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Enjeu énorme du pouvoir: La réforme du système financier, fondement du développement de l'Algérie

par Dr Abderrahmane Mebtoul*

Le Conseil des ministres du 22 février 2021 s'est penché sur la dynamisation du système financier, cœur des réformes et enjeu énorme de tout pouvoir.

Les scandales financiers récents ont montré clairement que les banques publiques que le président Abdelmadjid Tebboune lors de sa campagne électorale a qualifiées de simples guichets administratifs, ayant annoncé récemment l'ouverture du capital, lors de sa rencontre avec la presse nationale le 08 août 2021, représentant plus de 85% des crédits octroyés ont servi une oligarchie rentière non créatrice de richesses.

La synchronisation de la sphère réelle et de la sphère financière, de la dynamique économique et de la dynamique sociale au sein d?une stratégie tenant compte des enjeux géostratégiques et de la transformation rapide du monde, est la condition du développement de l'Algérie. Le grand défi est de dynamiser le système financier dont la Bourse d'Alger en léthargie, afin qu'il ne soit plus un acteur passif de la redistribution de la rente des hydrocarbures dans le sillage des sphères de clientèles.

1-. Le système financier algérien est actuellement dans l'incapacité d'autonomiser la sphère financière de la sphère publique, cette dernière étant totalement articulée à la sphère publique. Le marché bancaire algérien est totalement dominé par les banques publiques, les banques privées malgré leur nombre, étant marginales en volume de transaction, avec au niveau public, la dominance de la BEA, communément appelé la banque de la Sonatrach. Paradoxe, si par le passé les disponibilités financières dans les banques algériennes étaient importantes, les banques publiques croulant sous les liquidités oisives, ce n'est plus le cas depuis 2016 expliquant, ayant décidé de ne pas recourir au financement extérieur d'utiliser la planche à billets.

La raison fondamentale du manque de dynamisme du système financier est qu'il est bureaucratisé déconnecté des réseaux internationaux, démontrant une économie sous perfusion de la rente des hydrocarbures, les banques prenant peu de risques dans l'accompagnement des investisseurs potentiels.     La persistance des déficits publics à travers l'assainissement de leurs dettes et l'appui à l'investissement, le manque de rigueur dans la gestion dont les lois de finances prévoient toujours des montants pour les réévaluations des coûts des projets publics en cours de réalisation, a produit un système d'éviction sur l'investissement productif notamment du secteur privé. L'aisance financière artificielle grâce aux hydrocarbures par le passé a permis d'éponger une fraction importante de la dette publique intérieure et extérieure artificiellement par la rente des hydrocarbures. Aussi, d'autres modes de financement pour dynamiser le tissu productif sont nécessaires.

Il y a lieu de lever la rigidité de la gestion, les banques privilégiant l'importation au détriment des producteurs de richesses. Ce qui suppose d'autres modes de financement, sans bien entendu renier les instruments classiques, afin de dynamiser les projets facteurs de croissance dont le retour du capital est lent. Le crédit-bail, qui est en fait une sous-traitance dans l'achat de biens et la gestion de prêts, peut être considéré comme un substitut de l'endettement tant des entreprises que des particuliers écartées des formes traditionnelles d'emprunt en raison de leur risque. Les petites et moyennes entreprises (PME) jouant un rôle vital dans le développement économique, par l'accroissement de la concurrence, la promotion de l'innovation et la création d'emplois, sont souvent confrontées à plusieurs défis en matière de croissance, le plus grand obstacle demeurant leurs capacités limitées à avoir accès aux services financiers.           

Les financements bancaires à long terme habituels sont généralement inaccessibles pour les PME, faute de garanties, ce qui rend les actifs mobiliers peu sûrs pour l'accès au crédit. Cette situation, ajoutée au niveau élevé des coûts de transaction liés à l'obligation de vigilance, amène les banques commerciales à continuer de privilégier les prêts aux marges, les entreprises bien établies.

