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La réforme de la comptabilité de l'Etat: Pour une approche patrimoniale

par Saheb Bachagha*

L'amélioration de l'information comptable de l'Etat algérien pour la faire évoluer d'une information budgétaire (de type encaissements, décaissements) vers une information patrimoniale (information sur les engagements) nécessite de mettre en place certains changements et d'engager une réflexion sur les objectifs de cette information. Cette réforme est pour l'instant partiellement engagée mais est loin d'être achevée.

La comptabilité patrimoniale consiste à comptabiliser tous les actifs (les immobilisations, les stocks, les créances et les disponibilités) et tous les passifs (les provisions, les dettes et l'actif net comptable).

L'objectif de cet article est de faire le point sur les différentes positions d'organismes de normalisation internationaux comme l'IASC et l'IFAC, pour analyser les divergences des points de vue ou les consensus sur ces différents aspects de la comptabilisation du patrimoine public. De même, cette présentation sera l'occasion de proposer différentes solutions envisageables pour la comptabilisation et l'évaluation du patrimoine se basant sur des conceptions financières ou économiques et ayant, par conséquent, des implications sur le contenu de l'information véhiculée. Toutefois, la comptabilisation du patrimoine public est une question complexe en raison des nombreux aspects qu'elle soulève. Il est donc nécessaire de la scinder en plusieurs points ayant trait :

- à l'identification de ce patrimoine,

- à l'opportunité de sa comptabilisation,

- et aux méthodes d'évaluation les mieux appropriées.

Identification et classification du patrimoine public

Les organismes de normalisation de différents pays se sont intéressés à la notion de patrimoine public et en ont donné différentes définitions. Avant d'aborder ces définitions, on peut noter que deux grandes conceptions s'opposent sur la notion de patrimoine, la première ne faisant aucune distinction entre le patrimoine public et le patrimoine privé, tandis que la seconde oppose une série de spécificités au patrimoine public qui nécessite d'être scindé en plusieurs composantes.

-La première conception se fonde sur le fait que les entreprises du secteur privé sont en possession d'actifs qui peuvent être tout aussi diversifiés que ceux détenus par les collectivités publiques. Par exemple, une entreprise peut posséder des œuvres d'art, des ressources naturelles épuisables (carrières de sables), des infrastructures très importantes (réseaux routiers mis en concession)... Ces actifs particuliers sont pourtant pris en compte dans les états financiers au même titre que les immobilisations «courantes» pour une entreprise, car ils répondent tous à la définition donnée des actifs par l'IASC(3) :

« Un actif est une ressource contrôlée par l'entreprise en raison d'événements passés et pour lequel un bénéfice économique futur est escompté pour l'entreprise »

Les organismes internationaux reprennent pour la plupart cette définition en y ajoutant parfois quelques variantes. Par exemple, l'ICCA(5) (institut canadien) définit un actif comme :

« Les ressources économiques sur lesquelles l'entité exerce un contrôle par suite d'opérations ou de faits passés, et qui sont susceptibles de lui procurer des avantages économiques futurs ».

-La seconde conception soutient que certains biens composant le patrimoine public doivent être scindés en plusieurs catégories d'actifs n'ayant pas forcément les mêmes caractéristiques, règles d'évaluation ou de comptabilisation ce qui justifierait cette distinction.

Cette deuxième conception du patrimoine public propose la segmentation suivante :

1) Les actifs «ordinaires» ou privés en ce sens que leur utilisation peut être restreinte par opposition aux biens collectifs publics. On retrouve dans cette catégorie les bâtiments, l'outillage et le matériel (y compris les véhicules), les terrains...

2) Les actifs «collectifs» en référence à la notion économique de biens collectifs pour laquelle tout individu peut avoir accès librement à ce bien collectif sans pour autant que cette utilisation limite l'accès à d'autres utilisateurs. On retrouve dans cette catégorie les réseaux routiers, les égouts... Au sein de cette catégorie, les organismes de normalisation font la distinction entre :

- les actifs d'infrastructure comme les réseaux d'écoulement des eaux,

- les actifs hérités tels que les œuvres d'art, les monuments historiques. Ces actifs doivent avoir des attributs historiques, culturels ou environnementaux.

