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Pourquoi le renflouement grec a échoué

par Kenneth Rogoff *

CAMBRIDGE – Alors que la crise grecque est en train d’évoluer, il est important de comprendre qu’un programme d’ajustement structurel réussi a besoin d’une forte propriété nationale. Même si les négociateurs viennent à bout des derniers points de friction, il sera difficile d’avoir confiance en leur mise en œuvre si le peuple grec reste sceptique.

C’est bien à cela que nous avons assisté jusqu’ici. Et sans réforme structurelle, il y a peu de chances que l’économie grecque connaisse une stabilité et une croissance durable, en particulier parce que les prêteurs officiels ne sont pas disposés à prolonger davantage un près d’argent encore plus important que celui qu’ils doivent payer à une Grèce non réformée. (Cela a été le cas pendant la majeure partie de la crise, bien que la presse mondiale n’en ait pas beaucoup parlé.)

L’adhésion de la Grèce à l’Union européenne donne à ses créanciers un effet de levier significatif, mais manifestement insuffisant pour changer le calcul fondamental. La Grèce conserve tout à fait sa condition de pays souverain, elle n’est pas un État à la souveraineté amoindrie. La « troïka » des créanciers (le Fonds Monétaire International, la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne), n’aiment vraiment pas le genre d’effet de levier exercé sur la Grèce, à l’image de celui pratiqué par la Municipal Assistance Corporation de New York quand cette ville se trouvait au bord de la faillite dans les années 1970.

Les meilleurs programmes d’ajustement structurel sont ceux dans lesquels le gouvernement du pays débiteur propose les modifications de stratégie et où le FMI aide à concevoir un programme sur mesure et fournit la couverture politique pour sa mise en œuvre. Les imposer de l’extérieur n’est tout simplement pas une option efficace. Ainsi pour que les réformes s’installent, le gouvernement grec et son électorat doivent croire en elles.

Qu’un pays doive s’approprier son programme de réforme n’a rien d’une nouveauté. La relation difficile du FMI avec l’Ukraine a commencé longtemps avant le dernier cycle de négociations. En 2013, les services du FMI ont écrit un rapport éloquent sur l’expérience de l’organisation dans le pays. Leur conclusion consistait à dire pour l’essentiel que l’incapacité du gouvernement à adopter l’intégralité du processus de réforme n’a réussi qu’à garantir que son programme ne fonctionnerait pas.

Le rapport explique que si un gouvernement se montre incapable ou indifférent lors de l’élaboration des ajustements nécessaires, la meilleure option consiste alors à distribuer l’argent au goutte à goutte pendant la mise en œuvre des réformes, comme cela a lieu en ce moment en Grèce. Malheureusement, cette approche n’a pas été suffisante pour surmonter les défis de ce genre. Les conditions des réformes structurelles font souvent pencher la balance entre factions nationales concurrentes, pour le meilleur ou pour le pire. S’il n’y a aucune volonté à l’intérieur du pays pour soutenir les réformes, elles sont rapidement mises à mal.

Les doctrinaires de gauche ont longtemps considéré les programmes de réforme structurelle avec une profonde méfiance, en accusant des bailleurs de fonds internationaux comme le FMI et la Banque mondiale de faire le jeu des fondamentalistes du marché néolibéral. Cette critique contient une part de vérité, mais elle est exagérée.

Certes les réformes structurelles favorisent souvent des mesures qui vont dans le sens de la flexibilité du marché du travail. Mais il ne faut pas tomber dans le travers de considérer ces interventions en termes de tout ou rien. La décomposition dichotomique des marchés du travail qui excluent de jeunes travailleurs (comme c’est le cas dans une grande partie de l’Europe méridionale, notamment en Italie et dans une certaine mesure en France), est très différente du fait de faciliter le processus de licenciement à l’encontre de tous les travailleurs. Rendre durables les systèmes de retraite ne revient pas à les rendre plus avares. Se diriger vers une fiscalité plus simple et plus juste n’est la même chose qu’augmenter les impôts de tous les contribuables.

Récemment les adversaires des réformes structurelles ont formulé des objections plus exotiques : en particulier au sujet du problème causé par la déflation quand les taux d’intérêt directeurs sont à zéro. Si les réformes structurelles diminuent simplement tous les salaires et les prix, il peut en effet être difficile à court terme de lutter contre la baisse de la demande globale. Mais une critique similaire a pu être faite au sujet de n’importe quelle autre modification politique : si la réforme est mal conçue, elle sera contre-productive. La vérité est que la marche à suivre en Europe nécessite une plus grande productivité.

Les leçons tirées de la Grèce et d’autres programmes de sauvetage infructueux donnent à réfléchir. Si un programme de renflouement de la dette nécessite de profondes modifications du modèle l’économique, social et politique d’un pays, alors le meilleur plan d’action peut consister à passer les pertes privées à profit et pertes, plutôt que de verser des fonds publics pour les renflouer. Dans des cas comme celui de la Grèce, la passion des créanciers pour les réformes structurelles pourrait être plus utile chez eux, surtout en vue d’améliorer la réglementation financière.

Une grande majorité de Grecs veut rester dans l’UE. Dans un monde idéal, proposer une aide financière en échange de réformes peut venir en aide aux citoyens de ce pays qui veulent créer un État européen moderne. Mais étant donné les difficultés que la Grèce a eu jusqu’ici à mettre en œuvre les changements nécessaires pour atteindre cet objectif, il est peut-être temps de reconsidérer complètement cette approche dans le contexte de la crise. En lieu et place d’un programme qui accorde au pays davantage de prêts, il est peut-être plus judicieux de fournir purement et simplement une aide humanitaire, indépendamment du fait que la Grèce reste entièrement ou non dans la zone euro.

* Ancien économiste en chef du FMI, enseigne l’économie et la politique publique à l’Université de Harvard