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Comment gérer les risques liés à la hausse du dollar

par Mohamed A. El-Erian*

NEWPORT BEACH - Le gouvernement du président argentin Mauricio Macri a demandé un prêt au FMI dans l’espoir de mettre un coup d’arrêt à la dégringolade du peso qui pousse les taux d’intérêt à la hausse, menace les réformes et va ralentir l’économie. Ce revers de fortune tient en partie à la récente appréciation du dollar - un processus qui devrait s’accélérer, car la situation monétaire et le différentiel de croissance entre les deux pays jouent en faveur des USA.

La Réserve fédérale américaine a été la première des banques centrales d’importance systémique à normaliser sa politique monétaire (hausse des taux d’intérêt, arrêt des achats à grande échelle d’actifs financiers et début du long processus de réduction de son bilan) - et ce depuis quelques temps déjà. La divergence croissante et peu encourageante entre les résultats économiques des USA et les attentes dans le reste du monde, autre facteur favorable à la récente appréciation du dollar, a accéléré cette évolution.

Durant la plus grande partie de l’année dernière, les marchés ont essayé de s’adapter aux indicateurs de croissance hors des USA, nettement moins bons que ce à quoi ils s’attendaient. C’est ainsi que le «dollar index» ou «broad index» [moyenne pondérée de la valeur du dollar par rapport à un panier de devises étrangères] a chuté de 10% l’année dernière. Les investisseurs ont cherché à tirer parti de cette situation tout en bénéficiant de meilleurs rendements et de la possibilité de gains en capitaux liés aux variations des taux de change. De ce fait, les flux de capitaux vers l’Europe et les principaux pays émergents se sont intensifiés.

Mais depuis quelques mois les mesures économiques «surprises» sont plutôt négatives, car le regain de croissance dont ont bénéficié l’Europe et d’autres régions perd de sa force. En voici un exemple spectaculaire. En raison de la baisse des indicateurs économiques, les marchés ne parient plus qu’avec une probabilité de 20% sur une hausse des taux d’intérêt de la Banque d’Angleterre lors de la réunion de son comité de politique monétaire ce mois-ci, alors qu’ils y tablaient avec une probabilité supérieure à 90%, ou même avec une quasi certitude, il y seulement quelques semaines.

L’Europe et les pays émergents font maintenant moins la chasse au retour des capitaux, d’autant que certains sont déjà revenus. Aussi peut-on s’attendre à ce que le contexte économique et financier continue à favoriser l’appréciation du dollar. Il faut donc adopter une politique efficace pour contrer cette pression à la hausse et limiter les risques de contagion.

Heureusement les outils nécessaires pour réduire le risque de crise existent. Mais il faut que les différents pays s’en emparent et parviennent à une meilleure coordination internationale.

On peut certes considérer que l’appréciation du dollar s’accorde avec un rééquilibrage à long terme de l’économie mondiale. Mais comme le montre la situation en Argentine, l’appréciation brutale d’une devise d’importance systémique dans un pays donné peut provoquer des déséquilibres bien au-delà de ses frontières.

Les pays émergents sont particulièrement vulnérables à ce phénomène. Avant la crise financière asiatique des années 1990, nombre de pays émergents arrimaient rigidement leur devise au dollar et faisaient des emprunts en dollar, alors que la plus grande partie de leurs recettes se comptait dans leur devise nationale (ce que les économistes appellent le «péché originel»).

Tandis que le dollar s’appréciait sur les marchés internationaux, ces pays ont vu leur compétitivité s’éroder et leurs comptes courants se détériorer. Les flux de capitaux sortant (qu’ils soient potentiels ou réels) ont contraint les banques centrales à relever leurs taux d’intérêt locaux, ce qui a augmenté les pressions économiques opposées et diminué la capacité d’emprunt des entreprises nationales. Et la dévaluation n’était pas une très bonne solution, car elle dope l’inflation et augmente le coût du service de la dette extérieure qui atteint alors des sommets prohibitifs.

Beaucoup de pays en développement ont maintenant un taux de change flexible. Ils peuvent donc réduire les problèmes de taux de change associés à leur passif en se rabattant sur des sources nationales pour emprunter. Néanmoins subsistent deux vulnérabilités :

- La récente période inhabituelle de volatilité réprimée des marchés financiers, de taux d’intérêt extrêmement bas et de faiblesse du dollar a suscité un nouveau flux de capitaux vers les pays émergents. Or ce flux comportait des «dollars qui font du tourisme», prêts à repartir aux premiers signes de troubles.

- Encouragés par des conditions de financement exceptionnellement généreuses sur la scène internationale, de plus en plus d’entreprises des pays émergents ont emprunté des dollars à l’étranger, augmentant ainsi leur vulnérabilité financière face à une hausse des taux d’intérêt ou à des variations défavorables du taux de change.

Un changement de valeur des variables financières en raison de facteurs extérieurs est ainsi devenu une source de risques importants, surtout pour des pays comme l’Argentine qui ont un passé de mauvaise gestion économique, qui connaissent un déficit important des comptes courants et d’autres déséquilibres financiers, et qui poursuivent souvent un trop grand nombre d’objectifs simultanément, sans disposer de tous les instruments nécessaires. Les pays émergents étant structurellement vulnérables face au risque de contagion à court terme, ce n’est en général qu’une question de temps pour que les problèmes propres à quelques pays conduisent à un resserrement des conditions financières pour des classes entières d’actifs.

Au-delà d’un risque pour la stabilité des marchés émergents, une appréciation brutale du dollar (en particulier la perte de compétitivité qu’elle entraîne) pourrait compliquer des négociations commerciales déjà compliquées. Les tentatives visant à moderniser l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et à établir des relations commerciales plus équitables entre les USA et la Chine pourraient notamment en pâtir.

Dans ce contexte, les dirigeants politiques devraient adopter une stratégie visant à diminuer les pressions qui s’exercent sur les marchés des changes. Cela passe en priorité par des mesures d’encouragement à la croissance, notamment en Europe qui fait face à des difficultés structurelles malgré son redressement économique récent. Quant aux pays émergents, ils devraient veiller à maintenir un bilan solide, à améliorer leur compréhension de la dynamique des marchés et à protéger leur crédibilité politique.

Il y faudrait une meilleure coordination internationale, notamment pour éviter ou briser les cercles vicieux. Le FMI a un rôle important à jouer, car il pourrait être confronté prochainement à une hausse des demandes de financement. De toute évidence il est préférable de prendre toutes les mesures de prévention nécessaires, plutôt que de risquer une crise qui sera difficile à résoudre.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
*Conseiller économique en chef d’Allianz. Il a été président du Conseil de développement mondial du président Obama - Il est également auteur d’un livre intitulé The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse.