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Les nouvelles frontières du logement abordable

par Charles S. Laven* et Jonathan Woetzel**

SHANGHAI – Trouver un logement décent et abordable devient de plus en plus difficile, aussi bien dans les économies émergentes que développées. Parce que la demande est de loin supérieure à l'offre, les effets indésirables sur la mobilité, la productivité et la croissance se font (ou se feront) de plus en plus sentir. Heureusement, il existe des moyens pour réduire sensiblement l'écart des prix abordables du logement, en utilisant essentiellement des approches axées sur le marché à l'échelle municipale.

Dans le monde, 330 millions de ménages urbains à revenus faibles ou modestes vivent dans des logements insalubres ou sont placés sous une telle contrainte financière par leurs dépenses de logement, qu'ils doivent renoncer à certaines dépenses essentielles, comme les dépenses de santé et d'éducation. En 2025, ce chiffre pourrait atteindre 440 millions de ménages, soit environ 1,6 milliards de personnes (un tiers de la population urbaine mondiale) sans compter certaines personnes les plus pauvres du monde qui vivent souvent hors des villes, dans les rues des villes, ou comme squatteurs, ce qui fait qu'elles ne figurent pas dans les dernières estimations de recensement.

Remplacer les logements insalubres d'aujourd'hui et construire les unités supplémentaires nécessaires d'ici 2025 demanderait un investissement estimé à 16 milliards de dollars : voilà indubitablement un chiffre impressionnant. Mais il existe quatre « leviers » clés capables de réduire le coût de la prestation de logement de 20% à 50%, qui peuvent rendre ainsi les logements abordables (soit pas plus de 30% du revenu total) pour les ménages gagnant 50% à 80% du revenu médian dans la plupart des villes.

Le premier levier est une utilisation des sols plus efficace. L'acquisition de terrains pour le développement sur le bon emplacement et à un prix raisonnable, représente le plus grand potentiel de réduction des coûts de logement.

Le choix des emplacements est particulièrement important dans les pays émergents, où de nombreux secteurs manquent de transports suffisants, d'eau, d'électricité et d'infrastructures sanitaires. Des investissements dans ces domaines devraient améliorer et étendre les utilisations (soit en autorisant l'accès à des terres en friche ou en équipant des régions pour accueillir davantage d'habitants), en contribuant de la sorte à réduire les coûts du logement.

De même, les villes peuvent assouplir leurs contraintes d'occupation des sols, comme la taille des lots, afin d'autoriser des projets à plus forte densité et donc à plus grande valeur. En échange d'une plus forte valeur ajoutée avec les promoteurs immobiliers, les pouvoirs municipaux pourraient exiger qu'une partie du terrain ou qu'un certain nombre d'unités soient mises de côté pour des logements abordables. Un tel interfinancement augmenterait l'offre de logements par tranche de revenu, sans coût public direct.

La dernière étape vers l'amélioration de l'aménagement est la mise en œuvre de mesures visant à décourager la thésaurisation foncière. La Chine, par exemple, impose une taxe sur le foncier non occupé sur les terrains anciennement publics, si leurs propriétaires ne parviennent pas à lancer un processus de développement au cours de l'année.

Ceci nous amène au deuxième levier clé pour étendre le logement abordable : un secteur du bâtiment plus cohérent et plus efficace. En l'état actuel des choses, le secteur de la construction de logements est très fragmenté, ce qui limite sa capacité à tirer parti des économies d'échelle. Et les promoteurs comptent souvent en grande partie sur les mêmes méthodes utilisées il y a 50 ans.

En normalisant les éléments de construction, comme les hauteurs sous plafonds, les luminaires et les revêtements de sol, les entreprises de construction peuvent réduire les coûts et accroître la productivité, car les travailleurs acquièrent de l'expérience par des tâches répétitives. Des économies supplémentaires sont possibles grâce à des méthodes industrielles, comme l'utilisation de composants construits hors site (par exemple, les murs et les dalles de plancher). Et la plupart des promoteurs sont à la traîne par rapport aux autres industries sur le plan de l'efficacité des achats et pour d'autres processus. Dans l'ensemble, ces améliorations pourraient réduire jusqu'à 30% les coûts de construction de logements et de 40 à 50% les délais de livraison.

Le troisième levier clé pour rendre les logements plus abordables se rapporte aux opérations et à la maintenance (depuis le chauffage du bâtiment jusqu’à la réparation des tuiles cassées) qui représentent 20% à 30% du coût total du logement. Ici la plus grande opportunité réside dans les efforts visant à améliorer l'efficacité énergétique grâce à l'isolation, à des fenêtres et à d'autres rénovations qui génèrent des économies d'énergie de 20% à 30%.

Des économies supplémentaires seraient possibles si les sociétés de maintenance et de réparation adoptaient des pratiques plus transparentes et plus concurrentielles, exploitées à grande échelle. À cette fin, les pouvoirs publics pourraient certifier et recenser les fournisseurs qui répondent aux normes de qualité, ou regrouper les propriétaires en achetant des consortiums : une approche qui a aidé les organismes de logements sociaux du Royaume-Uni à réduire de plus de 20% leurs coûts sur certains biens.

Le dernier levier pour le logement abordable réside dans un accès plus large au financement, en particulier pour les ménages à faibles revenus, qui font souvent face aux coûts de crédit les plus élevés, du moins pour ceux qui ont la chance d'accéder à un financement. Pour de nombreuses personnes qui ne bénéficient pas de services bancaires, qui ne peuvent donc épargner ni établir un dossier de crédit, la seule option est de payer de fortes primes de risque pour des prêts hypothécaires représentant un pourcentage élevé de la valeur de la propriété.

Afin d'élargir l'accès au financement, les pays peuvent améliorer la souscription par l'établissement de bureaux de crédit (rares dans les économies émergentes) et dans la formation et la certification des experts immobiliers. Dans certains pays, les programmes d'épargne collective (c'est-à-dire, les fonds de prévoyance et les sociétés de bâtiment) ont aidé des ménages à faible revenu à accumuler des acomptes, avec des économies mises en commun fournissant également du capital à faible taux hypothécaire.

Dans le même temps, afin de réduire les coûts de financement pour leur développement, les organismes municipaux peuvent éliminer les risques associés aux projets en s'engageant à acheter des unités abordables ou en garantissant la solvabilité de certains locataires. Les villes peuvent également simplifier les procédures d'approbation afin d'accélérer l'achèvement des travaux.

Ces quatre leviers, utilisés de façon systématique, peuvent réduire les coûts du logement pour ceux qui en ont le plus besoin et la création d'un marché qui fonctionne mieux fournira davantage d'alternatives aux ménages en fonction des différents niveaux de revenu. En effet, tandis que les administrations municipales et nationales devront prendre des mesures supplémentaires pour répondre aux besoins de leurs citoyens les plus pauvres, les villes disposeront d'outils puissants à leur disposition pour réduire leurs écarts de logements abordables.

Même s'il est évident qu'aucune solution unique ne peut s'appliquer partout, des initiatives qui intègrent une politique foncière et un financement plus accessible à des efforts de modernisation de la construction et de la gestion de logements, peut conduire à des avancées partout dans le monde.

* Président de Forsyth Street,une société d'investissements (1)
** Directeur du McKinsey Global Institute

1- Professeur adjoint au développement immobilier à Columbia University Graduate School of Architecture, Planning, and Preservation.