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Le succès de la politique économique de Trump dépend de l’Allemagne, de la Chine et du Japon

par Mohamed A. El-Erian*

DUBAI – La stratégie que pourrait suivre Trump pour appliquer son programme économique est relativement claire sur le plan intérieur, car avec les républicains majoritaires dans les deux Chambres du Congrès, il va probablement échapper au blocage politique qui a paralysé l’activité législative au cours des six dernières années. Mais l’économie américaine n’est pas suspendue dans le vide. Pour parvenir à la croissance élevée et à la stabilité financière qu’il a promises, il aura besoin du soutien de l’étranger.

Il s’est engagé à investir dans les infrastructures, diminuer la fiscalité et déréglementer pour stimuler la croissance réelle et la croissance potentielle des USA. Certain que son plan peut réussir, il s’est fixé des objectifs ambitieux, notamment un taux de croissance du PIB proche de 4% par an.

Pour l’instant les investisseurs lui semblent acquis. Estimant que Trump n’engagera pas une guerre commerciale, ils ont rapidement fait preuve d’optimisme quant à l’augmentation de la croissance réelle et de l’inflation et à un afflux d’argent sur les marchés financiers. C’est ce qui a permis à la Réserve fédérale américaine (Fed) à commencer à normaliser sa politique monétaire. En complément d’une hausse de 25 points de base de son taux directeur le 14 décembre, elle a indiqué que le rythme de ces hausses va accélérer en 2017.

C’est pourquoi les marchés semblent convaincus que les USA vont sortir progressivement d’une longue période de politique monétaire non orthodoxe trop appuyée pour la remplacer par une combinaison de relâchement budgétaire et de réformes structurelles en faveur de la croissance - une stratégie qui ressemble à celle du président Reagan. Le président Obama a voulu suivre lui aussi cette voie, mais il en a été empêché par un Congrès très polarisé.

L’idée que Trump aura plus de chance que son prédécesseur a généré une réponse classique en terme de prix des actifs. Celui des actions (notamment celles relatives aux services financiers et aux produits industriels) a grimpé ; de même les taux d’intérêt des obligations d’Etat ont augmenté en valeur absolue, mais aussi en comparaison de ceux des autres pays avancés, tandis que le dollar atteint des niveaux jamais vus depuis 2003.

C’est ici que le reste du monde intervient. Il sera sans doute beaucoup plus difficile aux autres grands pays développés en Europe et en Asie de rééquilibrer leur politique (qui reste caractérisée par un relâchement monétaire excessif, des réformes structurelles inadéquates et parfois une austérité budgétaire exagérément stricte). Mais s’ils ne procèdent pas à ce rééquilibrage, les prochaines hausses des taux d’intérêt de la Fed pousseront les investisseurs à échanger leurs obligations allemandes et japonaises notamment - dont le rendement est faible, voire négatif - contre des obligations américaines plus intéressantes de ce point de vue. Il en résultera une augmentation des flux de capitaux vers les USA, ce qui poussera le dollar encore davantage à la hausse.

Bien que l’économie américaine soit en bien meilleure situation que celle de la plupart des autres pays avancés, elle n’est pas encore en état de résister à une longue période de dollar fort qui nuirait à sa compétitivité sur les marchés internationaux - et par conséquent à ses perspectives d’avenir. Un dollar fort pourrait entraîner l’administration Trump à prolonger sa rhétorique protectionniste, avec comme effet potentiel un effondrement de la confiance des marchés et des milieux d’affaires, et peut-être même une réaction de leurs principaux partenaires commerciaux.

Pour que la «trumponomic» tienne ses promesses, il faut que des pays clés, notamment l’Allemagne (première économie européenne), la Chine et le Japon (respectivement la deuxième et la troisième économie mondiale), changent de politique économique. Pour renforcer leur mesure de stimulation monétaire, ces pays devraient procéder rapidement à des réformes structurelles en faveur de la croissance. L’Allemagne en particulier devrait relâcher sa politique budgétaire et être plus conciliante à l’égard de la réduction de la dette de la Grèce, car ce pays se trouve acculé de toutes parts.

Malheureusement pour Trump, le reste du monde ne semble pas prêt à un tel changement d’orientation. C’est pourquoi, au-delà de la mise en œuvre de son programme de stimulation de la croissance sur le plan intérieur, les membres de son équipe économique devraient établir des contacts directs avec leurs homologues allemands, chinois et japonais pour mieux coordonner leurs politiques au niveau international.

L’Allemagne, la Chine et le Japon auraient de bonnes raisons d’adopter cette stratégie. Pour l’instant leur expansion monétaire n’est pas suffisante, le risque de dommages collatéraux inattendus augmente et les réformes en faveur de la croissance se font toujours attendre. Par ailleurs, aider les USA à parvenir à une croissance durable favoriserait leur propre économie. Cela contribuerait aussi à éviter que sous pression, le gouvernement Trump ne menace de recourir au protectionnisme, ce qui augmenterait le risque d’une guerre commerciale qui serait au détriment de tous.
Malgré toutes les incertitudes qui entourent sa politique à venir, une chose au moins est certaine : Trump est en très bonne position pour doper la croissance de l’économie américaine. Lui et son équipe doivent néanmoins vaincre les obstacles qui pourraient se dresser devant eux sur la scène internationale.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
*Conseiller économique en chef d’Allianz et président du conseil de développement mondial du président Obama - Il a écrit un livre intitulé The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse.