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Lettre ouverte à MM. le ministre de la Santé et le ministre de l'Industrie

par Kouloughli Noureddine*

Dès le début du mois de juillet, quand j'ai appris un manque d'oxygène dans les hôpitaux causant la mort de plusieurs de nos compatriotes hospitalisés ; spontanément en tant que simple citoyen j'ai lancé un appel sur la story de ma page Facebook priant les 3 principales aciéries du pays El Hadjar (Annaba) ,Bellara (Djidjel) et Bethioua (Oran) à mettre en veilleuse leurs fours sans donner, pour autant, d'explication dans mon message. Ce message qui leur a été adressé était pour ravitailler en oxygène les hôpitaux en manque.

Aujourd'hui par cette lettre, je m'évertue à donner plus d'éclaircissements aux communs des mortels avec plus de précision et dans un langage très simple, sans entrer dans les détails techniques de production de l'acier.

En effet, la fonte est produite dans un haut fourneau, c'est un matériau très fragile et cassant à cause de son pourcentage élevé en carbone. Pour fabriquer de l'acier on insuffle de l'oxygène qui est un gaz comburant dans la fonte liquide qui se trouve dans le convertisseur pour éliminer le carbone ainsi que d'autres éléments chimiques. L'aciérie d'El Hadjar produit quotidiennement 2.500 T d'aciers liquides. Pour ce faire, il faut un minimum de 15 m³ d'oxygène/T de fonte soit 37.500 m³/jour. Il en est de même pour les 2 autres aciéries citées plus haut. Leurs consommations d'oxygène est fonction du tonnage de fonte liquide réduite en acier.

Les autres consommateurs d'oxygène par ordre décroissant sont:

- Les entreprises de constructions métalliques (ENCC du groupe IMETAL) pour l'oxycoupage de tôles et des profilés.

- Les chantiers de réparation navals.

- Les chaudronniers

- Les tôliers. etc.

Par cette période de grande chaleur, je les appelle à faire un geste humanitaire en diminuant leurs consommations d'oxygène au profit de nos malades dont certains meurent par manque de ce gaz.

Où est produit le gaz d'oxygène ?

Les aciéries suscitées possèdent leurs propres générateurs.

- Le complexe sidérurgique d'E Hadjar, actuellement à l'arrêt et qui produit 5.000 litres/jour aux hôpitaux, pourrait fournir plus si ce n'est la panne des transformateurs des générateurs qui datent depuis 1970.

-Le site de l'aciérie de Bellara assure la production de 45.000 litres/ jour dont une grande partie est destinée actuellement aux hôpitaux.

- L'aciérie de Bethioua de Tosyali produit 45.000 litres/ jour dont une grande partie est destinée actuellement aux hôpitaux.

- Sidal Air liquide en activité depuis 1975 produit 20.000 litres/ jour mis sur le marché.

- Lind Gaz Algérie, depuis 1970, produit 150.000 litres/jour mis sur le marché.

- Calgaz Algérie, créé en 2018, produit 150.000 litres/ jour mis sur le marché.

-Aurès Gaz, fondé en 2001, produit 20.000 litres/ jour mis sur le marché.

Soit un total de 435.000 litres/jour de production nationale.

-Les concentrateurs (la forme la plus économique)

-Les concentrateurs portables (individuels de 5,10, 15, à 20 litres).

-Les générateurs d'oxygène installés sur cite de certains hôpitaux et cliniques exclusivement dédiés à l'alimentation de leurs réseaux.

-Certains hôpitaux sont dotés de citernes alimentées par des camions-citernes.

-D'autre utilisent des bouteilles (obus) de 50 litres (200 bars).

Au vu et au su de tout le monde, la capacité d'oxygène est insuffisante. Heureusement que notre Armée, l'État et la population qui s'organise en système autogestionnaire national en solidarité populaire à travers des Associations pour la collecte des fonds, certains privés et entreprises publiques ayant mis la main à la poche pour l'achat de concentrateurs et de générateur à oxygène. La diaspora s'est mise aussi de la partie sans oublier les bienfaiteurs qui sont restés dans l'anonymat. La machine pour notre indépendance en oxygène s'est mise en route, seulement, il ne suffit pas de produire de l'oxygène, il faut penser à le transporter.

Transporter les obus de 50 litres, c'est facile, mais acheminer l'oxygène vers les citernes des hôpitaux, il faut toute un logistique de transport par camions-citernes à haute pression pour acheminer le produit vers leurs destinataires à travers un territoire très vaste.

Notre pays possède-t-il cette flotte logistique ? Avec modestie, je fais 2 propositions : la plus urgente est de reconvertir la flotte de camions ?Sirghaz' en adoptant les flexibles qui vont du camion-citerne aux citernes. Certes les automobilistes seront pénalisés en ?syrghaz' ce qui ne les empêchent pas de rouler avec de l'essence, en attendant que la situation se normalise. La deuxième solution : j'implore le groupe IMETAL (groupe métallurgique et sidérurgique) de donner instruction à une de ses entreprises ENCC, se trouvant à Annaba, spécialisée dans la fabrication des citernes à haute pression de différentes capacités à doubler d'efforts pour la confection de ces dernières. Je connais cette entreprise puisqu'en 1986 notre unité fonderie d'Oran de Gambetta l'a approvisionnée en pièces pour concasseurs de gros tonnage.

Les citernes fabriquées seront destinées en priorité à équiper les camions pour transporter ce liquide si précieux, aujourd'hui, et en second lieu fournir les hôpitaux en citernes pour le stockage. La contenance des citernes est de 5 à 30 m³ suivant la grandeur de l'hôpital.

Certains responsables optent pour doter leurs hôpitaux en générateurs d'oxygène, je leur demande de réfléchir par deux fois. A mon humble avis, il plus sage de se doter d'une cuve de stockage, car il n'est pas facile aujourd'hui de gérer un générateur, avec tous les tracas du quotidien pour maîtriser les pannes de leurs équipements. A cela il faut ajouter le souci à gérer les pièces de rechange de ce nouvel équipement. Je crois qu'il faut laisser à des spécialistes le soin d'investir dans les générateurs à oxygène et assurer le service après-vente auprès des hôpitaux. Il faut les encourager. Maintenant s'ils ont les moyens financiers (les responsables des hôpitaux) et la maîtrise de dépannage de leurs équipements, ils peuvent faire un investissement mixte (générateur et citerne de stockage).

Dans un autre registre dans certains hôpitaux les bouteilles de 50 litres (obus) sont les plus utilisées durant cette période, malheureusement elles sont manipulées avec brutalité durant leur chargement ou déchargement .Dans les médias lourds, j'ai pu constater qu'une grande partie de ces bouteilles ne possèdent pas de chapeaux, ce dernier est une sécurité pour la protection du robinet en laiton et de son filetage durant leurs transport. Si le filetage est détérioré il sera impossible de monter le manodétendeur et la bouteille est réformée. A cette occasion, j'invite les entreprises de remplissage de ces obus à passer commande de ces chapeaux auprès de l'unité fonderie d'Oran se trouvant à Gambetta. Les outillages et la fiche de fabrication existent, ils ont été réalisés en 1986 pour la fabrication des chapeaux pour le compte de la société Air liquide Algérie. La capacité de production à l'aide de 2 équipes est de1.000 pièces tonnes/jour soit un tonnage de 8 tonnes de métal/jour.

Sans jeux de mots, une bouffée d'oxygène pour la fonderie acier, car elle manque de charges et elle est presque à l'arrêt. Il en est de même pour son atelier mécanique pour la réalisation du filetage de ces chapeaux.

Je finis cette lettre ouverte en m'inclinant devant toutes ces victimes et en présentant mes condoléances à toutes ces familles endeuillées par ce maudit virus et un prompt rétablissement à nos malades. Je tire un grand chapeau pour les trois aciéries du pays pour leurs gestes humanistes en réservant presque l'intégralité de production en oxygène pour nos malades. Et je salue avec fierté nos soldats en blouse blanche, infirmiers et infirmières qui sont tombés sur le champ d'honneur, une pensée pour leurs familles. Je salue aussi l'élan de solidarité populaire ainsi que toutes les couches de la société du pays ayant contribué par leurs efforts aussi bien financiers, matériels ou moraux en riposte à la propagation de la pandémie Covid-19.

NB: un internaute m'a interpellé sur ma page Facebook me demandant la différence entre l'oxygène médical et l'oxygène industriel, je lui ai répondu que c'est le même produit, la seule différence c'est l'étiquetage pour différencier les destinataires (le médical et l'industriel).

*Consultant en Fonderie