un pas important dans la numérisation et dans le développement de certaines plateformes, beaucoup de choses reste à faire pour une université numérique performante. Ah ! la période Covid était vraiment une opportunité pour la réussite du numérique à l'université. A cette époque, on a assisté à une utilisation intense des NTIC de la part de toutes les composantes de l'université à partir presque du « zéro », avec une vitesse de croisière impressionnante. Combien de cours et de travaux dirigés ont été assurés via des logiciels comme Zoom, MS Teams, Google Meet, etc. des logiciels qui sont largement maitrisés actuellement par la plupart de nos enseignants, étudiants, administrateurs. Oh combien de réunions officielles ont été tenues en ligne, réunions de tout type, pédagogiques, administratives, décisionnelles... Combien de « mini-plateformes » ont été développées par-ci et par-là. Il est temps maintenant de faire un bilan/constat et aller vers des systèmes intégrés plus professionnels et performants où toutes les parties prenantes trouvent une réponse à leurs quêtes. On est en 2023. C'est anormal que l'université, lieu où la densité de « la matière grise » au mètre carré est la plus élevée et de loin par rapport aux autres secteurs, continue à tâtonner sur la numérisation de ces processus.

Il est temps que l'étudiant puisse avoir son propre espace numérique, sécurisé et anonyme (ENT: espace numérique de travail) où il trouvera toutes ses données personnelles, ses résultats pédagogiques, son emploi du temps... Il est temps par exemple de créer un « bureau numérique » qui constitue un portail d'accès rapide à un nombre important de services concernant la pédagogie de l'étudiant, tels que : outils d'accès aux ressources pédagogiques ; envoi et réception des travaux pédagogiques personnels, corrigés d'exercices, d'examen ; inscription et réinscription à distance et impression de la « e-carte » qui peut englober en même temps plusieurs types de cartes (d'étudiant, de bibliothèque, d'accès aux labos et parfois monétique...) ; participation à des visioconférences ; accès à toutes les formations proposées par l'établissement. La e-pédagogie passe par ses petites actions pour parler de la modernisation de l'université.

Il est temps que l'enseignant puisse avoir son emploi du temps, son volume horaire, sa carte professionnelle, sa fiche de paie, son titre de congé... signés en bonne et due forme, sans se déplacer ni attendre des journées pour les avoir. Il est temps que les responsables à tous les niveaux aient un tableau de bord en face d'eux pour accéder à n'importe quel moment à n'importe quelle base de données qui leur concerne. Ne dit-on pas que la bonne planification repose sur les chiffres actualisés et corrects.

Il est aussi temps que l'administrateur, le simple agent... puisse accéder rapidement et efficacement à des services qui les fatiguent actuellement. Beaucoup de choses restent à développer, par exemple pour une « e-gouvernance » ou un « e-management » efficace. Un simple CRI (centre des ressources informatiques) ne pourra jamais « numériser » l'université. L'introduction du numérique permet d'opérer des changements organisationnels et fonctionnels importants et nécessaires, à l'exemple de l'introduction de nouveaux supports techniques et pédagogiques, création de nouvelles directions comme la direction numérique, création d'un centre national d'enseignement à distance (comme le cas dans beaucoup de pays étrangers) ou renforcer les prérogatives du CERIST, création de nouvelles commissions de contrôle, de suivi, de mise en place d'indicateurs,... modernisation complète de services comme la bibliothèque, la gestion des dossiers (étudiants, travailleurs...)...

L'organigramme lui-même de l'université doit s'adapter en utilisant les NTIC. Il faut peut-être penser carrément à la création d'une université virtuelle et pourquoi pas adapter l'UFC (université de formation continue) à cette vision d'université virtuelle. Ces changements vont contribuer à l'amélioration de la qualité du produit, à optimiser les services aux parties prenantes, à mutualiser les équipements, à augmenter la visibilité de l'université et à aller effectivement et efficacement au « zéro papier ». La gouvernance partagée et participative est devenue primordiale grâce au numérique. Le numérique permet aussi de faciliter les contacts avec l'extérieur par la création d'espaces de collaboration et d'échanges. Le numérique permet aussi la mise en place de référentiels et de processus optimisés surtout ceux liés à l'administration, de mieux piloter les ressources humaines. Le management par processus, dans ce cas, est avantageux.

Enfin, le numérique favorise beaucoup plus la transversalité au lieu de la verticalité, à l'intérieur de l'université et à tous les niveaux. Cette démarche permet une meilleure communication et une bonne implication des différents acteurs. Ceci, c'est uniquement la pédagogie et la gouvernance, ajouter à cela, la recherche, l'employabilité et l'insertion professionnelle, la relation université avec son environnement extérieur, les relations et coopérations internationales... et vous allez découvrir que l'université de demain n'est pas seulement mettre de simples cours sur Moodle ou bien développer de « mini-plateformes » de façon disparate. Le projet ne doit pas s'arrêter à cette étape. L'université de demain n'est plus dans l'université mais à la maison, à la rue, au café, dans les bus et taxis, dans les trains et métros, dans les stations de bus et gares... Je suis très optimiste quand je vois la manière dont nos enfants manipulent leurs smartphones. C'est une révolution, bien que peut-être d'autres le voient comme négatif. Ça c'est un autre sujet. On parle actuellement de la M-université (mobil university) qui est considérée comme une évolution extrême de l'e-université. A travers ceci, on essaye de cibler un public beaucoup plus large. Ces derniers temps, et grâce aux grands efforts de l'Etat dans le domaine du numérique, le nombre d'abonnés à la 4G a explosé en Algérie, surtout chez les jeunes. Plus de 40% d'après les statistiques. Le mobile constitue actuellement l'outil principal pour le trafic Web. La disponibilité et les prix très abordables des offres sont les causes de cet engouement vers les smartphones.

Des PC de bureau et des PC portables ont presque disparu de nos campus universitaires. Avec l'évolution rapide que connait les smartphones, ces PC disparaitront complétement du paysage dans quelques années ? Il faut saisir cette opportunité pour adapter l'université à ce phénomène et faire intéresser toutes les parties prenantes de l'université aux différents services qu'on leur propose. Ne dit-on pas que l'université moderne est centrée sur les acteurs et leurs besoins et non pas sur la technologie elle-même.

En conclusion, je pense qu'on n'a pas vraiment le choix. Il faut oser et aller vers une vraie numérisation de l'université mais de façon réfléchie et avec une vision globaliste, ensembliste et où chaque partie prenante (responsables, enseignants, étudiants, administrateurs, œuvres universitaires, le monde socio-économique, ...) se considère comme acteur principal dans cette numérisation et ceci dans le but d'offrir des services et des informations qui ne peuvent que satisfaire l'utilisateur. Je suis sûr que ça va être la locomotive pour prendre en charge les autres chantiers pour une vraie université moderne.

*Civil Engineering Department - Faculty of Technology - Tlemcen University - Algeria