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Combattre la poliomyélite jusqu'au bout

par Gargee Ghosh*

WASHINGTON, DC - Il y a quelques années, j'ai amené mes enfants pour qu'ils se fasse vacciner contre la poliomyélite, et je m'estimais chanceuse de vivre dans un endroit où l'on a accès à des interventions sauvant des vies si facilement. Nous n'avons pas eu à prendre l'autobus ou à marcher pour nous rendre à la clinique et il n'y avait aucune raison de penser qu'il n'y avait pas de doses en stock.

Même si j'étais tout à fait consciente de la protection que mes enfants ont reçue, je n'ai jamais envisagé que le poliovirus pouvait poser une menace réelle à Washington, DC. Après tout, le virus était absent des États-Unis depuis longtemps. Mais les développements récents constituent un coup de semonce mettant en évidence à quel point une chose aussi simple et normale que la vaccination peut être essentielle.

En juillet, les autorités sanitaires ont confirmé que la poliomyélite a paralysé une personne non vaccinée à New York. Ce fut le premier cas aux États-Unis en presque une décennie. Le virus a ensuite été décelé dans les eaux usées des autres régions de l'État de New York, ce qui suivait les nouvelles que Londres avait aussi détecté le poliovirus dans les eaux d'égout. L'Organisation de la santé mondiale a maintenant déclaré que le Royaume-Uni et les États-Unis sont des pays d'épidémie pour un variant du poliovirus.

D'autres exemples fusent de partout dans le monde entier. Plus tôt dans l'année, des cas de poliomyélite sauvage ont été confirmés en Afrique pour la première fois depuis plus de cinq ans, ont rappelé de façon tragique à quel point sont fragiles les progrès contre la poliomyélite dans le monde. Même si le nombre de cas a fortement baissé - plus de 99 % depuis le lancement en 1988 d'une initiative mondiale pour faire disparaître cette maladie - la dernière étape vers le zéro absolu s'est avérée ardue, même si elle est essentielle.

Heureusement, une stratégie mondiale est en place pour s'acquitter de la tâche ; mais pour qu'elle réussisse, son financement devra être adéquat. Lancée l'année dernière, l'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (IMEP), une stratégie de cinq ans qui est déjà mise en œuvre pour arrêter et prévenir de nouveaux foyers d'infection. Au cœur de la stratégie logent deux priorités : la collaboration avec les pays à risque pour protéger tous les enfants par la vaccination et l'amélioration de la vigie sanitaire pour suivre l'évolution de la maladie. Les mêmes stratégies aident aussi à administrer d'autres vaccins qui immunisent les collectivités éloignées, ainsi que les initiatives de renforcement des réseaux de santé.

La fondation Bill-et-Melinda-Gates a conjugué ses efforts avec ceux de l'IMEP, ainsi que de l'OMS, de l'UNICEF, de Rotary International et des centres de contrôle et de prévention des maladies aux États-Unis, en 2007, car nous avons constaté que le moment était opportun pour garantit que la poliomyélite ne paralyse plus jamais un enfant, et ce, dans le monde entier. La possibilité de mettre fin à ce mal est encore plus évidente aujourd'hui. La poliomyélite sauvage ne demeure endémique que dans deux pays seulement - le Pakistan et l'Afghanistan - et même si le nombre de cas est à la hausse cette année, le niveau est encore très faible.

Mettre fin à la poliomyélite n'est pas uniquement une question morale. En tant qu'économiste de la santé, je me consacre sur les incidences plus vastes que de telles réalisations peuvent avoir. Pour la poliomyélite, les avantages financiers de l'éradication seraient énormes. Si nous éradiquons le poliovirus dans les échéanciers fixés par la stratégie actuelle, le monde pourrait économiser plus de 33 milliards de dollars pour ce siècle, par rapport au coût des contrôles continus des épidémies de poliomyélite à venir.

De plus en plus de parties prenantes sont conscientes de la dimension financière et de l'importance qu'elle représente. Gavi, l'Alliance du vaccin, un partenariat public-privé qui assure la prise en charge de l'immunisation systématique dans 73 des pays les plus pauvres, est devenue membre de l'IMEP en 2019. Ce mois-ci seulement, plus d'un millier d'experts de la santé mondiale et les scientifiques du monde entier ont signé une déclaration enjoignant aux pays de financer la totalité de la stratégie contre la poliomyélite.

Les donateurs doivent répondre à cette demande et s'employer à ce que l'IMEP reçoive les 4,8 milliards de dollars dont elle a besoin. Une stratégie entièrement financée sera capable de vacciner 370 millions d'enfants chaque année pendant cinq ans, tout en préparant mieux les pays contre les menaces sanitaires futures. Tout au long de la pandémie COVID-19, les infrastructures de l'IMEP étaient la première ligne de défense pour beaucoup de pays. Depuis le début de la pandémie COVID-19 en 2020, le programme de poliomyélite a apporté son soutien pour la recherche des contacts, la surveillance des maladies et l'engagement communautaire, ainsi que la facilitation du déploiement des vaccins. Ceci n'est pas un exemple ponctuel : l'IMEP a répondu aux menaces comme Ebola, la rougeole et la fièvre jaune, démontrant un taux de rendement élevé constant.

Certes, la dernière étape dans la course contre la poliomyélite s'est avérée le plus difficile et les événements récents ont rendu le problème encore plus difficile à résoudre. La pandémie a entravé les progrès sur l'immunisation systématique mondialement. Les conflits violents, la méfiance envers les vaccins et la désinformation continuent de présenter des obstacles dans les derniers recoins où la poliomyélite se cache. En raison des inondations dévastatrices de cette année au Pakistan, les efforts d'enrayer la propagation de la poliomyélite doivent être redoublés.

Néanmoins, même si l'ampleur de la destruction au Pakistan est stupéfiante, il est encourageant de constater la réponse impressionnante montée par l'État et la communauté internationale. Un soutien additionnel est encore nécessaire pour prévenir d'autres épreuves, car les crues nivales empêchent l'accès aux soins de santé et accélèrent la propagation de maladies transmises par l'eau comme la poliomyélite, le choléra et la fièvre typhoïde. Il ne fait guère de doute que de telles conditions rendent encore plus ardue l'éradication de la poliomyélite.

Mais ces embûches ne sont pas insurmontables. Les partenaires de l'IMEP et les États du monde entier ont l'expérience collective et un plan clair pour les surmonter. Et ce mois-ci au sommet de la santé mondiale à Berlin, les donateurs ont l'occasion de contribuer à débarrasser le monde de la poliomyélite en promettant d'engager des ressources à l'IMEP.

En investissant dans l'éradication de la poliomyélite, on investit dans un monde plus sain aujourd'hui et pour les générations à venir. C'est pourquoi notre fondation reste fermement décidée à soutenir la mission de l'IMEP. Nous enjoignons aux autres parties prenantes de nous accompagner pour que nous puissions finalement l'achever.



Traduit de l'anglais par Pierre Castegnier

*Présidente des politiques mondiales et de la sensibilisation à la fondation Bill-et-Melinda-Gates