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Loi de finances complémentaire : tout ça pour ça?

par Abed Charef

Statu quo intégral : la loi de finances complémentaire ne change aucune donnée fondamentale de l'économie algérienne. Abderrahmane Benkhalfa a abandonné ses dernières velléités d'innovation.

Abderrahmane Benkhalfa continue son douloureux apprentissage de l'activité gouvernementale algérienne. Chaque semaine, le ministre des Finances, qui en est à deux mois de présence au gouvernement, découvre un pan de ce mystérieux fonctionnement au sommet de l'Etat algérien, là où se prennent des décisions avec un impact énorme sur le pays, sans que l'on sache réellement qui décide de quoi.

Cette semaine, avec l'adoption du projet d'ordonnance portant loi de finances complémentaire, M. Benkhalfa a eu le privilège de découvrir deux grands thèmes. Il a d'abord compris qu'en Algérie, se mettre dans l'habit d'un ministre exige de laisser aux vestiaires toutes les idées de réformes sur lesquelles on a bâti sa carrière ; il a ensuite compris que ce n'est pas le ministre des Finances qui fait la loi de finances.

En effet, on a beau fouiller la loi de finances complémentaire, on n'y trouve pas trace d'une quelconque idée prônée publiquement par M. Benkhalfa ces derniers mois. Transferts sociaux, rationalisation économique, modernisation de l'administration, rien. Le texte est même d'une très grande banalité. Il est tellement dans la lignée de ce que faisait le gouvernement de M. Abdelmalek Sellal ces dernières années qu'on se demande à quoi servirait une loi qui apporte si peu. Les changements introduits dans l'IBS et la TAP (impôt sur les bénéfices et taxe sur l'activité professionnelle) ne vont pas bouleverser la donne économique. Ces mesures sont loin d'apporter les changements qui pourraient pousser la croissance à huit pour cent, pour faire de l'Algérie un pays émergent à l'horizon 2020, selon la promesse de M. Sellal. La loi confirme simplement une évidence, et situe l'ampleur du gap financier pour 2015 : les recettes des hydrocarbures vont baisser de moitié, pour passer de 68 à 34 milliards de dinars, et l'Algérie va puiser abondamment dans le Fonds de régulation des recettes.

PETITE MARGE

Qu'est-ce qui va changer ? Ce n'est pas du côté de M. Benkhalfa qu'il faudra chercher, mais dans les propos du chef de l'Etat. Et de ce côté-ci, rien ne bouge. « Malgré la situation induite par la chute sévère des prix du pétrole, l'Algérie entend poursuivre la mise en œuvre de son programme quinquennal de développement », assure le chef de l'Etat, précisant que 26 milliards de dollars seront consacrés à ce volet durant l'année 2015. On dépense donc toujours autant pour les investissements, mais aussi dans les « transferts sociaux » car, sur ce chapitre, le chef de l'Etat, soucieux d'abord de paix sociale, ne prendra aucun risque. Il a fermement « réaffirmé l'attachement de l'Etat à sa politique de solidarité nationale et de justice sociale ». Ces choix de base réduisent singulièrement les velléités de changement prônées par M. Benkhalfa. Au mieux essaiera-t-il de tricher pour en atténuer les implications les plus graves. Au pire, il mettra du zèle à appliquer les décisions conformes au «programme du président de la République» ; il pourra même leur trouver des vertus et il finira par se les approprier. C'est le prix à payer pour devenir ministre du quatrième mandat et à rester dans le gouvernement quand un homme aussi zélé que Amara Benyounès se fait éjecter.

DANGEREUSE AMNISTIE FISCALE

M. Benkhalfa pourra se targuer d'une seule petite note : avoir ouvert la voie à une hypothétique et très dangereuse amnistie fiscale. En ouvrant la possibilité aux détenteurs d'argent de l'injecter dans les circuits formels contre une amende, la LFC ouvre la possibilité de mieux exploiter les énormes ressources financières circulant au noir. On parle d'une quarantaine de milliards de dollars. Mais il ne faut pas s'y tromper. En l'état actuel de l'économie et des banques algériennes, cette mesure n'apportera rien de bon. Elle risque même d'avoir de terribles effets pervers.

D'une part, contrairement aux idées reçues, l'argent ne va pas dans les circuits bancaires simplement parce que les banques n'offrent pas la souplesse, la rapidité et l'efficacité nécessaires, et non parce que les gens ne veulent pas y aller. Ensuite, parce qu'il n'y a pas de sommes gigantesques détenues par les particuliers chez eux. L'argent qui dort est déjà dans les banques ou à l'étranger. Il faudra des mesures autrement plus crédibles pour l'inciter à revenir.

Enfin, ouvrir l'éventualité d'une amnistie fiscale risque de mener à une sorte de « grève des impôts », beaucoup de patrons d'entreprises risquant de se mettre en marge de la loi en espérant bénéficier à terme d'une telle mesure. Au final, l'idée d'amnistie fiscale risque de se transformer en une nouvelle catastrophe pour l'administration des impôts, qui peine toujours à se mettre à niveau.

En tout état de cause, cela ne suffit pas pour faire une loi de finances. Les grandes décisions contenues dans la LFC, qui sera adoptée intégralement par le parlement, sont prises ailleurs. Elles n'ont pas changé depuis une décennie. C'est le président Bouteflika qui les dicte. Abdellatif Benachenou, Mourad Medecli et Karim Djoudi peuvent en témoigner. Quant à M. Benkhalfa, il pourra toujours s'occuper de quelques volets techniques, comme la monétique et la modernisation des distributeurs automatiques.