Dès lors, le crédit-bail pourrait être un complément comme moyen de financement pour les entreprises plus petites qui n'ont pas une tradition de crédit ou qui ne disposent pas des garanties requises pour avoir accès aux formes habituelles de financement.

Force est de reconnaître qu'en ce mois d'août 2021, le nombre d'opérateurs privés, dont la majorité vivent grâce à la dépense publique via la rente des hydrocarbures. L'Algérie a une économie de nature publique avec une gestion administrée centralisée, du fait que les réformes structurelles de fond tardent à se concrétiser sur le terrain. La totalité des activités quelle que soit leur nature se nourrissent de flux budgétaires c'est-à-dire que l'essence même du financement lié à la capacité réelle ou supposée du trésor. On peut considérer que les conduits d'irrigation, les banques commerciales et d'investissement en Algérie opèrent non plus à partir d'une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail mais par les avances récurrentes (tirage : réescompte) auprès de la Banque d'Algérie pour les entreprise publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public sous la forme d'assainissement : rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d'Algérie, plusieurs dizaines de milliards de dollars (250 milliards de dollars durant ces trente dernières années selon un document du Premier ministère repris par l'APS le 01 janvier 2021 alors que plus de 80% de ces entreprises sont revenues à la case départ montrant que ce n'est pas une question de capital argent).     C'est que la richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Puisque pour l'Algérie, cette transformation n'est plus dans le champ de l'entreprise mais se déplace dans le champ institutionnel (répartition de la rente des hydrocarbures), dans cette relation, le système financier algérien est passif. D'où l'urgence d'une nouvelle gouvernance tant centrale que locale qui permettrait un meilleur management stratégique des entreprises qui se porteraient alors en Bourse.

La dynamisation de la Bourse passe forcément par la refonte du système financier algérien qui porte en lui la substance de l'enjeu du fait qu'il cadre parfaitement la politique économique développée jusqu'à présent et son corollaire les sources et les modalités de son financement. L'expérience algérienne depuis des décennies a montré que plus les cours des hydrocarbures augmentent, plus paradoxalement les réformes sont freinées alors que cette manne d'argent peut permettre les ajustements sociaux nécessaires et qui sont douloureux à court terme pour réaliser cette mutation systémique. La dynamisation de la Bourse veut que la dominance de l'économie soit le fait d'entreprises créatrices de richesses et que les transactions privées soient dominantes soit par la cession d'actifs existants ou par l'émergence d'entreprises privées nouvelles dynamiques locales ou internationales. Ce n?est pas le cas, puisque existe une baisse de l'investissement productif. Les investissements directs étrangers productifs hors rente sont également en baisse, les étrangers voulant voir clair sinon ils iront dans les segments à rentabilité immédiate, étant sûrs d'être payés grâce aux réserves de change qui sont en baisse étant passées de 194 milliards de dollars le 01 janvier 2014 à 44 fin juin 2021, montant non significatif car assistant à la paralysie de l'appareil de production du fait de la restriction des importations non ciblées, fonctionnant à moins de 50% de leurs capacités.

2.-La Bourse d'Alger, création administrative en 1996 est en léthargie, les plus grandes sociétés algériennes comme Sonatrach et Sonelgaz et plusieurs grands groupes privés n'étant pas cotés en Bourse. Sa dynamisation aurait permis d'éviter le financement non conventionnel où seulement pour l'année 2021 il est prévu 16 milliards de dollars, soit plus de 2100 milliards de dinars de planche à billets qui sans contreparties productives pourraient avoir un effet inflationniste.

L'important pour une Bourse        fiable est le nombre d'acteurs fiables au niveau de ce marché pour l'instant limité. Imaginez un très beau stade de football pouvant accueillir plus de 200.000 spectateurs sans équipe pour disputer la partie, les autorités algériennes s'étant contentées de construire le stade mais sans joueurs. En cette ère de profondes mutations mondiales dominées par les grands espaces économiques, l'ère des micro-Etats étant résolue, une Bourse pour 44 millions d'habitants étant une utopie étant souhaitable que la Bourse d'Alger s'inscrive dans le cadre de la future Bourse euro-méditerranéenne prévue à ?horizon 2025, supposant au préalable la résolution de la distorsion des taux de change.

