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Justice et crise politique: Le procès de Ali Haddad renvoyé au 3 juin

par Ghania Oukazi

Ali Haddad est revenu, hier, à la prison d'El Harrach après le renvoi de son procès par le tribunal de Bir Mourad Raïs, au 3 juin prochain à cause de l'absence des témoins.

Premier appréhendé et premier incarcéré parmi toutes ces personnes qui ont été, il y a à peine deux mois, les colonnes du pouvoir Bouteflika, l'homme d'affaires Ali Haddad est revenu, hier, en fin de matinée, à la prison d'El Harrach parce que l'ouverture de son procès a été reportée au 3 juin prochain. Il était arrivé quelques minutes avant au tribunal de Bir Mourad Raïs, cette fois à bord d'un fourgon de la police et non de la gendarmerie. Ali Haddad a été arrêté, au poste frontalier d'Oum Etboul par lequel il devait entrer en territoire tunisien. L'autorité judiciaire avait précisé qu'il était en possession de plusieurs passeports, de permis de conduire et d'une somme importante en dinars et en devises. Il est poursuivi pour «faux et usage de faux». Incarcéré depuis le 9 mars dernier à la prison d'El Harrach, Haddad devait être confronté à quatre témoins, employés de la circonscription administrative de Bir Mourad Raïs qui auraient «à dire » sur qui l'aurait aidé à se faire délivrer de faux papiers d'identité. Il semble que la justice a eu plus de facilité à ramener «comme témoin» les ex Premiers-ministres, ministres, walis et autres fonctionnaires de l'ex-pouvoir Bouteflika que quatre employés administratifs qui auraient permis l'ouverture du procès de Haddad. Ce premier report de l'histoire nouvelle d'une justice pourtant express augure d'une ère de procès qui pourraient traîner en longueur et en lenteur.

Transformé en icône du monde des affaires pendant de longues années, l'ex-président du FCE (Forum des chefs d'entreprises) est devenu en peu de temps, le prisonnier qui aurait entraîné dans sa chute un nombre effarant de ceux qui l'ont fait. Cela signifierait que les chefs d'inculpation retenus contre lui seraient nombreux et divers comme l'est le «conglomérat » des responsables qui lui auraient permis de s'enrichir d'une manière illicite ou de bénéficier de marchés et de projets d'investissements en violation de la réglementation en vigueur. La forte relation d'intérêts sonnants et éclatants qui liait les hauts responsables convoqués par le tribunal de Sidi M'Hamed et le prisonnier Haddad était étalée au grand jour et n'a jamais été cachée au commun des mortels. Elle était même au cœur des discussions de cafés et même de bains maures.

La corruption, choix suprême du système depuis l'indépendance

De «Ali Elgoudroune», le patron de l'entreprise privée des travaux publics et du bâtiment, les gouvernants ont en fait une personnalité de «1er rang» et l'homme clé du monde politico-financier du pays. Ils le montraient avec fierté sans qu'aucune justice ne s'en était inquiétée. Lui non plus ne s'en est pas caché même s'il a toujours été en public un homme simple, timide et plein d'humilité. Il est tout le contraire d'un Ouyahia arrogant et suffisant. Décrire le personnage, aujourd'hui, après qu'il est devenu un numéro d'écrou, depuis deux mois et dix jours, permet entre autres éléments de constater les dégâts d'un système politique qui s'est perpétué, de tout temps, en cooptant ses alliés et serviteurs dans les milieux financiers, affairistes et même dévergondés. Ce sont, peut-être là, les critères qui lui permettent de les garder à son service et de les tenir en laisse. L'on parie cependant que jamais un Premier ministre, ministre ou tout autre responsable ne s'est imaginé, un jour, se retrouver devant un juge d'instruction parce qu'il a été «balancé» par une personne qu'il a lui-même fabriqué et formaté dans les secrets d'une gestion par la roublardise, le mensonge et la fausseté au sens large et profond des termes. Ce mode de gouvernance n'est pas l'œuvre du Président Bouteflika seul ni de son frère. C'est le choix suprême de tous les gouvernants qui se sont succédé aux commandes civiles et militaires depuis l'indépendance du pays. Ils en ont fait, sans conteste, un instrument de pouvoir absolu. En 1986, un des responsables avait évoqué un détournement de deniers publics de l'ordre de 26 milliards. A ce jour, l'affaire n'a pas été élucidée. Un argent qui n'a jamais été récupéré tout comme les volumineux crédits accordés par les banques publiques à des personnes influentes du temps de la présidence de Zeroual et avant, du temps du HCE (Haut Comité d'Etat) et au-delà. La justice a tout laissé passer. Les sales affaires d'escroquerie, de vol, d'accaparement de richesses et d'émergence de fortunes colossales illégales sont les faits d'un système qui a toujours réussi à rebondir. Pour cette fois, il enrage à sacrifier le clan Bouteflika mais il sait qu'il devra composer avec des forces «extra constitutionnelles» qui règnent en maîtres sur le pays bien avant 99.

Avec qui composera Gaïd Salah ?

Le chef d'état-major de l'ANP met en avant la légalité constitutionnelle pour ne pas provoquer les foudres de l'affrontement et pour empêcher sa fragilisation et la fin de son règne. Contre vents et marées, Gaïd Salah tient aux élections présidentielles pour éviter, a-t-il dit, hier, depuis Djanet (4ème Région militaire), «le piège du vide constitutionnel (?).» Les élections mettent fin, selon lui, «aux manœuvres de celui qui veut étaler la crise dans le temps.» Il a mis en exergue la nécessité de mettre rapidement en place une commission nationale indépendante de leur organisation. Commission qui a été mise en tête des recommandations de «la conférence du dialogue» organisée à Club des pins par la présidence de la République avec une poignée de représentants politiques et de la société civile. L'INESG lui a donné la formule technique pour activer les mécanismes de cette mise en place en peu de temps et lui a élaboré le tableau de bord pour organiser des élections «propres et transparentes.» Bien qu'il s'est contenté, hier, de faire dans les grands principes, le chef d'état-major semble édicter une feuille de route qu'il n'est pas prêt (encore) à changer. Il le démontre au moins par son insistance sur la tenue des élections présidentielles. Il en a la volonté (farouche), les moyens et les conditions requises. Il a en eu les techniques à partir du dialogue qu'il défend et les candidats. Il pense peut-être ignorer toutes les voix discordantes et ouvrir l'urne à ceux qu'il aurait choisis parmi les 72 candidats à la candidature, jusque là enregistrés par le ministère de l'Intérieur dans le secret total. C'est parmi eux et de certains soutiens politiques qui lui demandent de s'impliquer dans le politique que le chef d'état-major choisirait avec qui il composerait pour aller au bout de ses idées. L'équation n'est pas impossible. Reste que Gaïd Salah fait face à une forte contestation que des réseaux occultes organisent, encouragent et entretiennent et lui échappent totalement.