3) Les actifs militaires, qui ne concernent en principe que les Etats.

4) Les ressources naturelles qui selon l'ICCA sont des «ressources économiques dans leur état naturel, non exploitées, y compris les terres publiques inexploitées. On peut les diviser en deux catégories : renouvelables et épuisables. Les ressources renouvelables sont les ressources qui peuvent être exploitées et gérées de façon à produire un rendement soutenu durant une période illimitée. Les ressources épuisables sont les ressources naturelles comme les gisements de pétrole et de minerai qui diminueront au fur et à mesure de leur exploitation, jusqu'à leur disparition ». En règle générale, cette catégorie d'actifs concerne surtout le niveau étatique ou régional et relativement peu le niveau local des communes.

Par conséquent, le patrimoine des Etats est composé d'actifs collectifs et militaires, de ressources naturelles et de biens privés, mais on peut se demander s'ils répondent tous aux trois critères définissant les actifs :

- l'actif procure-t-il un avantage économique futur, en particulier les produits de cet actif sont-ils supérieurs aux charges (ex. route) ou bien est-il cessible, ce qui pose le problème de la conversion en liquidité du patrimoine ?

- la collectivité locale peut-elle exercer un contrôle sur l'avantage économique ?

- le contrôle que la collectivité exerce sur l'avantage économique futur résulte-t-il d'événements passés ?

L'impact des objectifs assignés aux états financiers sur la comptabilisation du patrimoine public

Le choix de la comptabilisation des actifs et des méthodes d'évaluation est à relier aux conceptions et objectifs assignés aux états financiers consolidés. On peut ainsi retenir une conception purement financière des états financiers ou bien considérer que les états financiers sont également un moyen d'améliorer la gestion du patrimoine communal s'ils retiennent une conception à tendance économique.

- La conception financière des états financiers consisterait à n'évaluer dans le bilan que les biens pouvant faire l'objet d'une revente. Il y aurait de ce fait une distinction entre, d'une part, les biens aliénables et, d'autre part, les biens non aliénables en raison de leur utilisation (par exemple une école), ou en raison de leur nature (patrimoine historique local), ou en raison d'une absence de valeur de revente pour cette catégorie de biens (quelle est la valeur de revente d'une route ?). Par conséquent, cette conception limiterait la comptabilisation du patrimoine au seul patrimoine privé, excluant le patrimoine collectif pour les raisons évoquées précédemment. Les états financiers que l'on obtiendrait selon cette conception permettraient de déterminer la position financière de l'Etat à la condition que l'évaluation des actifs cessibles se fasse à leur valeur de revente.

- La seconde conception, que l'on pourrait qualifier d'économique, implique que les gestionnaires rendent compte de leurs actions (ou inactions), ce qui implique de savoir comment le patrimoine mis à leur disposition est géré. En effet, dans la conception financière, le fait que les biens collectifs ne soient pas mentionnés ne permet pas de déterminer quel est leur degré d'usure et les charges futures de renouvellement liées à un manque d'entretien le cas échéant. Par conséquent, la non-comptabilisation des biens collectifs ne permet pas de s'assurer que l'équité entre les générations est respectée. Suivant cette conception, les biens inaliénables, ayant une durée de vie limitée ou tout au moins nécessitant la réalisation de travaux d'entretien pour qu'ils conservent leur potentiel de service, devraient faire partie des états financiers qui rendraient ainsi pleinement compte de la gestion de la collectivité et des conséquences à long terme de cette gestion.

La conception économique exclurait des états financiers les actifs collectifs hérités au motif qu'ils sont inaliénables et ont une durée de vie quasi- illimitée. Cette classification peut être critiquée car certains biens collectifs culturels tels que les bâtiments historiques peuvent nécessiter des réparations au même titre que les actifs collectifs d'infrastructure. On pourrait donc envisager une troisième conception qui intégrerait l'ensemble des biens, mais il n'est pas évident qu'elle permette une interprétation facile des informations fournies. Cette conception, même si elle a été envisagée par la Nouvelle Zélande ou l'Australie, conduit dans la plupart des cas à retenir une évaluation au dinar symbolique des actifs collectifs hérités. Peut-être serait-il alors plus utile de tenir un inventaire extracomptable recensant ces biens et leur valeur d'assurance en cas de détérioration ou de vol.

