Ainsi, malgré sa santé défaillante et son
mutisme, le président Abdelaziz Bouteflika est assuré d'un «5ème mandat» s'il
se représente selon l'appel que lui ont adressé par voie de presse des
personnalités ces derniers jours. Diantre! C'est donc
encore une fois joué d'avance.
Des personnalités nationales signent un
appel au président Abdelaziz Bouteflika pour qu'il s'abstienne à assumer un «
5ème mandat présidentiel». Lapsus politique (volontaire ?) révélateur dans le
vocabulaire des signataires puisque ils sous entendent que le président sera
automatiquement élu s'il se représenterait à l'élection du printemps 2019. En
général on nous explique que les candidats se présentent d'abord à la
«candidature» , puis mènent campagne , ensuite votent,
ensuite respectent le résultat du vote du peuple. Dans le cas présent et si on
comprend bien le «signifiant» induit par la demande - ou le conseil- à Mr
Bouteflika de ne pas briguer un « 5ème mandat» on en déduit qu'il n'est pas
nécessaire qu'il y ait une compétition entre divers candidats puisque Bouteflika
sera reconduit automatiquement s'il se représente. Du coup, l'autre
sous-entendu est inévitable: la prochaine élection
présidentielle ne sera ni honnête ni transparente, donc non démocratique. A
décharge des signataires les contestations émises sur la régularité des quatre
précédents scrutins qui ont porté Bouteflika à la magistrature suprême. A
décharge des signataires et au delà du citoyen lambda
touché, peiné par l'état de santé du président qu'il souhaite voir déchargé de
la lourde responsabilité de gérer le pays. Dans ces conditions la Constitution
est claire: en cas d'incapacité à gouverner, le
parlement national est en droit de voter son «empêchement». Mais là aussi il y
plus d'un hiatus: les médecins chargés d'examiner
l'état de santé du chef de l'Etat iront-ils jusqu'à justifier de son incapacité
intellectuelle et physique à assumer la charge présidentielle? Le parlement,
assemblée et sénat, a-t-il l'honnêteté et le devoir -
et le courage aussi- de voter l'empêchement du président au cas où le diagnostic
médical le prononce? Y répondre par l'affirmative
provoquerait l'hilarité populaire tant le parlement est décrié à longueur de
débats populaires comme un cirque distrayant et le staff médical présidentiel
comme un mystère tant son avis ou diagnostic est lui aussi railler par le bon
peuple puisque il a assermenté lors du 4ème mandat que le président est en
bonne et parfaite santé malgré les «apparences» et qui depuis ne dit plus rien.
Mieux, ce sont les partis de « l'alliance présidentielle» et leurs amis de l'Ugta qui assument le rôle du staff médical présidentiel
puisque leurs leaders répètent à satiété que le président est en excellente
forme et l'appellent, le supplient même de «rester» président, assurés qu'ils
le sont de l'issue du vote de la prochaine élection. Et il n'ont pas si tort
que cela ne paraisse pour sa prochaine victoire et pour cause:
dans 90 pour cent des cas le président sortant réussit à se faire réélire y
compris dans les plus grande démocraties comme aux Usa par exemple. Pourquoi? D'abord parce que celui déjà au pouvoir dispose
d'une longueur d'avance sur ses adversaires: il
contrôle l'appareil et le fichier électoral, dispose de ses relais dans
l'appareil administratif, dispose de plus de facilités financières etc. Ensuite
parce qu'il a le bilan d'une mandature qu'il trouvera toujours moyen de
justifier, de glorifier et d'utiliser comme arme de propagande massive. Dans le
cas du président Bouteflika, les marges de manœuvre et d'appui à son bilan sont , selon ses supporters, inégalables depuis
l'indépendance du pays. N'a-t-il pas réalisé en un
temps record une autoroute de plus de 1200 km alors que ses prédécesseurs n'ont
pu tracer une seule route nationale supplémentaire? N'a-t-il pas permis à des villes comme Oran, Sétif, Bel -Abbes
et surtout Alger d'avoir, enfin, le métro tant attendu et les tramways ? Et les
dizaines de barrages hydrauliques, et les centres universitaires, aéroports et
incontestablement les centaines de milliers de logements sociaux distribués aux
plus nécessiteux? Si on ajoute les plans d'aides aux
jeunes ( jusqu'à 40 ans quand même) comme l'Ansej etc. il ne reste plus d'angle d'attaque pour ses
adversaires politiques. Enfin, au plan politique ses supporters font l'éloge de
la «réconciliation» qui a apporté la paix après les années de sang et de
larmes. Les adversaires de Bouteflika peuvent toujours évoquer le chômage
endémique, la mal-vie des jeunes, le recul du niveau de nos universités, les harraga, le bâillonnement de l'opposition politique si ce
n'est son apprivoisement, la «réconciliation» injuste pour les victimes du
terrorisme et surtout la question des libertés et des droits humains. A raison
d'ailleurs, mais cela ne semble pas suffire à ébranler Bouteflika et son équipe
qui finissent un quatrième mandat sans grands heurts. C'est que l'opposition
politique a, depuis le premier mandat du président en 1999, fait du sur-place,
obsédée par la seule personnalité de Abdelaziz Bouteflika et son «clan»,
oubliant au passage sa vocation et mission première: s'ancrer dans la société,
conquérir les citoyens par la présence, la pédagogie et l'offre politique digne
de ce nom. Les dizaines de partis politiques de l'opposition sont laminés à
chaque élection quelle soit locale, législative ou
présidentielle avec des scores d'association de quartier pour certains sans que
cela ne les «alerte», ne les questionne sur leur mode de vie ou leur réelle
représentativité. Quelques sièges de députés ou de responsabilité, y compris à
l'échelle du gouvernement, suffit pour les «dompter» pour le reste du mandat
électoral. Certains poussent l'outrecuidance jusqu'à participer dans les
équipes gouvernementales et défendre le programme présidentiel qu'ils ont
dénoncé juste avant, pendant leurs campagnes électorales. Le peuple «électeur»
n'est pas, au contraire de ce que l'on croit, dupe de cette comédie du monde
politique dans son ensemble, pouvoir et opposition. Il fait avec et sort dans
la rue, manifeste, brule des pneus, coupe des routes, déclenche des grèves à
répétition pour défendre ses intérêts légitimes à chaque fois qu'il ressent le
poids des vicissitudes peser sur sa vie quotidienne. Comme si le peuple s'est
organisé instinctivement comme un grand parti politique ou un syndicat à son
tour et participe à la grande comédie du pouvoir et son opposition politique.
Ainsi, l'appel des personnalités à Abdelaziz Bouteflika pour qu'il renonce à ce
cinquième mandat dont ils sont certains qu'il le remportera au cas où il
concoure à l'élection, pour sincère qu'il puisse être, sonne quelque part comme
un aveu d'impuissance «politique», une supplication de quitter le jeu politique
national et libérer ainsi le pays du risque de basculer dans une monarchie de
fait qui le plongera dans des lendemains incertains. L'appel est empreint d'une
naïveté politique qui le désarme jusqu'à la sympathie:
peut-on croire un seul instant que le détenteur d'un pouvoir, du sommet d'un
pouvoir abdique sur le seul appel de ses sujets? A fortiori dans les pays où la
politique est admise comme un métier : Gagner son pain quotidien et si possible
quelque promotion sociale.