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L heure de la réduction de la dette pour la Grèce

par Mohamed A. El-Erian*

WASHINGTON, DC - Une fois encore, la Grèce est à la croisée des chemins. Avec ses soldes de trésorerie soumis à rude épreuve, ce pays a peu de chances d’être en mesure de payer les remboursements de la dette en cascade qui arriveront à échéance au cours des prochains mois.

Voilà donc qu’une nouvelle série de discussions litigieuses et très longues avec ses créanciers est en cours. Elle pourrait bien déboucher sur une nouvelle solution à court terme. Et pourtant, remettre le problème à plus tard est pratiquement la seule option des négociateurs. C’est assurément la mauvaise approche. Face à de graves problèmes de paiement, un pays dispose de cinq manœuvres de base. Il peut premièrement puiser dans les réserves monétaires et dans les richesses qu’il a accumulées en des jours meilleurs et deuxièmement, emprunter à l’extérieur pour honorer les paiements arrivant à échéance à court terme.

Troisièmement, il peut simultanément ou ultérieurement mettre en œuvre des mesures nationales d’austérité (comme des impôts plus élevés ou des réductions de ses dépenses) afin de libérer des ressources pour honorer les paiements de la dette.

Quatrièmement, un pays à court d’argent peut également implémenter des stratégies visant à stimuler la croissance économique, en générant ainsi un revenu additionnel qui peut ensuite être utilisé pour les paiements. Et si rien de tout cela ne fonctionne, il peut avoir recours à une cinquième option: autoriser les forces du marché à mettre en œuvre l’essentiel de la correction, que ce soit par de très fortes variations de prix (y compris du taux de change) ou en le contraignant à la faillite. La plupart des économistes s’accordent sur le dosage idéal et sur l’ordre de ces manœuvres. Un « beau désendettement » implique une combinaison de réformes internes, un financement et l’utilisation judicieuse des mécanismes de tarification du marché.

Mais ce qui semble bon en théorie s’est avéré difficile à mettre en œuvre en pratique. D’une part, les politiciens sont plus susceptibles de continuer à augmenter la dépendance de leurs pays sur le financement, en augmentant ainsi le risque d’ajustements désordonnés du marché, qu’ils ne le sont à mettre en œuvre des réformes structurelles et des ajustements budgétaires difficiles. Pour cette raison, de nombreux pays ont subi des perturbations douloureuses qui ont aggravé des chutes de production qui auraient pu être évitées, ce qui provoqué une hausse du chômage et dans les pires cas, a érodé le potentiel de croissance.

Dans tous les cas, si un pays est déjà trop profondément endetté, il peut estimer qu’aucun montant d’ajustement réaliste et de financement n’est suffisant : c’est la malédiction de ce que les économistes appellent le « surendettement ». Dans ces circonstances, le recours à l’austérité afin de libérer des ressources internes au remboursement de la dette étouffe la croissance économique. Et les réformes favorables à la croissance de l’offre ne peuvent pas donner de résultats assez rapides pour compenser cet impact.

Les créanciers extérieurs, pour leur part, rechignent à l’idée de fournir le financement dont le pays a besoin pour revenir sur la bonne voie, quand ceux qui ont fourni le financement auparavant sont souvent réticents à accepter des pertes. Il ne reste qu’une seule option réelle : un ajustement désordonné du marché.

Parce qu’un tel ajustement n’est pas beaucoup plus attrayant pour les créanciers qu’il ne l’est pour les débiteurs, les deux parties s’engagent dans de longs cycles de négociations « pour sauver les apparences », dans l’espoir qu’une solution magique voie le jour. Ce qui bien entendu n’arrive pas. Au contraire, pendant qu’ils perdent du temps, la dette s’alourdit et non seulement elle porte tort aux perspectives à court terme du débiteur, mais elle décourage également l’afflux de nouveaux capitaux et d’investissements essentiels à la croissance future.

Voilà en quelques mots l’histoire de la Grèce. En évi    tant des actions décisives pour résoudre le surendettement, le pays et ses créanciers ont contribué à une situation qui est décevante pour tout le monde. Les partenaires européens de la Grèce n’ont rien de solide à faire valoir contre les milliards d’euros qu’ils ont prêtés au pays. Le Fonds Monétaire International et la Banque Centrale Européenne, qui acceptent l’approche qui entend sauver les apparences, nuisent à leur propre crédibilité. Mais les plus grands perdants sont les citoyens grecs, qui ont subi l’un des programmes d’austérité les plus sévères de l’histoire, sans pour autant voir la lumière au bout du tunnel. En effet, le ratio de la dette par rapport au PIB de la Grèce est à présent considérablement plus élevé qu’au début de ses efforts d’austérité. Et le chômage à long terme des jeunes est resté à des niveaux extrêmement élevés pendant une période extrêmement longue. Les résultats de croissance lamentables de la Grèce au cours des huit dernières années contrastent fortement avec les résultats des autres membres de la zone euro qui ont fait face à des pressions de paiement paralysantes. Sans avoir connu une chute aussi dure que celle de la Grèce, l’Irlande et le Portugal ont retrouvé une croissance positive. Même Chypre a eu de meilleurs résultats, en évitant l’effondrement économique et en retrouvant sa croissance ces deux dernières années, alors que la Grèce a rechuté dans la récession.

Les résultats de l’économie grecque paraissent tout aussi faibles par rapport à ceux de l’Islande, un pays qui, dépourvu de l’aide externe dont la Grèce a bénéficié, a subi un violent ajustement du marché. Alors que l’Islande a fait face à une contraction économique très largement similaire durant quelques années, la croissance a fait un solide retour et dépasse à présent de loin celle de la Grèce.

Comme la Grèce et ses créanciers (qui sont pour l’essentiel des prêteurs souverains et des institutions multilatérales), délibèrent sur la façon de traiter de manière imminente le sérieux problème de liquidités du pays, ils doivent reconnaître ces différences et tirer les leçons de leur approche passée. Plus ils continueront de nier la réalité, plus lourds seront les dégâts. Et plus cela coûtera cher de les réparer.

Remettre le problème à plus tard est politiquement plus facile que de parvenir à des solutions globales et durables. Mais cela fonctionne rarement. La Grèce ne peut surmonter ses difficultés économiques que si elle modifie son approche. Plus précisément, la Grèce et ses créanciers doivent convenir d’un programme de désendettement crédible qui soutienne les réformes internes nécessaires pour redynamiser les moteurs de croissance de la Grèce et pour accorder ses obligations internes sur ses capacités. Une telle approche, déjà favorisée par le FMI, renforcerait considérablement les perspectives de croissance de la Grèce.

Si une logique économique claire ne suffit pas à motiver les partenaires européens de la Grèce à réduire la dette, le rôle de première ligne assumé par la Grèce dans la crise historique des réfugiés de l’Europe est sans aucun doute suffisant à lui seul. Après huit longues années, il est temps de donner à la Grèce l’aide dont elle a besoin, sous la forme d’un cycle de réduction de la dette orienté vers la croissance.

*Conseiller économique principal à Allianz, directeur du Global Development Council du Président Barack Obama - Auteur de The Only Game in Town: Central Banks, Instability, and Avoiding the Next Collapse.