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Au Brésil et au Venezuela : une droite arrogante et revancharde

par Abed Charef

Au Brésil et au Venezuela, une droite arrogante veut revenir rapidement au pouvoir. Elle mène une véritable guérilla institutionnelle pour empêcher la gauche de gouverner.

Il faut recourir à des mots issus de la plus classique langue de bois pour décrire les processus lancés au Brésil et au Venezuela pour tenter de destituer les présidents Dilma Rousseff et Nicolas Maduro. Comment en effet évoquer ce qui se passe dans ces deux pays autrement qu'en parlant de contre-offensives menées par une droite revancharde et arrogante, aidée par la puissance étrangère, pour mettre fin à des expériences qui ont soulevé un vent d'espoir en Amérique Latine ?

Pendant tout le 20ème siècle, les deux pays ont été dirigés par des régimes autoritaires, parfois franchement dictatoriaux, soutenus par les Etats-Unis. Malgré leurs richesses immenses, le Brésil et le Venezuela sont restés pauvres, avec une majorité de la population vivant au-dessous du seuil de la pauvreté. La démocratie n'y était pas particulièrement en vogue, particulièrement au Brésil, où l'actuelle présidente a été torturée dans les années 1970.

L'avènement de Hugo Chavez au Venezuela a permis à une partie de la population d'exister enfin. De découvrir sa force à travers le bulletin de vote. Les pauvres, plutôt issus de populations autochtones, confinés au bas de l'échelle sociale, ont enfin trouvé une voix qui s'exprime en leur nom, une grande gueule capable de défier les plus puissants. Elu démocratiquement, réélu, gagnant les référendums, Hugo Chavez n'a cependant jamais pu gouverner tranquillement. Face à lui, il avait une droite qui n'admettait pas de perdre pouvoir et privilèges, et des Etats-Unis qui n'admettaient pas la présence d'un pouvoir hostile dans un pays qui les fournit massivement en pétrole et contrôle les premières réserves au monde.

Le pari fabuleux de Lula

Au Brésil, Lula a réussi un pari fabuleux. Transformer radicalement le pays, en faire une puissance émergente, imposer des règles de fonctionnement démocratique et établir une sorte de new-deal interne, qui a permis à 60 millions de Brésiliens de passer, en deux mandats, du statut de pauvres à celui de personnes à revenu acceptable. Tout le monde y a gagné : les Brésiliens, dont le niveau de vie s'est nettement amélioré, les entreprises, qui ont vu leur marché s'élargir, et le Brésil, qui changé de statut.

Mais dans le camp opposé, l'inquiétude était d'autant plus grande que d'autres pays parvenaient enfin à découvrir cette nouvelle gestion de gauche, innovatrice et égalitaire, tout en restant fondamentalement démocratique. La Bolivie basculait à son tour, le Chili se laissait séduire. Un peu partout, on découvrait alors que le modèle de gestion de la droite traditionnelle constituait un frein pour la croissance et un handicap économique, y compris pour les entreprises.

A l'inverse, plus le revenu des citoyens augmentait, plus les opportunités s'élargissaient pour les entreprises locales. De quoi bousculer les certitudes antérieures, et pousser toute une région vers des horizons nouveaux, ce qui menaçait clairement une nomenklatura traditionnelle habituée à maîtriser les leviers de la vie politique et de l'économie.

Destituer des élus

C'est, curieusement, le même scénario qui est lancé au Brésil comme au Venezuela. Un chef d'Etat élu de manière démocratique, encore populaire au sein de l'opinion, est menacé par une procédure de destitution lancée par les appareils politiques traditionnels. Manifestations de rue, affrontements, tension politique extrême, tout a été mis en œuvre au Venezuela, où le président Nicolas Maduro a parfaitement raison de se sentir assiégé.

Dilma Rousseff est allée plus loin, en parlant de coup d'Etat. Destituer un président démocratiquement élu sans qu'il ait commis un crime, « cela s'appelle un coup d'Etat », a-t-elle déclaré, rappelant qu'elle n'a jamais été accusée d'enrichissement personnel. Comble de l'ironie, plus de la moitié (36) des 65 membres de la commission parlementaire spéciale qui ont recommandé de voter pour sa destitution sont inculpés ou déjà condamnés dans des affaires de corruption. Une des figures de l'opération menée contre Dilma Rousseff, Eduardo Cunha, président de la Chambre basse du Parlement, s'est vu retirer son mandat de parlementaire et de président de ladite chambre, jeudi denier. Il est accusé de corruption et de blanchiment d'argent : il est détenteur d'un compte en Suisse doté d'au moins 5 millions de dollars !

Le même processus est en cours au Venezuela, où l'opposition veut organiser un référendum de révocation du président Maduro avant la fin de l'année. L'opposition de droite a annoncé avoir recueilli deux millions de signatures à cet effet, et veut boucler l'opération avant la fin de l'année, en adoptant une démarche très agressive. Elle espère réussir là où elle avait échoué en 2004, quand elle avait perdu un référendum de révocation de l'ancien président Hugo Chavez.

Similitudes troublantes

Ces attaques simultanées visent Dilma Rousseff et Nicolas Maduro, les dauphins jugés moins charismatiques et plus vulnérables que leurs ténors respectifs, Lula et Chavez. Elles interviennent aussi dans une période économique difficile, les deux pays subissant de sérieuses difficultés économiques.

Mais elles relèvent surtout d'une conception cavalière de la démocratie. Un dirigeant est élu pour un mandat, et ne peut gérer s'il a affaire à une guérilla politique et sociale de tous les instants. Remettre en cause la légitimité d'un élu tous les deux ans révèle une mauvaise foi évidente, laquelle cache un refus clair du jeu démocratique.

Ceci est particulièrement visible au Venezuela où la volonté de pousser Nicolas Maduro à la faute est évidente, y compris par des provocations répétées. Jusque-là, il a tenu bon. Peut-il tenir indéfiniment? Cela paraît d'autant plus injuste qu'aucun régime de droite n'est harcelé par ce type de guérilla institutionnelle, ni en Amérique Latine, ni ailleurs dans le monde. Ce qui, à posteriori, peut donner une vraie légitimité à l'itinéraire premier de Dilma Rousseff.