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Mettre L Europe à L abri de la tempête

par Mohamed A. El-Erian *

LAGUNA BEACH - De sombres nuages obscurcissent l'avenir économique de l'Europe. En effet, trois tempêtes distinctes convergent : la crise grecque, l'incursion de la Russie en Ukraine et la montée des partis populistes. Bien que chacune constitue une menace considérable, l'Europe aidée par la récente reprise conjoncturelle est en mesure d'y répondre individuellement, sans autre risque qu'une série de perturbations passagères. Toutefois si ces trois phénomènes devaient converger en une sorte de " tempête parfaite ", un retour à l'embellie serait alors extrêmement difficile à prévoir.
 
En l'état actuel des choses, les trois tempêtes en sont à des stades différents de formation. La crise grecque qui s'amplifie depuis des années, elle celle qui gronde le plus fort. Au-delà de la possibilité de la première sortie de la zone euro, la Grèce pourrait risquer de devenir un État en faillite, un résultat qui constituerait une menace multidimensionnelle pour le reste de l'Europe. Atténuer les conséquences humanitaires néfastes (associées aux migrations transfrontalières) et l'impact géopolitique de cette tempête ne sera pas chose facile.

La deuxième tempête, qui pointe son nez depuis l'Est de l'UE, est le conflit militaire coûteux dans la région du Donbass en Ukraine. La crise dans l'Est de l'Ukraine, jugulée en partie seulement par l'accord de cessez-le-feu de Minsk II, traduit la profonde rupture dans la relation entre l'Occident et la Russie depuis l'effondrement de l'Union soviétique.

Davantage d'interférence russe en Ukraine (directement et/ou par des factions interposées séparatistes dans le Donbass), risque de mettre l'Occident devant un choix cornélien. L'Occident risque de devoir renforcer les sanctions contre la Russie et risquer de faire basculer l'Europe de l'Ouest dans la récession si la Russie répond par des contre-sanctions, ou si elle s'adapte aux ambitions expansionnistes du Kremlin et compromet d'autres pays aux minorités russophones (y compris les pays baltes membres de l'UE).

La troisième tempête (le tumulte politique provoqué par la montée des mouvements politiques populistes), constitue encore une autre menace sérieuse. Stimulé par un large mécontentement des électeurs, en particulier dans les économies en difficulté, ces mouvements politiques ont tendance à se concentrer sur une petite poignée de problèmes, (en s'opposant par exemple aux immigrants, à l'austérité ou à l'Union européenne), essentiellement pour cette raison qu'ils peuvent servir de bouc-émissaire aux problèmes de leur pays.

Dès à présent, les électeurs grecs ont élu le parti d'extrême-gauche Syriza pour son programme anti-austérité, lors d'une victoire rapide en janvier. Le parti français d'extrême-droite (Front national) se classe actuellement deuxième dans les sondages. Le Parti populaire danois anti-immigration vient de terminer second aux élections législatives du pays, avec 22% des voix. Et en Espagne, le parti de gauche anti-austérité Podemos bénéficie d'un soutien à deux chiffres.
 
Les tendances et les étroites plates-formes extrémistes de ces partis limitent la flexibilité des mesures des gouvernements, ce qui force certains partis et politiciens relativement modérés à adopter des positions plus radicales. C'est cette inquiétude face à la capacité du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) à éroder la base politique des Conservateurs, qui a poussé le Premier ministre David Cameron à s'engager à organiser un référendum sur l'adhésion continue de l'UE du pays.

Avec trois tempêtes à l'horizon, les dirigeants européens doivent agir rapidement pour être en mesure de dissiper chacune d'elle avant qu'elle ne se confonde avec les autres, afin de prendre en main efficacement toutes les perturbations éventuelles qui risquent d'en découler. La bonne nouvelle est que les outils de gestion de ces crises régionales ont récemment ont été considérablement renforcés, en particulier depuis l'été 2012, où l'euro a bien failli s'effondrer.

En effet, non seulement de nouveaux disjoncteurs institutionnels, comme le Fonds européen de stabilité financière (FESF) ont été mis en place. Mais en outre, certains organismes existants ont également été rendus plus flexibles et donc plus efficaces. Par ailleurs, la Banque Centrale Européenne s'est engagée dans une initiative d'achat de capital à grande échelle, qui pourrait bien être étendue facilement et rapidement. Et des pays comme l'Irlande, le Portugal et l'Espagne, grâce à un travail acharné et douloureux, ont réduit leur vulnérabilité à la contagion par les crises voisines.
 
Mais ces amortisseurs risquent d'être durement mis à mal, si toutes ces tempêtes doivent converger en un seul et même coup de grand vent dévastateur. Compte tenu de l'interdépendance fondamentale de l'UE (en termes économiques, financiers, géopolitiques et sociaux), l'effet perturbateur de chaque choc peut amplifier les autres, faire surchauffer les disjoncteurs de la région, conduire à la récession, relancer l'instabilité financière et créer des foyers de tension sociale. Cela peut faire augmenter un chômage déjà élevé, exposer à des prises de risque financier excessives, enhardir la Russie et renforcer encore les mouvements populistes, en empêchant ainsi la mise en place de solutions politiques globales.

Heureusement la possibilité d'une telle tempête parfaite est jusqu'à présent davantage un risque qu'une prévision. Néanmoins, étant donné l'ampleur de son potentiel de destruction, les décideurs doivent y accorder toute leur attention.

Pour assurer l'avenir économique de l'Europe dans ce contexte, il faudra d'abord et avant tout un engagement renouvelé en direction des efforts d'intégration régionale (mener à bien l'union bancaire, faire avancer l'union budgétaire et aller de l'avant sur la question de l'union politique), qui ont été évincés par une série sans fin de réunions et de sommets sur la Grèce. De même au niveau national, il faut relancer les initiatives de réformes favorables à la croissance économique, qui semblent avoir perdu de leur urgence face à des marchés financiers complaisants et excessivement arrangeants. Cela permettrait de soulager le fardeau politique de la BCE, qui est actuellement forcée de poursuivre les objectifs ambitieux multiples et qui dépassent de loin sa capacité à fournir de bons résultats durables pour la croissance, l'emploi, l'inflation et la stabilité financière.

La focalisation actuelle sur le déluge en Grèce est compréhensible. Mais les décisionnaires ne doivent se laisser distraire par ce phénomène, au point d'être distraits et de ne plus préparer aux deux autres tempêtes (et, fait beaucoup plus inquiétant, à la possibilité qu'elles ne fusionnent en une seule et même catastrophe encore plus destructrice. Les dirigeants européens doivent agir maintenant pour minimiser les risques, de peur de trouver leurs abris insuffisants à les protéger contre de futures conditions météorologiques extrêmes.

* conseiller économique en chef d'Allianz et membre de son Comité exécutif international,président du Conseil de développement mondial du Président Barack Obama. Il a publié dernièrement When Markets Collide.