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Guelma 8 Mai 1945: le crime colonial et le devoir de mémoire

par Mohammed Menani

Le mardi 1er mai 1945, les Algériens étaient dans la rue pour célébrer la fête du travail et des militants ont voulu démontrer à travers ces manifestations, tant à la France coloniale qu'à la communauté internationale en pleine liesse après la fin du nazisme, la volonté du peuple algérien à recouvrer son indépendance. Sur ordre vertical, les autorités coloniales avaient mis en place un impressionnant dispositif sécuritaire et sorti un arsenal de guerre à Alger, Sétif, Oran et Guelma, pour barrer la voie publique et réprimer dans le sang les manifestants qui arboreraient le drapeau algérien.      La police et la gendarmerie se sont livrées à des humiliations et des brimades sur des manifestants, qui furent arrêtés, violentés et livrés à la vindicte des colons. Plusieurs lynchages ont été enregistrés aboutissant ainsi à des meurtres par armes à feu, et ceci confirma que la IVe République n'allait pas renoncer à " ses " colonies, démontrant ainsi le visage cruel et sauvage du système colonial français.

A Guelma, ce mardi 8 mai 1945, la foule fut dispersée par la violence des armes et l'ordre colonial avait déclenché systématiquement une chasse à l'homme arabe, dans une folie meurtrière qui allait se prolonger jusqu'à la fin de juin 1945. Outre la soldatesque active, 800 miliciens colons furent armés et versés dans l'accomplissement du crime. De jour comme de nuit, des expéditions punitives ont été orchestrées contre la population civile sans défense. Le sinistre sous-préfet, André Achiary, que la sémantique populaire allait surnommer "le boucher de Guelma", avait érigé un comité de salut public dans un rôle de tribunal qui renvoya plusieurs "charretées" devant des pelotons d'exécution qui se délectaient dans les tirs sans sommation sur ces "indigènes" qui avaient osé réclamer l'indépendance. Des fours crématoires ont été mis à contribution pour la phase d'extermination. Au même moment, dans les campagnes, les militaires opéraient les ratissages en rasant les mechtas et tuant sans témoins, alors que les miliciens colons se vengeaient dans une "chasse au merle, n'épargnant ni bébés, ni femmes, ni vieillards. Les fosses communes élaborées à la hâte pour cacher l'ignominie et la bêtise humaine n'avaient pu taire le crime et l'odeur de la chair brûlée envahissait les vallées pendant plusieurs jours.

L'armée française agissant sur ordre de l'exécutif avait perpétré les massacres sanglants contre les populations civiles, soutenue par la police, la gendarmerie et les miliciens armés par les autorités locales. Ceci équivaut à un crime d'Etat, qualifié en l'espèce de génocide et un crime contre l'humanité, demeurant imprescriptible.

L'histoire de l'humanité retiendra indéfiniment que la France coloniale, qui avait institué le code de l'indigénat aux Algériens, demeure toujours sous l'emprise de ces dispositions infâmes qui qualifient l'Africain de sous-homme, au point d'avoir peur de regarder son propre passé en ce troisième millénaire. La même histoire a déjà retenu dans ses pages éternelles, que la France sous la botte hitlérienne a été libérée par le sang versé d'Algériens dont le nombre dépasse de loin l'effectif de la résistance française engagée contre l'occupation allemande. Cette peur du passé s'explique aussi par cette vérité qui jaillira à la face du monde, pour écorcher l'orgueil de cette armée française mise en déroute par les unités du IIIe Reich, qui s'est retranchée dans des arrières bases alliées et incapable de croiser le fer avec l'occupant allemand, s'en va en guerre lâche contre les populations civiles désarmées à Sétif, Guelma, Kherrata utilisant le régiment, la milice, l'aviation et la marine pour assassiner le nourrisson, l'adolescent, la femme et le vieillard. Dans la même dimension historique, nous ne saurions oublier que cette armée de "braves et courageux soldats, tueurs de civils désarmés" a été mise à genoux par les unités de l'ALN de l'Algérie combattante.

La flamme de la liberté n'est pas près de s'éteindre et l'histoire des peuples chemine son cours imperturbable. Notre mémoire collective demeure en partie prisonnière dans les cachots d'outre-mer, alors que les gorges de Kherrata et les plaines de Sétif n'ont pas été déplacées et le four crématoire d'Héliopolis est toujours préservé, en vue d'être éventuellement remis en service pour faire fondre les 8.000 tonnes d'acier de la tour Eiffel, volées des mines d'Aïn Defla en 1889.