Par conséquent, la conception économique des états financiers incluant les actifs collectifs d'infrastructure en plus des biens aliénables est la plus séduisante en termes d'information fournie et opte pour une position intermédiaire entre la conception financière relativement minimaliste et la conception intégrant l'ensemble du patrimoine et qui pose un certain nombre de difficultés en matière d'évaluation. La conception économique ne s'affranchit pas pour autant de ces difficultés d'évaluation, en particulier pour ce qui concerne l'évaluation des actifs collectifs d'infrastructure.

En résumé, il apparaît qu'en fonction de la conception retenue, certains actifs seront écartés des états financiers :

A- soit parce que, a priori, ils n'ont pas de valeur marchande ; c'est la conception financière qui peut être critiquée puisque certains biens inaliénables en fonction de leur destination peuvent être déclassés, mais aussi parce que certains biens d'infrastructure peuvent être apportés en guise d'apport en nature à une société reprenant l'exploitation de ce service. Cette conception financière semble donc devoir être écartée.

B- soit parce que leur évaluation semble difficilement réalisable, ce qui est le cas par exemple des monuments aux morts et, d'une manière générale, du patrimoine historique et culturel (peut-on capitaliser le goodwill de la renommée d'un festival). De plus, l'évaluation de ces biens inaliénables à durée de vie illimitée n'aurait que peu d'intérêt en termes d'information financière, sauf pour en déterminer la valeur d'assurance. En fait, le choix de la comptabilisation ou non d'un élément du patrimoine du groupe communal ne signifie par pour autant qu'il ne doit pas y avoir de recensement ni de suivi de ces éléments, ne serait-ce que pour mettre à jour les clauses des contrats d'assurance, ou s'assurer que ce patrimoine est en bon état (détérioration, vol). A ce dernier titre, les provisions pour grosses réparations peuvent être un moyen pour mentionner certaines charges d'entretien des monuments historiques parfois très lourdes financièrement. Cette sélection a priori des éléments d'actifs à comptabiliser peut être critiquée, mais en l'état actuel des recherches effectuées dans ce domaine, il ne semble pas pertinent de tenir compte des biens inaliénables à durée de vie illimitée et il semble préférable de se focaliser uniquement sur les biens aliénables et les biens collectifs, ce qui correspond à la conception économique.

Les méthodes d'évaluation du patrimoine public

Le choix de la méthode d'évaluation des actifs est à mettre en parallèle avec l'optique que l'on souhaite donner aux états financiers. On peut identifier deux optiques majeures :

- d'une part, celle considérant que la comptabilisation des actifs est avant tout une méthode d'étalement du coût sur la durée de vie utile de l'actif,

- d'autre part, celle considérant que la comptabilisation des actifs doit refléter l'état du patrimoine pour permettre d'évaluer dans quelle mesure celui-ci pourrait permettre de financer les dettes, et aussi pour mieux assurer la gestion de ce patrimoine.

La première optique est avant tout une méthode de lissage des résultats puisqu'il y a étalement des charges en fonction des produits. Elle est retenue dans plusieurs pays pour l'évaluation du patrimoine des entreprises et repose essentiellement sur l'évaluation au coût historique avec amortissements.

La deuxième optique implique la prise en compte des plus ou moins-values pour calculer la valeur réelle du patrimoine.

Concernant les comptes de l'Etat, on peut se demander laquelle de ces deux optiques est préférable ou la plus pertinente en fonction des utilisateurs. La deuxième optique prenant en compte le patrimoine «réel» semblerait a priori préférable car elle permettrait aux créanciers d'évaluer les garanties qui leur sont offertes (mais dans ce cas il ne faut prendre en compte que le patrimoine cessible). Par contre, elle peut aussi être soumise à critique en raison du caractère subjectif qui s'attache aux évaluations des plus ou moins-values. Par exemple on cite le cas de l'université en possession d'une collection historique qui a été évaluée dans un premier temps à 1,7 millions de dollars, valeur ramenée à 0,7 millions de dollars générant une perte de 1 million de dollars dans les comptes de l'université. En fait, la comptabilisation de ces plus ou moins-values latentes en l'absence de vente a un impact direct sur le résultat mais non sur la trésorerie. Cette déconnexion entre la trésorerie et le résultat comptable est perçue difficilement par les utilisateurs des états financiers, qui ont du mal à comprendre pourquoi il est nécessaire d'augmenter les recettes fiscales pour faire face aux échéances financières, alors même que le résultat est excédentaire en raison de la comptabilisation d'une plus-value latente (sauf si cette réévaluation a pour contrepartie un compte de capitaux propres). Le choix entre ces deux optiques, coût historique ou valeur réelle, doit également prendre en compte la nature des actifs à évaluer. Par exemple, pour les biens d'infrastructure, est-il pertinent de choisir le coût historique (très souvent ignoré) ou bien de lui substituer d'autres méthodes d'évaluation comme le coût de remplacement ou la valeur actualisée ?

En fait, il semblerait que les méthodes d'évaluation ne soient pas toutes utilisables ou tout au moins ne soient pertinentes que pour certaines catégories d'actifs. Par conséquent, avant d'opter pour l'une des deux optiques précédente, il est nécessaire de présenter les spécificités de chacune des méthodes d'évaluation et la conception des amortissements qui s'y rattache pour examiner leur pertinence afin d'évaluer les actifs d'une ville. A cette fin, on reprendra la typologie proposée par l'IASC qui recense quatre méthodes d'évaluation des actifs :

- le coût historique : les actifs sont enregistrés à leur coût d'acquisition,

-le coût actuel ou coût de remplacement : les actifs sont enregistrés pour le coût d'acquisition actuel d'actifs identiques ou proches (valeur de marché),

-la valeur de réalisation ou de revente : les actifs sont enregistrés pour leur valeur de revente sur le marché de l'occasion,

-la valeur actuelle : les actifs sont enregistrés pour la valeur actuelle des cash flows positifs ou négatifs que les actifs généreront dans les années futures.

Le coût historique est la méthode habituellement appliquée par les entreprises. Elle a le mérite de la simplicité, mais peut être très critiquée en cas de forte inflation car elle ne permet pas de prendre en compte l'évolution des prix. De même, pour les biens amortis intégralement, leur valeur comptable est nulle alors même qu'ils peuvent avoir une valeur vénale. Cette méthode est, par conséquent, souvent considérée comme respectant le principe de prudence mais pas toujours le principe d'image fidèle en ne reflétant pas la valeur des actifs.

La méthode du coût actuel ou du coût de remplacement peut être considérée comme une méthode presque symétrique à la méthode du coût historique. En effet, la valeur retenue est celle du prix d'achat à neuf de l'actif concerné ou d'un actif similaire diminué le cas échéant de l'usure constatée sur cet actif. Par conséquent, il y a déconnexion entre le coût d'achat à l'origine et le coût d'achat actuel d'un actif équivalent. Cette méthode est intéressante pour les actifs dont on ne connaît pas le coût d'acquisition à l'origine et pour lesquels il existe un marché. Par contre, cette méthode peut être jugée difficile à mettre en œuvre pour définir la notion d'actifs équivalents lorsque le bien possédé n'est plus commercialisé. En effet, les technologies évoluant, il est parfois très difficile de trouver des actifs équivalents, c'est-à-dire à capacité identique.

La valeur de revente consiste à inscrire le bien pour la valeur de revente que l'on peut en escompter. Pour pouvoir utiliser cette méthode il faut qu'il existe un marché permettant d'évaluer cette valeur de revente. Il semblerait qu'une telle méthode permette de satisfaire une vision financière du bilan (conception 1) en évaluant à leur juste valeur les actifs du bilan aliénables, permettant ainsi de mesurer les grands équilibres avec des valeurs s'appuyant sur des prix de marché. Par contre, elle est soumise à deux restrictions. En tout premier lieu, elle nécessite une réévaluation périodique de la valeur de revente des actifs, l'idéal étant de le faire tous les ans. Cela induit un travail important et peut générer des coûts supérieurs aux bénéfices informationnels obtenus. En second heu, cette méthode d'évaluation peut être soumise à des aléas et est qualifiée parfois de subjective en comparaison avec la valeur du coût historique qui est une donnée certaine : le prix payé. De plus, la valeur de revente d'un bien isolé n'est pas la valeur de revente du même bien lorsque toute l'entreprise est vendue. Par exemple, une galerie de mine a une valeur de revente nulle, mais l'ensemble de la mine a une valeur marchande.