La léthargie de la Bourse d'Alger renvoie principalement à un environnement des affaires contraignant lui-même lié au mode de gouvernance. L'obstacle principal est donc un environnement des affaires bureaucratisé expliquant le peu d'entreprises productives et donc cette léthargie.

Que l'on se réfère à tous les rapports internationaux, donnant des résultats mitigés, sur le climat des affaires en Algérie où le pouvoir bureaucratique décourage les véritables investisseurs. L'Algérie a un cadre macro-économique stabilisé artificiellement par la rente des hydrocarbures. Elle n'arrive pas à dynamiser la sphère réelle et risque à terme de se vider de ses cerveaux, la substance essentielle du développement du XXIème siècle.

Comme le montrent certaines enquêtes de l'ONS, l'économie algérienne est une économie rentière exportant 98% d'hydrocarbures à l'état brut ou semi-brut et important 70/75% des besoins des entreprises (dont le taux d'intégration privé et public ne dépasse pas 15%). Environ 83%du tissu économique étant représenté par le commerce et les services de très faibles dimensions, le taux de croissance officiel hors hydrocarbures étant artificiel, 80% du PIB via la dépense publique l'étant grâce aux hydrocarbures. Force est de constater que selon les données officielles, plus de 90% des entreprises privées algériennes sont de type familial sans aucun management stratégique, et que 85% d'entreprises publiques et privées ne maîtrisent pas les nouvelles technologies d'information.

La majorité des segments privés et publics vivent grâce aux marchés publics octroyés par l'Etat.

Par ailleurs, l'économie est dominée par la sphère informelle totalisant selon le président de la République entre 6000 et 10.000 milliards de dollars entre 33 et 45% du PIB, montrant la difficulté de son estimation, notamment marchande elle-même liée à la logique rentière. Car pour avoir une cotation significative, l'ensemble des titres de capital de la Bourse d'Alger doit représenter une part significative du produit intérieur brut, les volumes de transactions observés étant actuellement insuffisants. Les opérateurs privés susceptibles de se lancer dans cette activité ne pourront le faire que lorsque le nombre de sociétés et le volume traité seront suffisants pour seulement couvrir leurs frais. Cette activité est déficitaire dans les services des banques publiques là où elle est exercée.

Sur le plan technique, en l'état actuel de leurs comptes, très peu d'entreprises connaissent exactement l'évaluation de leurs actifs selon les normes du marché. Il se trouve que les comptes des entreprises publiques algériennes de la plus importante à la plus simple sont dans un état qui ne passerait pas la diligence des audits les plus élémentaires. Sonatrach a besoin d'un nouveau management stratégique à l'instar de la majorité des entreprises algériennes, avec des comptes clairs afin de déterminer les coûts par sections.

L'opacité de la gestion de la majorité des entreprises qui se limitent à livrer des comptes globaux consolidés voile l'essentiel. Pour Sonatrach par exemple, il s'agit de distinguer si le surplus engrangé par Sonatrach est dû essentiellement à des facteurs exogènes, donc à l'évolution du prix au niveau international ou à une bonne gestion interne. Aussi, il ne faut pas chercher cette défaillance dans l'appareil technique et réglementaire (Cosob SGVB Algérie Clearing) mais dans le cadre macroéconomique et macro-social dans la mesure où son efficacité doit s'inscrire au sein d'une vision stratégique claire du développement indissociable des nouvelles mutations mondiales. Dès lors comment dynamiser la Bourse d'Alger? Je recense cinq axes directeurs.

Premièrement, la levée des contraintes d'environnement dont les entraves bureaucratiques impliquant la refonte de l'Etat dans de nouvelles missions devient urgent. Il ne peut y avoir de Bourse sans la concurrence, évitant les instabilités juridiques et donc un Etat de droit.           

