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Comment la sécurité sociale peut rendre les femmes plus autonomes

par Phakama Ntshongwana1, Nicola Ansell2 et Keetie Roelen3

PORT ELIZABETH/LONDON/BRIGHTON – Vivre dans la dignité, à l’abri du besoin, est un droit individuel fondamental. La sécurité sociale est la clé pour faire valoir ce droit, car elle permet aux gens d’échapper à la pauvreté et à l’insécurité. C’est pourquoi la sécurité sociale est au centre des stratégies pour vaincre la pauvreté dans le monde d’ici 2030, le premier des 17 objectifs de développement durable des Nations unies. Or, pour que ces stratégies puissent faire leur œuvre, elles doivent aller plus loin - particulièrement en ce qui a trait aux femmes.

Ces dernières années, bon nombre de pays - particulièrement en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes - ont fait des pas de géants dans l’amélioration de la sécurité sociale. Mais la plupart des politiques et des initiatives sont déficientes et près de quatre milliards de personnes n’ont toujours aucune sécurité sociale. Puisque les femmes sont celles qui travaillent sans rémunération, elles sont celles qui risquent le plus de pâtir de cet échec.

La question de la sécurité sociale était en tête de liste du programme à la 63e Commission de la condition de la femme des Nations unies, qui a eu lieu le mois dernier. Les ONG, les défenseurs des femmes, les responsables politiques et les universitaires ont recommandé de favoriser l’entrée des femmes sur marché du travail, notamment grâce à des initiatives pour les inciter à occuper un emploi et aux prestations d’aide sociale, comme des services de puériculture. Prenant pour exemple des pays ayant atteint l’égalité des sexes comme l’Islande et la Norvège, les participants ont reconnu que ce n’est que lorsque les deux sexes sont sur un pied d’égalité, sans écart salarial, les jeunes filles et des femmes peuvent réaliser leur potentiel.

Le premier jalon à franchir pour élaborer des stratégies porteuses est d’acquérir une connaissance plus nuancée des difficultés que bien des femmes éprouvent alors qu’elles tentent de jongler entre leurs multiples rôles. Outre le «travail invisible» de tenir ménage et de s’occuper des enfants, les femmes des familles à bas revenu doivent en plus contribuer aux finances du ménage. Ainsi, les femmes constituent la majorité des effectifs de première ligne dans les secteurs du service public.

Les mères monoparentales portent un fardeau particulièrement lourd. Être monoparentale est ardu, quel que soit le contexte. Mais c’est d’autant plus difficile pour une femme dénuée de moyens, qui est peu scolarisée ou sans formation, et qui a un accès limité ou nul à la sécurité sociale ou à l’aide publique. Ajouter à cela le discours condescendant sur la condition monoparentale et la «culture de dépendance» et le problème peut sembler insurmontable.

Pourtant, c’est la réalité à laquelle les femmes sont confrontées dans bien des pays. En Afrique du Sud, par exemple, les adultes aptes au travail ne reçoivent aucune assistance sociale. Même s’il existe un programme d’allocation familiale liée au revenu des parents qui ont la charge d’enfants à titre principal, les prestations ne suffisent pas à combler les besoins des enfants. De toute façon, ceux qui acceptent l’aide sociale sont souvent regardés de haut par les membres de leur communauté.

En Haïti, les femmes cherchant du travail reçoivent, il est vrai, un peu d’aide, par le truchement d’initiatives comme celle mise de l’avant par l’organisme local Fonkoze. Mais on s’intéresse peu aux problèmes particuliers avec lesquels les femmes doivent composer, car bien souvent elles sont seules à pourvoir aux besoins de leur famille.

Sans assistance sociale, les mères démunies sont souvent placées devant un choix impossible : ne plus s’occuper de leurs enfants ou renoncer à un gagne-pain dont elles ont absolument besoin. Lorsqu’une prestation de sécurité sociale pour des cheffes de famille démunies est liée à une obligation de chercher du travail, elles n’ont même plus ce choix à faire.

Pour résoudre ce problème, les États devront revoir les programmes de sécurité sociale dans le but d’en élargir l’accès. En premier lieu, il est important de prendre conscience que les femmes ne cherchent pas uniquement de l’«argent gratuit». Les jeunes hommes ont souvent tendance à éprouver un plus grand sentiment de honte lorsqu’ils reçoivent des revenus sans travailler en retour. Ceci provient évidemment des normes culturelles voulant que ce soit les hommes qui doivent subvenir aux besoins de la famille. Or, les jeunes femmes ont tout aussi tendance à se voir dans le rôle de pourvoyeuse et non uniquement comme éducatrice.

Les données recueillies dans le cadre de programmes de transferts monétaires ciblant la pauvreté dans les régions rurales du Malawi et du Lesotho viennent étayer cette conclusion. Même si les femmes dénuées de moyens sont heureuses de recevoir ces sommes d’argent tellement nécessaires, le statut de bénéficiaire de prestations de sécurité sociale les met souvent mal à l’aise, car elles préféreraient apporter des contributions productives à leur famille et à leur communauté. C’est pourquoi il est vital d’offrir aux femmes des perspectives réelles de gagner un revenu, au lieu de se contenter de distribuer de petites sommes qui les maintiennent juste au-dessus du seuil de pauvreté.

De plus, ce ne sont pas toutes les femmes qui veulent jouer le rôle d’une puéricultrice. Les femmes ont leurs propres ambitions. Leur objectif est peut-être de subvenir aux besoins familiaux, que ce soit dans leur rôle de mère ou de soutien de famille, mais ce n’est pas toujours le cas. Elles ont besoin d’aide pour pouvoir choisir la forme que leur contribution prendra, et aussi pouvoir accéder à du travail pertinent et utile.

Il est essentiel que les hommes et d’autres proches aidants participent à la mise en œuvre de systèmes de sécurité sociale qui aident vraiment les femmes. Il faut cependant l’accompagner de soins médicaux abordables et de qualité, d’écoles et d’autres équipements sociaux. Les programmes ciblés sur la relance de la sécurité sociale et de meilleures perspectives d’emploi pour les femmes doivent reformuler le langage utilisé, afin de déboulonner les idées préconçues voulant que ce soient principalement les femmes qui doivent rendre des services gratuits dans le noyau familial. Finalement, des efforts devraient être faits pour resserrer les liens au sein de la communauté, afin de gagner la confiance nécessaire pour réintroduire le type de soins aux enfants qui prévalait avant que s’installe l’idéal du ménage autonome, avec le père pourvoyant aux besoins de la famille et la mère qui s’occupe des enfants.

Des données du monde entier démontrent le besoin urgent de politiques de sécurité sociale et d’initiatives qui assurent non seulement la survie des femmes, mais qui leur permettent de s’épanouir. Ceci doit se traduire par un véritable soutien aux femmes pour qu’elles puissent s’intégrer au monde du travail - notamment en allant à l’école et en acquérant des compétences - tout en prenant en compte de l’étendue actuelle de leurs responsabilités. Par-dessus tout, cela signifie qu’il faut donner les moyens aux femmes de décider de l’équilibre à atteindre entre occuper un emploi et prendre soin de sa famille qui leur convient le mieux.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier
1- directrice du campus Missionvale à l’Université Nelson Mandela en Afrique du Sud
2- professeure de géographie humaine à l’Université Brunel de Londres
3- chercheur universitaire et codirectrice du Centre de sécurité sociale à l’Institut des études sur le développement