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Prévue aujourd'hui: Une conférence nationale vouée à l'échec

par Ghania Oukazi

C'est aujourd'hui que Abdelkader Bensalah compte réunir au Palais des nations de Club des pins, les personnalités qu'il a invitées pour «une conférence de dialogue et de concertation. »

Après avoir adressé, jeudi dernier, des invitations à plusieurs parties (partis politiques, associations, organisations, personnalités), la présidence de la République a contacté hier les médias pour accréditer leurs représentants pour la couverture de la conférence qui se tient -sauf imprévu- aujourd'hui au Palais des nations de Club des pins. Le chef de l'Etat s'entête ainsi à aller à contre courant de ce qui se trame dans le pays après 9 vendredis de suite de contestation populaire. Des revers, Bensalah en a essuyé un grand nombre depuis son installation au palais d'El Mouradia. Dès son annonce de la tenue de la conférence en question, des refus de participation ont fusé de toute part. Plusieurs partis politiques se sont empressés de rejeter son offre en lui soulignant qu'il est «illégitime » et qu'il doit démissionner. «J'ai été sollicité mais j'ai décliné l'invitation parce que je considère que cette rencontre ne servira à rien, » nous a dit hier un politologue à qui Bensalah a proposé d'être dans «le bureau» de la conférence. Notre interlocuteur justifie son refus par le fait que « la tenue d'une telle rencontre est le point 4 de la feuille de route qui est entre les mains du Haut commandement de l'armée, les trois premiers ont été appliqués mais ont été contestés par tout le monde, alors à quoi sert-il de dialoguer et de se concerter alors que le début de l'application de la feuille de route n'a pas abouti aux objectifs escomptés ?!? » L'on se demande si Bensalah croit vraiment qu'il va réussir à mener à bien une démarche vouée d'emblée à l'échec au regard des obstacles qui obstruent son issue. Qui plus est, elle est prévue alors que le pays vit des séquences de perturbations les unes plus dangereuses que les autres.

Violences partisanes et retournements de veste

Parallèlement aux vendredis de la contestation populaire qui se suivent et se ressemblent, ou presque, des états-majors de partis politiques choquent par des scènes de violence verbale et matérielle (insultes, menaces, armes blanches, jets de pierre), certains par des retournements de veste indécents, grossiers et malsains, d'autres par la dénonciation de l'illégitimité de leur direction après l'avoir cautionnée durant toutes les étapes de coups de force machiavéliques, des étudiants frôlant l'année blanche et d'autres faits inquiétants qui montrent que depuis la destitution de Bouteflika, le pays part dans tous les sens. En faisant démissionner le président de la République, le chef d'état-major de l'ANP pensait amadouer le « hirak » qui l'a pris de court. Ahmed Gaïd Salah mène une guerre de positions qu'il lui sera difficile de gagner tant ses adversaires sont tapis à l'ombre de nombreux acteurs virtuels et réels. Des actions de désobéissance tous azimuts sont devenues légion depuis le 22 février dernier. La scène de Seddik Chihab qui insulte Ahmed Ouyahia est hallucinante. Si le second a toujours été qualifié de «l'homme des sales besognes», le premier, après avoir été son bras droit, l'accuse toute honte bue d'avoir «trompé le peuple et les militants pendant de longues années par un discours nationaliste alors qu'il s'avère être un ennemi de l'Algérie et suit un agenda précis de forces étrangères. » Placé, renforcé et protégé par Ouyahia, Chihab est devenu du jour au lendemain son pire adversaire. En s'attaquant aussi violemment à l'ex-1er ministre, «Chibah répond à des instructions d'un puissant lobby qui agit depuis quelques temps pour se placer à la tête de l'Etat, ce n'est pas un homme courageux ni digne, il a toujours été servile, il le restera toute sa vie, » soutiennent d'anciens dissidents de Ouyahia. «Chihab a été chargé par Ouyahia de l'abjecte mission d'insulter et de diffamer tous les dissidents, notamment le groupe de Mustapha Yahi et Nouria Hafsi né après celui de Mokdad Sifi et Nouredine Bahbouh, le SG et son porte-parole se sont ligués à l'argent sale pour écarter les compétences, les cadres et les militants intègres du parti», affirment ceux qui l'ont côtoyé.

La descente aux enfers

La convocation de Ouyahia et Loukal par le tribunal de Sidi M'Hamed n'augure rien de bon pour le fonctionnement légal des institutions de l'Etat. Selon des hommes de loi, le code de procédure pénale (art.573) n'autorise pas un procureur de la République à convoquer des hauts fonctionnaires de l'Etat. Seule, disent-ils, «la cour suprême est habilitée à le faire surtout si les faits qui leur sont reprochés remontent au temps où ils étaient en fonction.» Ils affirment que dans pareils cas, «une instance comme le tribunal de Sidi M'Hamed n'a pas la compétence requise.» Les deux responsables doivent répondre de deux chefs d'inculpation: «dilapidation de deniers publics et enrichissement illégal.» C'est pour la première fois de son histoire que la justice agit vite, sans aucun délai, sur la base d'aucune plainte.

Depuis la destitution de Bouteflika, le général de corps d'armée, vice-ministre de la Défense, le chef d'état-major de l'ANP promet au mouvement populaire «des têtes» et des procès judiciaires. Il lui en donne tant qu'il peut en même temps qu'il menace d'autres qui lui sont inaccessibles. Ses accusations publiques de l'ex-patron du DRS lui ont ouvert un nouveau front de pressions. L'on dit que « des généraux forcent la main à Gaïd Salah pour mettre aux arrêts le général Toufik et le traduire devant une justice militaire. »

Les instructions militaires aux institutions de l'Etat piétinent toutes les lois et règlements de la République. En limogeant et en nommant à des hautes fonctions de l'Etat, Bensalah sort totalement du cadre de la Constitution. Des politologues affirment avec le sourire en coin que «ce sont des mesures exceptionnelles, toutes les actions sont menées conformément à l'article 7 et 8 de la Constitution.» L'ordre militaire établi depuis le départ de Bouteflika laisse apparaître une instrumentalisation criante des espaces légaux et illégaux du pays. La conférence de Bensalah, si elle arrive à être tenue aujourd'hui, ne changera rien à la descente aux enfers d'un pays qui a perdu tous ses repères.