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Turquie: Le credo de la violence

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

Autant la tentative de coup d'Etat militaire est condamnable au regard des principes de démocratie, autant les arrestations massives à tous les niveaux de pouvoir sont un risque majeur pour la paix en Turquie et son environnement géostratégique immédiat.

Deux thèses s'opposent sur les conséquences de la tentative de coup d'Etat avortée en Turquie: celle qui conclut à la victoire du régime politique du président Tayyip Erdogan qui sort, grâce au soutien populaire, renforcé davantage et celle qui estime que la tentative de coup d'Etat sonne le début de la fin de ce même régime politique marqué par une forte empreinte du courant islamiste de l'AKP, le parti politique de M. Erdogan. Dans les deux cas, la Turquie s'enlise dans la perspective d'une instabilité politique durable et le risque de la violence terroriste. Dans ce sens, c'est la Turquie, peuple et institutions, qui sort affaiblie et marquée par des fractures sociales et politiques dans un environnement géostratégique lui-même porteur de risques de déflagration régionale. A la contestation de l'opposition civile marquée ces dernières années par des manifestations populaires contre la tentation totalitaire du régime de M. Erdogan qui, soulignons-le, veut imposer un régime présidentiel à son pays en modifiant sa Constitution, s'ajoute une position des plus complexes, voire contradictoire, dans l'équation syrienne et ses conséquences dans toute la région du Proche et Moyen-Orient. Coincé entre sa place d'acteur majeur au sein de l'Otan -et les devoirs de solidarité avec les décisions de l'Organisation transatlantique- et sa proximité avec les courants islamistes de ses voisins arabes et musulmans, Erdogan et son parti n'ont pratiquement aucune chance d'apaiser les contradictions de la société turque et de jouer, librement, un rôle clé pour la paix dans la région. Obéissant à la discipline de l'Otan dans sa logique destructrice en Syrie, le régime turc s'est naturellement et ouvertement impliqué dans la guerre en Syrie. Le retour de flammes en Turquie a été immédiat: attentats terroristes, reprises de la violence des radicaux kurdes, afflux de plus de deux millions de réfugiés syriens et irakiens sur le sol turc, tension grave avec ses voisins immédiats dont la Russie pourtant partenaire économique de premier plan, relations en dents de scie et contradictoires avec Israël, etc. Avec autant de facteurs d'instabilité et d'horizons pollués, le régime turc est, en réalité, dans une vraie impasse politique qui n'augure pas des lendemains enchanteurs malgré les manifestations populaires de soutien suite à la tentative de coup d'Etat de vendredi soir. Face aux Européens, la Turquie perd, là aussi, dans son ambition de les rejoindre au sein de l'Union européenne. Les opposants européens à son adhésion à l'UE disposent d'un argument supplémentaire considérable pour freiner les ardeurs du régime turc: l'UE ne peut accueillir chez elle un pays sujet à autant de risques d'instabilité politique interne et régionale. Et ce n'est pas l'engagement de Erdogan à contenir les flux migratoires vers l'Europe des réfugiés de guerre syriens et irakiens qui apportera une plus-value à la Turquie dans ses négociations d'adhésion à l'UE.

Du coup, le président Erdogan a beau clamer le soutien populaire contre le coup d'Etat et la défaite de ses ennemis et adversaires, il sort plus que jamais affaibli et fragilisé en réalité et ce ne sont pas les déclarations de principe des Etats de la communauté internationale condamnant la tentative de putsch militaire qui garantiront la stabilité politique à la Turquie et au régime de Erdogan. Evidemment, la tentative de coup d'Etat militaire est condamnable parce que fondamentalement antidémocratique et naturellement violente et de tendance dictatoriale. Pour autant, en annonçant les arrestations massives au sein de l'armée, de la justice et de la haute administration turque et surtout la promesse de condamnations dans le tas, jusqu'à rétablir la peine de mort, sans le moindre début d'enquête sur le degré d'implication ou non de milliers de Turcs arrêtés n'est pas non plus démocratique et porteur d'espoir de vent de liberté, de justice et de paix dans la société turque. Dommage pour un pays qui était classé, voilà quelques années, dans le top 20 des économies les plus prospères du monde de tomber dans le cycle de la violence et les tentations totalitaires, que ce soit du pouvoir de M. Erdogan ou de ses adversaires militaires.