La valeur actuelle, enfin, est utilisée pour certains biens acquis au moyen de rentes viagères. La méthode consiste à actualiser les sommes à verser au titre de la rente en utilisant un taux d'intérêt. Une telle méthode pourrait être utilisée pour l'évaluation des actifs d'infrastructure en substituant à la rente la valeur des entretiens nécessaires pour assurer le maintien du potentiel de service. Dans ces conditions, la valeur d'une route par exemple serait fonction des charges futures d'entretien permettant de maintenir en état cette route pour qu'elle puisse conserver toutes ses capacités comme celle de faire passer 50 véhicules par minute.

Ces quatre méthodes d'évaluation poursuivent des objectifs différents et ne sont adaptées qu'à certaines catégories d'actifs. On peut noter que la méthode du coût de remplacement semble plus consensuelle en raison de son champ d'application beaucoup plus large que les autres méthodes.

B l'amortissement considéré comme une technique de répartition du coût en fonction des rentrées financières futures. Il y a donc rattachement des charges liées au coût d'achat aux produits générés par cette acquisition. Cet étalement de la charge se fait sur la durée de vie économique du bien qui peut être inférieure à la durée de vie technique du bien. Dans ce cas, le bien peut être totalement amorti économiquement tout en conservant une valeur vénale. Cette conception de l'amortissement ne peut se vérifier que si l'actif génère des cash flows futurs positifs et elle est généralement associée à la méthode du coût historique ;

B l'amortissement considéré comme une technique pour permettre le renouvellement des immobilisations. Dans ce cas, l'amortissement s'entend comme une affectation de résultat pour reconstituer le capital dans une logique d'équité entre les générations. Cette méthode est associée à celle du coût de remplacement. En fait, avaient suggéré que lorsque la dépréciation est basée sur le coût de remplacement, la charge représente le coût actuel du service consommé pendant la période ;

H l'amortissement considéré comme une technique de correction de l'évaluation de l'actif en constatant la perte de valeur des actifs ou, dans le cadre du secteur public, la perte de potentiel de service. Encore faut-il que le taux d'amortissement retenu constate la dépréciation réelle du bien ou du potentiel de service. Cette dernière conception de l'amortissement peut se rapprocher de la méthode dite de l'entretien différé (20). Cette méthode consiste à mesurer quels sont les entretiens qui ont été différés et qui ont un impact sur la capacité de service de l'infrastructure. Cela implique la mise en place d'un plan de gestion des infrastructures qui devra déterminer quels sont les entretiens annuels à faire pour maintenir le potentiel de service. Trois cas peuvent alors se produire :

-les dépenses engagées maintiennent ce potentiel de service, elles sont donc assimilées à des charges de l'exercice,

-les dépenses accroissent la capacité de l'infrastructure et vont augmenter sa valeur au bilan

-les dépenses engagées n'ont pas été suffisantes pour maintenir la capacité de l'infrastructure et cet entretien différé vient diminuer la valeur des infrastructures au bilan ou peuvent être traitées comme des provisions pour entretien différé à inscrire au passif.

Le choix d'une conception de l'amortissement est donc à relier à la méthode d'évaluation des actifs et aux objectifs que devront atteindre les états financiers consolidés. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, le FASB(21) dans sa norme 93 prévoit l'utilisation pour les organismes à but non lucratif de l'amortissement basé sur le coût historique afin de permettre un étalement des charges, tandis que le GASB(22) est partisan d'une conception plus économique basée sur la mesure de la perte de potentiel de service par le biais de la méthode de l'entretien différé(23).Pour les actifs bénéficiant d'un plan de gestion décrivant le niveau attendu de service et les besoins d'entretien annuel. Par rapport aux deux optiques majeures identifiées pour les états financiers, il apparaît que la première optique de lissage des résultats est à rattacher à la méthode du coût historique, tandis que la deuxième optique d'évaluation de l'état du patrimoine doit plutôt être rattachée aux méthodes du coût de remplacement, de la valeur actuelle et dans une certaine mesure de la valeur de revente.

En conséquence si l'on souhaite avoir des états financiers homogènes dans leurs méthodes d'évaluation, il n'est pas possible de coupler à la fois le coût historique et le coût de remplacement par exemple, pour l'évaluation du patrimoine local. De même, certaines méthodes ne sont appropriées qu'à certaines catégories d'actifs. C'est le cas en particulier de la méthode basée sur la valeur de revente qui ne peut être utilisée que pour les biens privés voire pour les actifs publics inaliénables par affectation (il peut être malgré tout difficile d'évaluer la valeur de revente d'une école).

Le choix du coût historique répond à un souci de simplification (pas de modification de la valeur) et de prudence (pas d'aléa d'évaluation). Cette méthode ne permet pas toutefois d'assurer le renouvellement des actifs, à l'inverse des deux autres méthodes.

En effet, la méthode du coût de remplacement et celle de la valeur actuelle prennent en compte de manière différente l'évolution des prix et le niveau d'entretien des équipements. En fait, même si des différences subsistent entre ces deux méthodes quant à leurs objectifs et à leur conception des amortissements, on peut estimer qu'elles sont compatibles et peuvent être utilisées conjointement dans un état financier, le choix s'effectuant en fonction de la nature des actifs. Par exemple, un réseau routier sera évalué en fonction de la valeur actuelle des charges d'entretien futures tandis qu'un véhicule sera plutôt évalué en fonction de son coût de remplacement tout en tenant compte dans les deux cas du degré d'usure. Ces deux méthodes semblent donc plus appropriées pour rendre compte de l'état du patrimoine réel mais inversement sont plus lourdes à gérer car elles nécessitent une réévaluation périodique des valeurs.

Il semblerait plus informationnel de retenir une optique privilégiant l'état du patrimoine plutôt que le lissage de résultat, même si le choix de cette optique, basé sur le coût de remplacement et la valeur actuelle, est plus coûteux et accroît les retraitements de fin de période et d'homogénéité entre les différentes entités.

L'enjeu de ces méthodes d'évaluation est de pouvoir gérer de manière plus efficiente le patrimoine de l'Etat (il faut alors que les utilisateurs internes soient responsables de la gestion du patrimoine et par conséquent des amortissements) tout en fournissant une information plus facilement compréhensible pour les utilisateurs externes en faisant état de la valeur du patrimoine et de son degré d'usure.

Conclusion

La réforme de la comptabilité de l'Etat algérien pour que cette dernière adopte une comptabilité patrimoniale ne se limite pas à la seule comptabilisation des actifs immobilisés. L'évaluation des stocks, des créances, la prise en compte de risques latents par le biais de provisions... sont autant d'éléments pour lesquels une réflexion doit être menée sur les moyens de leur prise en compte et l'opportunité de leur évaluation. Le cas des actifs immobilisés est représentatif des difficultés rencontrées pour mettre en place une comptabilité patrimoniale : comment définir ces actifs immobilisés, faut-il les comptabiliser, et pourquoi, avec quelle finalité en termes d'information et de gestion ?... Toutes ces questions ont fait l'objet d'importants débats à l'étranger, principalement dans les pays anglo-saxons, et maintenant en France. Pour autant, si dans l'absolu il est possible de définir des solutions théoriques satisfaisantes, dans la réalité il est nécessaire de prendre en compte les contraintes liées à l'évaluation du patrimoine immobilier, en particulier la mise en perspective du coût engendré par rapport aux avantages retirés en termes d'efficience de la gestion et de pertinence de l'information diffusée ; rapport très difficile à établir mais qui conditionne pour une large part l'avenir de la comptabilité patrimoniale de l'Etat tout comme, nécessairement, la volonté politique de mettre en place une telle réforme.

*Expert-Comptable et Commissaire aux Comptes - Membre de l'Académie des Sciences et Techniques Financières et Comptables Paris.