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USA : il faut arrêter la spirale inflationniste

par Jason Furman*

CAMBRIDGE - Selon les derniers chiffres de la hausse des prix et des salaires aux USA, l'inflation sous-jacente est au moins de 4% et elle va probablement augmenter encore. Bien que la Fed (Réserve fédérale) fasse preuve de volontarisme depuis quelques mois pour juguler l'inflation, elle va devoir malheureusement maintenir son plan de hausse accélérée des taux d'intérêt jusqu'à ce que l'inflation sous-jacente entame une baisse rapide. C'est particulièrement difficile quand l'économie est en phase de ralentissement, mais il serait encore pire que la Fed se mette en situation d'attente alors que l'inflation s'installe dans la durée.

Cette année jusqu'à présent, l'indice des prix à la consommation grimpe au rythme de 7,7% par an, bien au-dessus du taux de 2% ciblé par la Fed. Une partie de cette hausse tient à des événements extérieurs, notamment la guerre en Ukraine qui pousse à la hausse le prix de l'alimentation et du pétrole. Maintenant que le prix de ce dernier commence à baisser, l'inflation globale devrait entamer une baisse marquée. Pourtant, même si l'on exclue les produits dont les prix sont volatiles, l'inflation sous-jacente augmente de 4,8% par an et elle accélère depuis peu. D'autres indicateurs qui ne prennent pas en compte ces produits - comme la moyenne ajustée des prix à la consommation, le taux d'inflation médian des prix à la consommation, l'inflation du prix des services (hors énergie), et l'inflation sensible à la conjoncture (cyclically sensitive inflation) ? sont tous à la hausse, certains encore plus que l'inflation sous-jacente.

Il est difficile de trouver des justifications à cette inflation, et encore davantage de croire à l'idée qu'elle va bientôt disparaître d'elle-même comme par enchantement. La guerre en Ukraine a certes poussé à la hausse le prix de l'alimentation et du pétrole, mais cette hausse n'a pas eu beaucoup d'impact sur l'inflation sous-jacente, elle-même compensée partiellement par le changement de comportement des consommateurs qui réduisent leurs achats. En outre, l'impact de la pandémie de COVID-19 sur l'économie est plus faible qu'il ne l'a jamais été depuis février 2020, et si elle a eu un effet sur l'inflation, c'était probablement à la baisse. Beaucoup de commentateurs voyaient dans l'engorgement des chaînes d'approvisionnement la cause principale de la hausse des prix des biens, mais celle-ci a ralenti et a été remplacée par la hausse du prix des services qui sont moins volatiles. La disparition progressive des mesures d'aide lors de la pandémie devait pousser l'inflation à la baisse, mais pour l'essentiel ce processus est à l'arrêt depuis plus d'un an.

A ce stade, l'inflation est de plus en plus intégrée à la hausse des prix qui entraîne la hausse des salaires, laquelle pousse à son tour la hausse des prix. Ce processus inquiétant (la «spirale salaires-prix» que je préfère qualifier «d'engrenage salaires-prix») - est entretenu par les anticipations d'inflation à court terme qui ont nettement augmenté.

Selon les derniers chiffres, les salaires du secteur privé ont augmenté au taux annuel de 5,7 % au cours du premier semestre, soit 2,5 points de pourcentage de plus que le rythme de croissance précédant la pandémie. Une hausse de 2,5 points de pourcentage du taux d'inflation précédant la pandémie est compatible avec une inflation sous-jacente de 4,5%. Cela recoupe une estimation d'Alex Domash de la Harvard Kennedy School pour qui la hausse des salaires implique une inflation sous-jacente de l'ordre de 5%. Compte tenu du niveau de tension exceptionnel du marché de l'emploi (il y a presque deux fois plus d'offres d'emploi que de chômeurs), la hausse rapide des salaires nominaux n'a rien de surprenant.

Je souhaite que les entreprises utilisent une partie de leurs bénéfices pour couvrir la hausse des salaires, mais il ne faut pas confondre souhait et prédiction. Comme la productivité semble relativement faible, les entreprises continueront très probablement à répercuter la hausse des salaires sous la forme de hausse des prix.

La hausse des prix entraîne une hausse des salaires. Cette dynamique ne nécessite pas de syndicats ou de contrats spécifiques. Les entreprises qui augmentent leurs prix veulent embaucher ; mais pour y réussir elles doivent proposer des salaires plus élevés aux travailleurs confrontés à la hausse des prix.

Hormis la hausse du prix de l'alimentation et de l'énergie, la majeure partie de l'inflation tenait initialement à la demande. Néanmoins, même si le problème de l'offre avait été dominant (comme certains l'ont dit), nous en serions au même point, avec la hausse des salaires et des prix qui s'entretiennent l'une l'autre.

Malheureusement, il faut diminuer la demande pour rompre l'engrenage salaires-prix. Une légère baisse de la demande pourrait grandement contribuer à maîtriser l'inflation et à contenir le chômage à un niveau relativement bas. Une autre solution consisterait à pousser le chômage à la hausse pour diminuer l'inflation. Il est possible que le rapport hausse du chômage/baisse de l'inflation (que j'appelle «taux de sacrifice») exprimé en points de pourcentage soit légèrement supérieur à 5, comme lors des dernières récessions. Autrement dit, ramener le taux d'inflation de 4 % à 3 % (ce que je considérerais comme une victoire) supposerait une augmentation d'au moins 5 points de pourcentage du taux de chômage. Et si l'inflation sous-jacente est supérieure à 4 % (ce qui est probablement le cas) ou si la Fed maintient son objectif de 2 %, le «taux de sacrifice» requis pourrait être au moins deux fois plus élevé.

Aussi douloureux soit-il d'agir maintenant, attendre encore rendrait sans doute beaucoup plus difficile la lutte contre l'inflation. Plus elle s'installe dans la durée, plus grand sera lea sacrifice à faire en terme de chômage pour la combattre.

J'espère ne pas être trop pessimiste. Mais la Fed a mis l'année dernière tous ses espoirs dans une stratégie macroéconomique qui a contribué à une hausse rapide de l'inflation et à une croissance des salaires réels au plus bas depuis 40 ans. Heureusement, les responsables de la politique monétaire semblent maintenant faire preuve de plus de réalisme en se focalisant sur la baisse de l'inflation. Si elle diminue plus vite que je ne m'y attends, la Fed pourra relâcher son effort. Mais pour l'instant elle doit adhérer au principe qui lui a permis d'éviter un effondrement de l'économie en 2020 : en faire trop plutôt que pas assez.



Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz

*Professeur de politique économique à l'école d'administration publique de l'université de Harvard (Harvard Kennedy School) - Chercheur à l'Institut Peterson pour l'économie internationale. Il a été conseiller économique principal de Barak Obama lors de la présidence de ce dernier.