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Une histoire difficile à écrire

par Mokhtaria Bensaâd

Pas facile d'écrire l'histoire de la révolution algérienne, soixante après. Problème de transition entre l'avant- et l'après-guerre ou difficulté d'étaler toutes les vérités sur une époque aussi cruciale pour l'indépendance du pays? La famille révolutionnaire semble encore divisée sur le récit de cette époque encore marquée par des zones d'ombre. Soixante ans après l'indépendance, le passé révolutionnaire pèse de tout son poids sur l'histoire du pays et les acteurs et témoins de la révolution parlent de cette époque avec beaucoup d'émotion. Ces émotions étaient visibles, hier, à la conférence sur la « création du GPRA et la problématique du pouvoir pendant la révolution », organisée à l'hôtel Liberté d'Oran par l'association nationale du MALG (ministère de l'Armement et des Liaisons générales) au temps de la révolution en collaboration avec Le Quotidien d'Oran. Animée par un ancien membre du MALG, le commandant à la wilaya V, Hocine Senouci, cette rencontre s'est voulue un rappel de mémoire pour faire de la lumière sur la constitution du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en 1958 avec à sa tête Farhat Abbès et les conflits et discordes qui ont surgi durant cette époque pour le pouvoir. Maintenant pour écrire l'histoire, « la responsabilité incombe à l'Algérie indépendante de le faire », estime M.Hocine Senouci qui considère qu'on a « sciemment occulté l'histoire. Je vais raconter des salades en disant, on n'écrit pas l'histoire à chaud parce que les gens sont encore vivants. Personne ne leur a dit de faire l'histoire dans la rue. Mais on aurait dû mettre des académiciens, des historiens et intellectuels qui prennent ensemble tous les clivages, idéologiques, régionaux.. etc. pour récupérer ce patrimoine, le traiter et le remettre proprement au peuple. Cela n'a pas été le cas. Ce qui a ouvert la porte à toutes les dérives qui soient, à l'inverse de la réalité ».

L'histoire victime d'un système socio-éducatif défaillant

Plus explicite sur cette nécessité d'écrire l'histoire, l'ex-membre du MALG dira, «en 1962, il existait une élite digne de ce nom. Mais il existait aussi une masse de moudjahidine. La réalité historique c'est ça. Mais pendant 52 ans, il fallait comprendre ce qui s'est passé et où on a raté le passage. En 1962, la majorité des moudjahidine n'avait qu'un souci, celui que la révolution réussisse.

La majorité voulait l'unité et la paix. Ce n'est qu'après que j'ai compris que peut-être les véritables bases n'avaient pas été mises pour permettre une architecture évoluée au pouvoir en Algérie. C'est pourquoi, il faut étudier l'histoire, il faut l'analyser pour comprendre ce qui s'est passé. Si on veut la corriger ». Pour cet ancien moudjahid, les gens sont vraiment ignorants de leur histoire. Pourquoi ? Parce que notre système socio-éducatif est totalement défaillant. Ce système a été fait à l'emporte-pièce. Nos dirigeants n'ont pas compris que c'est là l'erreur. Moi, j'ai toujours dit qu'on a loupé le système éducatif depuis 62. Quand on est allé chercher les enseignants dans les zones rurales de l'Egypte. Peut-être qu'ils l'ont fait sincèrement, mais les résultats sont là ».

Interrogé sur les querelles intestines qui continuent à nourrir la vie politique en Algérie et sur le maintien au pouvoir du FLN après l'indépendance, le conférencier a souligné que « l'histoire est une continuité. Effectivement, la sociologie politique de l'Algérie est héritée de la problématique du pouvoir durant la guerre de libération. Mais ce n'est pas aussi évident. Les conflits durant la lutte de libération avaient une certaine teneur et aujourd'hui, ils ont une autre teneur. Si on veut dépasser ces conflits, il faut éduquer le peuple sur une sociologie politique plus élaborée et plus élevée ». Sur le FLN, il donne son point de vue qui reste, dira-t-il, personnel. « Je suis d'accord pour que le FLN rentre au musée depuis très longtemps. Pourquoi ? Le FLN était un front, un consensus de diverses tendances politiques. Ce n'était pas un parti politique mais un front de libération. Il aurait dû terminer sa mission le 5 juillet 1962. A l'image du FLN historique, il aurait dû être un grand parti de rassemblement ».

Krim Belkacem et Abbane Ramdane font encore polémique

Parler du GPRA, c'est aussi parler de l'histoire de Krim Belkacem et de Abbane Ramadane. Le conférencier ne pouvait éviter ces sujets qui ont d'ailleurs suscité la réaction de participants à cette conférence. Pour M.Hocine Senouci « ces développements sur la problématique du pouvoir peuvent paraître longs et complexes et montrent les difficultés éprouvées par les dirigeants de la révolution de s'entendre sur l'adoption dans ce domaine d'une doctrine claire qui, à défaut d'être commune, se devait d'être partagée par le plus grand nombre.

Ces désunions conjoncturelles n'enlevaient rien, cependant, aux mérites des uns et des autres dans leur mission au service de la patrie. Il s'agit là d'une réalité historique».

Sur les causes de ces conflits, il a souligné qu'elles étaient multiples. « Par exemple Farhat Abbès a été contesté par Krim Belkacem. Bien sûr que tous les membres du CCE (Comité de coordination et d'exécution voulaient devenir président du GPRA. Mais, je crois que Farhat Abbès faisait l'unanimité en matière de respect ». Sur Abbane Ramdane il dira, « j'essaye de n'exprimer ni mon opinion ni mon émotion personnelle. Je me limite aux faits et aux dates. Ce que j'ai dit est un fait.

Concernant Abbane Ramdane, je n'ai rien dit qui soit déplacé. Est-ce que tout le monde convient que Abbane Ramdane était un chef ambitieux. Il a était toujours opposé aux agissements du CCE. Et tout le monde sait que ça a abouti à son élimination malheureusement. Maintenant, l'histoire le jugera beaucoup plus sérieusement. Nous apportons nos témoignages avec toutes les faiblesses humaines»... Des déclarations qui ont suscité la réaction du secrétaire général de l'association MALG, M.Mejdoub, qui a déclaré à Le Quotidien d'Oran : « j'aimerai que l'on protège l'association des jugements. Ce n'est pas parce que Abbane était coléreux qu'il méritait d'être tué. L'assassinat de Abbane Ramdane est encore un point d'interrogation. On a construit le problème de l'intérieur contre l'extérieur, le militaire et le civil.

Ce sont des rêves de gens qui se battaient pour la révolution et qui se sont évanouis avec eux ». Il a, cependant, annoncé son retrait de l'association en déclarant : « je suis secrétaire général de l'association que je vais quitter tout de suite ». Soixante après, les sensibilités des uns et des autres ne sont pas encore dissipées.