Cela n'est pas facile comme le démontre d'ailleurs les scandales financiers au niveau mondial supposant de la transparence. Deuxièmement, une Bourse doit se fonder sur un système bancaire rénové et j'insisterai sur ce facteur fondamental car le système financier algérien depuis des décennies est le lieu par excellence de la distribution de la rente des hydrocarbures et donc un enjeu énorme du pouvoir... Troisièmement, il ne peut y avoir de Bourse sans la résolution de titres de propriété qui doivent circuler librement segmentés en actions ou obligations renvoyant d?ailleurs à l'urgence de l'intégration de la sphère informelle par la délivrance de titres de propriété. Quatrièmement, il ne peut y avoir de Bourse sans des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales par la généralisation des audits et de la comptabilité analytique afin de déterminer clairement les centres de coûts pour les actionnaires.           

Cela pose la problématique de l'adaptation du système socio-éducatif, n'existant pas d'engineering financier. Cinquièmement, transitoirement comme amorce, nous proposons une privatisation partielle de quelques champions nationaux pour amorcer le mouvement et la création de fonds de private P/P pour sélectionner quelques entreprises privées en vue de leur introduction ultérieure en Bourse. On pourrait mettre en Bourse : 10% de Sonatrach ; 10 à 15% de BEA, CPA ; 15% de Cosider. Cela permettrait de constituer un indice boursier consistant en volume et en qualité amorçant le cercle vertueux et attirer des opérateurs privés.

Ces fonds agiraient comme incubateurs de sociétés éligibles à la Bourse. Dans ce cadre, une aide au développement des acteurs privés du secteur de l'investissement (Conseillers IOB, gestionnaires d'actifs) est nécessaire. Mais là n'est pas l'essentiel.

En résumé, outre la réforme du système politique et des institutions, en signalant que le code d'investissement et les décrets d'application de la loi des hydrocarbures sont toujours en attente, la réforme du système financier est urgente pour dynamiser le processus de développement et éviter toute déstabilisation de l'Algérie, comme je le soulignais dans deux interviews récents (2016/2017), l'une aux USA à l'American Herald Tribune et l'autre en France à la Tribune.FR, aurait des répercussions géostratégiques sur toute la région. Il y a lieu d'éviter de vivre éternellement sur l'illusion de la rente permanente. Aucun pays à travers l'histoire ne s'est développé grâce uniquement aux matières premières. Il n'y a de richesses que d'hommes. Un profond bouleversement et mutation géostratégique s'annonce inéluctable, le XXIème siècle étant dominé par l'émergence de réseaux décentralisés, qui remplaceront les relations personnalisées de chefs d'Etat à Etat, de ministres à ministres, dans le domaine des relations internationales et l'intelligence artificielle (le primat de la connaissance) révolutionnera tout le système économique mondial- Les responsables algériens s'adapteront-ils au nouveau monde dynamique en perpétuel mouvement, n'existant pas de modèle statique, ou vivront-ils toujours sur des schémas mécaniques dépassés des années 1970/1980 conduisant le pays à l'impasse ?

La transition d'une économie de rente à une économe hors hydrocarbures, dans le cadre du nouveau monde, transition numérique et énergétique, suppose donc un profond réaménagement des structures du pouvoir assis sur la rente à un pouvoir se fondant sur les couches productives et le savoir. Le compromis des années 2021-2030 devra donc concilier l'impératif de productivité et la cohérence sociale, les principes d'une société ouverte et le devoir de solidarité, en un mot l'efficacité et l'équité, d'où la nécessité d'une transformation de l'Etat gestionnaire à l'Etat régulateur, par la formulation d'un nouveau contrat social, renvoyant au débat sur la refondation de l'Etat. Évitons toute sinistrose, si ces conditions sont remplies, adaptation aux nouvelles mutations mondiales, bonne gouvernance, valorisation du savoir, l'Algérie forte de ses importantes potentialités peut asseoir une économie diversifiée, peut devenir un pays pivot et facteur de stabilité de la région méditerranéenne et africaine.

*Professeur des universités, expert international