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Que ramène le nouveau président français dans ses bagages ?

par Djaaboub Ali

Emmanuel Macron s'apprête à se rendre dans notre pays en visite officielle, aujourd'hui. Les journaux nationaux ont abondamment commenté cet événement au lendemain de l'annonce de ce rendez-vous.

Certains d'entre eux ont même titré «Macron enfin visite Alger !» comme s'ils n'y croyaient pas ou qu'ils voyaient, enfin, leurs vœux s'exaucer. Pour ma part, je dirais «que nous ramène le nouveau président français lors de sa visite aujourd'hui en notre pays ?» Si pendant sa venue en tant que candidat à la magistrature suprême de son pays, il y a peu, il a osé ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'a osé avant lui, en déclarant que le colonialisme est un crime de guerre et que la France se devait d'assumer son passé, ne sommes-nous pas en droit, aujourd'hui, d'attendre de lui qu'il joigne l'acte à la parole ? Toujours est-il que depuis qu'il a été élu président, c'est le silence radio sur cette question.

Cependant les signes précurseurs qui sont perceptibles à travers ses récents propos (à condition qu'ils se vérifient) pourraient être de bon augure. En effet, il y a quelques jours à peine, lors de sa présence au sommet UA-UE, ce même Macron semble plus que jamais avoir transcendé la question coloniale qu'il dit appartenir aux générations précédentes. Et d'ajouter, appartenir à une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire.

Ceci étant et vu qu'aujourd'hui il s'apprête à nous rendre visite et parce que parmi les nombreux dossiers en suspens entre les deux pays, il y a celui ayant trait à la mémoire, va-t-il y mettre un terme, au moins en partie ?

Lorsque l'on sait que 2% seulement de nos archives en possession de son pays ont été remises à l'Algérie, va-t-il enfin lever le voile sur les 98% de notre mémoire nationale restants, en nous les restituant ? Va-t-il enfin reconnaître les méfaits de son pays durant la colonisation, en assumant solennellement et pleinement le fait colonial de son pays ? Restituera-t-il les restes mortuaires de nos Martyrs exposés dans les musées de son pays qui les présentent comme des trophées, témoignage d'un passé peu glorieux ? Cessera-t-il de séquestrer les richesses culturelles que ses ancêtres ont accaparées durant 132 ans de présence imposée et rendra-t-il nos trésors matériels en plus du reste de nos archives encore en sa possession ?

Ce sont là quelques questions que le simple citoyen que je suis est en droit de se poser, de poser et d'en attendre une réponse.

Son pays, qui a été l'un des artisans sinon l'artisan principal de la déstabilisation et la destruction de plusieurs pays arabes et notamment de la Libye du temps de Sarkozy qui est allé jusqu'à l'assassinat du président Kadhafi dans ce qui a été appelé péjorativement «le printemps arabe», cessera-t-il d'attiser les foyers de tension à nos frontières par la présence de ses troupes dans les pays du Sahel juste à nos portes et arrêtera-t-il de pratiquer une politique hostile à notre égard par les prises de position de son pays ?

N'est-ce pas l'agression des pays européens, à leur tête la France et celle des USA, et leur intervention dans les affaires intérieures d'autrui que la Libye et les autres pays arabes vivent la destruction et leurs peuples, la désolation et le malheur ?

La France sous son règne renoncera-t- elle à son parti pris dans l'affaire du Sahara Occidental, en adoptant une attitude plus juste envers un peuple occupé qui souffre d'une colonisation indigne du 21e siècle et cessera-t-elle d'agir pour perpétuer ce foyer de tension qui empêche les pays du Maghreb de construire un destin commun ?

Arrêtera-t-elle enfin ses chantages sur différents plans économique et politique ?

Ou bien la visite de Macron n'a, elle, pour seul but que d'engranger des dividendes sur le plan économique et sécuritaire pour son pays et son peuple ?

Il est, en effet, notoirement connu que sur le plan économique, la France considère les pays anciennement sous sa domination dont l'Algérie comme étant une chasse gardée. Ce pays, qui a donc d'énormes intérêts dans ces Etats africains, s'est toujours servi pendant que les populations d'origine souffrent de la famine, au point où des milliers d'entre eux crèvent au fond de la Méditerranée en tentant de la traverser à la recherche, dans leur désespoir, d'un avenir qu'ils s'imaginent meilleur chez ceux qui sont pour beaucoup responsables de leur malheur.

