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Gouvernement : Du placement des réfugiés nigériens aux affrontements de Touggourt

par Ghania Oukazi

La décision de placer les réfugiés nigériens dans des centres d'accueil, ouverts dans quelques régions du pays, semble répondre, étrangement, à une demande formulée par un ministre allemand des Affaires étrangères, au début des années 2000.

Ce ministre avait, à l'époque, demandé à l'Algérie -particulièrement- d'accepter l'ouverture de centres de rétention pour bloquer l'émigration clandestine africaine vers l'Europe. La demande, en question, était d'une indécence et d'un cynisme désolants. Le gouvernement allemand voulait ainsi, se débarrasser d'une émigration qui mettait à mal la nouvelle politique qu'il voulait faire adopter par l'Union européenne, avec l'aide de la France, contre ce qui a été appelé, par un courant raciste «le péril noir». En attendant, il était intéressant pour les pays européens de voir l'Algérie ouvrir des centres de rétention comme c'est le cas en Italie ou à Malte, pour retenir les migrants africains «le temps que le nécessaire soit fait pour les renvoyer vers leur pays d'origine». Le ministre qui en avait fait la proposition était compté dans l'Alliance / Verts mais avait tourné casaque et est devenu un va-t-en guerre en soutenant, entre autres guerres, l'intervention militaire américaine en Afghanistan. Ce responsable allemand voyait en l'Algérie, un pays qui pouvait se dresser en «zone tampon» contre l'émigration clandestine dont le spectre hantait et hante toujours «l'Europe des libertés humaines et de la démocratie». L'Algérie devait à cet effet, s'armer en forces et en convictions politiques, à la limite du racisme, pour devenir ce gendarme qui avait pour mission de refouler les «Noirs» pour les empêcher d'approcher le monde «blanc».

Arrivés en masse, en Algérie, depuis ces deux dernières années, les réfugiés nigériens et maliens ont envahi les villes, quartiers et rues, sans qu'aucune autorité ne s'en soucie. Ces réfugiés ne se cachent même pas ou craignent une reconduite à la frontière pour l'avoir passée, illégalement. Ils sont venus de leurs pays respectifs en passant pas les immensités du désert algérien, pour atteindre, avec beaucoup de difficultés (pour ce qui est du transport), les régions nord du pays. Pour mendier, ils errent à longueur de journées, femmes, hommes, enfants, petits et grands, jeunes et vieux. «Sadaka,» répètent-ils, en permanence en tendant la main.

«L'EMIGRATION : SOIT ON L'ARRETE, SOIT ON L'ORGANISE»

Les Nigériens, pour ne parler que d'eux, puisque nous les avions approchés, ils sont, nous disent des élus, plus de 4.000 personnes à être arrivées, en Algérie. Beaucoup d'entre eux ont pris la Mitidja comme «terre d'asile» avec l'aval implicite des autorités politiques et locales du pays. Ils ont monté des tentes derrière le marché de Boufarik et se sont créés une espèce de quartier où manquent les conditions les plus élémentaires de la vie. C'est une véritable descente aux enfers pour les adultes mais, notamment pour les enfants dont certains sont nés dans ces lieux maudits, sans aucune aide médicale. «C'est une question politique, l'Etat est au courant,», s'étaient contentés de nous dire des élus locaux, à Boufarik, en mai dernier, lorsque nous avions visité ce camp de «toiles.» (Voir le reportage dans ?Le Quotidien d'Oran' paru le dimanche 25 mai 2014, sous le titre «Drame humain aux portes d'Alger».)

Interrogé à ce sujet, Maître Farouk Ksentini avait jugé que «l'émigration, soit on l'arrête, soit on l'organise, c'est inhumain.» Il a qualifié ces regroupements de «camps de concentration» et a exhorté les pouvoirs publics à «respecter la dignité humaine» parce que, a-t-il dit, «c'est une obligation morale qui incombe à l'Etat.» La semaine passée, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales a déclaré que le gouvernement a pris la décision de régler «humainement» ce problème, avec la collaboration des autorités nigériennes. Première décision est donc de mettre les réfugiés de ce pays, dans «des centres d'accueil», a-t-il indiqué «ouverts dans certaines régions du pays.» Un de ces centres, le plus important est à Tamanrasset, d'autres vers le nord comme celui de Tizi Ouzou, sont ouverts pour accueillir, uniquement les réfugiés qui ont la carte de séjour que leur délivre leur consulat installé dans la capitale du Hoggar. Les autres, les réfugiés illégaux, seront renvoyés vers leur pays. L'on se demande pourquoi les autorités algériennes ont-elles laissé pourrir la situation au point où elles sont, aujourd'hui, obligées de jouer sur les mots et d'expliquer que «ce n'est pas un renvoi mais un retour des Nigériens, en situation illégale, vers leur pays.» L'on s'interroge, aussi, sur la portée politique du mot «réfugié» pour tenter de comprendre l'explication de «cette aide au retour» à des personnes et des familles entières qui, soutiennent des sociologues, fuient leur pays en raison de la famine et de la pauvreté.

«L'ANTICIPATION» N'EST PAS CHOSE ACQUISE CHEZ LE GOUVERNEMENT

La présence des Nigériens, en Algérie, a laissé constater leur dénuement et leur indigence à un point où ils mendient avec leurs enfants, en bas-âge, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse chaud. L'état misérable de leur gîte dans les alentours de Boufarik vous noue l'estomac. Ils dorment sur des amas de couvertures déchirées, cartons, sacs en plastique que les eaux de pluie ont noyé, au milieu des monticules de détritus et déchets y compris humains. C'est épouvantable. Pendant tout ce temps, les autorités locales ne voyaient ni n'entendaient quoi que ce soit. L'émigration, disent les sociologues est «un fait politique qui doit être géré par anticipation pour ne pas que ses conséquences débordent sur les sociétés locales.» Des conséquences, il en a toujours parce que, expliquent-ils, «le phénomène s'incruste dans les mailles des populations, entraînant tout ce qui pourrait s'apparentait à des fléaux.» La communauté nigérienne, à Boufarik, a été, à plusieurs reprises, attaquée par, nous disent des élus «des drogués venus d'ailleurs.» Nombreux Nigériens ont été délestés de leur modeste bourse, parfois de leurs vêtements. Eux-mêmes devaient se débrouiller pour se nourrir et nourrir leurs progénitures. «Tous les moyens sont bons pour y arriver,» nous disent nos interlocuteurs. En parallèle, de nombreuses familles leur donnaient à manger surtout en tant de célébrations religieuses.

L'anticipation suggérée par les sociologues, pour éviter des situations aussi dramatiques, n'est pas chose acquise chez le gouvernement. Il l'a démontré, encore une fois, ce week-end, par rapport aux graves émeutes qui ont secoué Touggourt, cette paisible localité, dans le sud du pays. «Fallait-il attendre qu'il y ait mort d'hommes pour régler les problèmes posés depuis toujours ?», interroge-t-on. Ce qui est désolant, c'est qu'il a fallu que la situation dégénère, dangereusement, pour que les autorités locales soient instruites pour, entre autres, distribuer des lots de terrain aux contestataires. Si le ministre de l'Intérieur a décidé, de suite, qu'il en soit ainsi, c'est que ces lots existent et devaient revenir à des citoyens qui voulaient construire leurs habitations. Taieb Berlaiz a, aussi, fait savoir qu'il va créer une commission qui se chargera «sur place» de trouver des solutions aux problèmes posés, comme celui de l'emploi. A entendre le Premier ministre discourir, à chaque fois qu'il se déplace dans une région, ce genre de problèmes doit être pris en charge et réglé, au fur et à mesure, qu'il se pose. Il a, à maintes reprises, instruit les autorités locales à discuter avec les populations pour éviter l'affrontement. Si ses ministres ne doivent pas comprendre ce qu'il dit, c'est qu'il se doit, alors, de le leur expliquer autrement?

LE PREMIER MINISTRE DOIT EXPLIQUER «AUTREMENT» SES INSTRUCTIONS A SES MINISTRES

A défaut de dialoguer avec les citoyens, les autorités locales préfèrent, dans la majorité des temps, faire la sourde oreille. «Les élus ne se déplacent même dans leurs localités pour écouter les populations et enregistrer leurs doléances,» fait-on remarquer. Les missions des démembrements de l'Etat ne semblent pas être clairement définies, aux responsables chargées de les exécuter. La bureaucratie continue de faire des siennes dans les administrations, tout au temps que le clientélisme, l'excès de zèle et l'abus de pouvoir. Touggourt, comme toutes les autres régions du pays, ont leurs terrains à distribuer, leurs routes défoncées à construire, les emplois à trouver, les quartiers à faire nettoyer? C'est ce qui fait le quotidien d'une cité. «Ce n'est pas tant les solutions qui manquent mais la volonté des autorités de les trouver, même quand elles sont toutes simples,» note un ministre. Béchar est cette autre wilaya qui tente, encore cette année, de fuir la mort en nageant à contre courant des eaux pluviales qui lui ont tout emporté sur leur passage. «2008, 2012, 2014.., c'est trop pour nous, les inondations nous ont tout pris,» se lamentait, hier, une citoyenne à l'écran de la télévision publique. «Les autorités locales ont attribué, il y a quelques temps, des centaines de lots de terrain dans un lit d'oued,» nous disait un natif de la région qui connaît bien les crues et les débordements des nombreux oueds qui passent par Béchar. Même la capitale n'est pas mieux lotie quand on voit les constructions qui ont «poussé» dans le «pli» du Val d'Hydra. Notre Béchari évoque, bien sûr, les regards bouchés, les poubelles jetées par terre, mais aussi «les digues envasées». Les deux digues construites pour faire barrage aux eaux déchaînées ne servent plus à rien, selon lui. Les autorités locales le savent. Le gouvernement aussi.