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Il quitte le gouvernement: Chaabna refuse de renoncer à la nationalité française

par Ghania Oukazi

Le 1er ministère a rendu public hier un communiqué pour affirmer que Samir Chaabna ne fait plus partie du gouvernement.

«Lors des consultations pour la constitution du gouvernement, M. Samir Chaabna a accepté le portefeuille de ministre délégué chargé de la Communauté nationale à l'étranger sans pour autant déclarer sa double nationalité», écrit le 1er ministère. «Il a été demandé à M. Samir Chaabna de se conformer aux dispositions prévues par la loi n° 17-01 du 10 janvier 2017 fixant la liste des hautes responsabilités de l'Etat et des fonctions politiques dont l'accès requiert la nationalité algérienne exclusive et de renoncer à sa nationalité étrangère», fait-il savoir. «Devant son refus et sur décision de Monsieur le Président de la République, sa nomination en tant que ministre délégué chargé de la Communauté nationale à l'étranger a été annulée et par conséquent, M. Samir Chaabna ne fait plus partie du gouvernement», affirme le 1er ministère. En fait, ce communiqué est venu confirmer ce qui fait le buzz sur les sites électroniques et réseaux sociaux depuis que le nom de Chaabna a été cité dans la composition du gouvernement remanié mardi dernier. Entre autres informations qui ont fait le tour de l'Algérie et d'ailleurs, celle faisant savoir que Samir Chaabna s'était entendu avec Abdelaziz Djerad pour renoncer à son poste gouvernemental. C'est peut-être ce qui a obligé le 1er ministère à réagir hier pour mettre fin officiellement à cette controverse stérile et a mis à nu un manque de vigilance fragrant des plus hautes autorités de l'Etat. «L'affaire» Chaabna rappelle, à un degré moindre, l'aveu officiel qui disait que le consul général marocain à Oran faisait partie des services du renseignement.

Quand «la fiche bleue» brisait des carrières

Depuis toujours, les puissants services du DRS établissaient des fiches d'habilitation à tous ceux qui devaient être nommés à des hautes fonctions de l'Etat et comme cadres dans des entreprises publiques. «La fiche bleue» devait absolument «tomber» avant que le choix «politique» n'ait été porté sur qui que ce soit. Au milieu des années 2000, Bouteflika, alors président de la République, avait mis fin à cette pratique d'officines qui n'avait pas que le bon côté du contrôle de qui faisait quoi dans la haute administration. Ceux qui établissaient la fameuse «fiche bleue» avaient un droit de vie ou de mort sur les responsables et les cadres. Nombreux d'entre ces derniers ont été sacrifiés sur l'autel de la suspicion, les fausses déclarations des services ou alors leur décision de briser de brillantes carrières professionnelles. Le rattachement des services du renseignement à la présidence de la République ou leur renvoi dans leurs casernes à cette époque devait inclure leur retrait des administrations publiques (ministères, institutions, entreprises et autres structures de l'Etat). Dernière action en date décrétée par le président Bouteflika, la mise de fin de fonction des «colonels» à la retraite qui avaient été placés à tous ces niveaux pour épier et établir des fiches sur les personnels en activité. Ces «colonels» ont été pendant longtemps «l'œil de Moscou» à travers le pays au profit des hauts responsables des services. Beaucoup de leurs «observations» ont fait mal à des cadres intègres mais couvert en parallèle des responsables placés pour servir des intérêts occultes. La suite est connue pour avoir opposé des ploutocrates et nababs incultes agissant au vu et au su de l'ensemble des autorités civiles et militaires de l'Etat de toutes les époques.

Des erreurs de casting absurdes

Le démantèlement de ce système amorcé à partir de 2015 ne devait nullement priver l'Etat de moyens modernes d'évaluation justes pour nommer ses représentants et éviter des erreurs de casting absurdes. Mais il semble que c'est le cas puisque contrairement à tous les Algériens, les gouvernants actuels ne savaient pas que Chaabna avait la double nationalité. Sa nomination dans un pays narcissique devait inévitablement susciter de vives réactions allant de la «dénonciation» de son statut de binational, à son prétendue mission de «l'œil de Paris à Alger» en passant par le rappel de ses déclarations sur sa disposition à renoncer à sa nationalité française au cas où une haute fonction de l'Etat lui est proposée. Samir Chaabna a été présenté comme un intrus dans le gouvernement Djerad. Pourtant, il n'est ni bon ni mauvais plus que tous les autres membres du gouvernement. Excepté quelques-uns qui se comptent à peine sur les doigts d'une seule main, le choix de tous les autres incite à de grandes interrogations autour de leur probité, compétence et efficacité.

Les «technocrates» n'ont jamais été des meneurs d'hommes. Or, c'est ce qui manque le plus pour diriger un pays qui a perdu tous ses caps d'orientation. Vu sous cet angle, Chaabna a raison de choisir la facilité de conserver la nationalité française au lieu de la contrainte d'être ministre dans un gouvernement qui déjuge ses propres décisions. Il faut avouer que le statut de binational de ce député de la zone 2 France (sous la casquette du parti El Moustakbal de Abdelaziz Belaïd) fait rêver de nombreux Algériens. Les discours «nationalistes» ne sont qu'hypocrisie et de la propagande de mauvais goût. Le retrait ou l'exclusion (c'est selon) de Chaabna du gouvernement ainsi que les critiques acerbes qu'il a subies ont comme référence l'article 63.22 de la Constitution qui stipule que «l'égal accès aux fonctions et aux emplois au sein de l'Etat est garanti à tous les citoyens, sans autres conditions que celles fixées par la loi. La nationalité algérienne exclusive est requise pour l'accès aux hautes responsabilités de l'Etat et aux fonctions politiques. La loi fixe la liste des hautes responsabilités et des fonctions politiques visées ci-dessus». L'on note que cette disposition a été supprimée par la commission d'experts de révision de la Constitution en vigueur. D'ici là, les hauts cadres de l'Etat, qui sont comme Chaabna des binationaux, devront bien se terrer pour ne pas être débusqués, jusqu'à ce que la nouvelle Constitution soit promulguée.