Aujourd'hui, sur le plan économique, ce pays demeure le second partenaire de l'Algérie avec 5,08 milliards d'euros d'exportations et 10,2% de parts de marché, derrière la Chine (18%) mais devant l'Italie (9,9%) et l'Espagne (7,7%), selon les différentes analyses. L'Algérie est, de fait, un marché d'une importance non négligeable pour les produits français. La France est le 4e client de notre pays avec 4,4 milliards d'euros.

Elle est, également, le 1er investisseur hors hydrocarbures en Algérie avec 2,15 milliards d'euros en stock d'IDE (Investissement direct étranger), souligne-t-on, et compte quelque 31.677 d'expatriés français vivant en Algérie. L'activité de ses entreprises est représentée par environ 500 entreprises déjà implantées (une trentaine de grandes entreprises sont actives ou présentes sur le marché algérien) et ambitionne de bénéficier d'autres marchés dans un avenir proche.

Les relations algéro-françaises ont été et restent tumultueuses car tributaires d'un certain passé commun à ces deux pays. Ces relations ont, donc, connu des hauts et des bas, à cause principalement de ce passé toujours présent dans les esprits que ni la France, qui continue de porter un regard colonisateur qui, croit-elle, lui donne des privilèges particuliers, ni l'Algérie, qui ressent toujours une blessure non cicatrisée et que le colonisateur d'hier ne veut pas la voir guérir en refusant de solder ce passif lourd de conséquences.

Sur le plan sécuritaire, le pays de l'hôte de l'Algérie bénéficie déjà d'une collaboration non négligeable de la part de nos services de sécurité dont l'expérience et le professionnalisme ne sont plus à démontrer, et il va certainement demander une collaboration encore plus étroite qui permettrait de protéger son territoire et son peuple des «dawaeches» que son pays lui-même a contribué à créer. Comme il demandera certainement que nos responsables agissent pour contenir les flots d'émigrants qui affluent sur son territoire et sur celui des autres pays d'Europe de manière générale.

Sur cette dernière question précisément, les nôtres oseront-ils, comme le font les autres pays tels que la Turquie, à faire supporter les dépenses qu'occasionnent ce genre d'opération aux pays de l'autre rive, ou bien devrions-nous encore payer pour protéger ces riches Etats ?

Parmi les pays qui pratiquent la langue de Voltaire, l'Algérie est peut-être l'un des pays qui la maîtrisent convenablement sinon celui qui la maîtrise le mieux et parfois encore mieux que les Français eux-mêmes. C'est pourquoi, sur le plan culturel, scientifique et technique, la France trouve en notre pays un acteur de premier choix pour l'enrichissement et la perpétuation de la langue française. Actuellement, une opportunité inespérée s'offre à ce pays grâce au fait que sa langue semble être devenue une mode chez nos différents ministres qui, sans honte aucune, en font la langue officielle de l'Etat.

Nonobstant toutes ces considérations, si aucune de nos interrogations ne se réalise, nous pourrons, alors, en conclure que toutes les belles paroles de ce jeune président ne sont que de la poudre aux yeux et qu'il ne vaut pas mieux que ceux qui l'ont précédé à ce poste. Nous pourrons présumer, alors, que ce qui l'intéresse n'est que de mettre à contribution notre pays pour assurer la protection alimentaire et sécuritaire de son pays et son peuple, en s'assurant que l'Algérie collabore dans le domaine sécuritaire en bloquant le flux de migrants et en lui octroyant les marchés qui renfloueront ses caisses en ces temps de crise.

Nous oserons même dire que derrière les paroles mielleuses qu'il nous adresse, se cache une véritable expression de rancœur et d'agressivité envers notre pays et notre peuple. Une attitude pareille constituera, dès lors, la meilleure des preuves que, comme les différents gouvernants qui l'ont précédé, il ne pourra jamais oublier le passé colonial de son pays et que la page n'a nullement été tournée. Et nous saurons que son pays reste un ennemi à l'affût qui ne cesse et ne cessera d'œuvrer à déstabiliser notre Etat par un travail de sape bien orchestré.