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Réélection de Bouteflika : La realpolitik des grandes puissances

par Moncef Wafi

Les grandes puissances de ce monde voient, dans la réélection de Bouteflika, un gage de stabilité régionale, mais pas que, puisque les capitales occidentales s'inscrivent, par rapport à la présidentielle algérienne, en droite ligne de la préservation de leurs propres intérêts.

Pour la Russie de Poutine, la victoire du président sortant lui garantit la «poursuite de la coopération militaro-technique avec l'Algérie», écrit lundi «Kommersant», le quotidien à forte connotation économique, qu'on dit proche du Kremlin, puisque son propriétaire est Alicher Ousmanov, un magnat de la métallurgie et P-DG de ?GazpromInvestHolding', une filiale du géant russe Gazprom. Pour Moscou, la reconduction de Bouteflika, à la tête du pays, est garant d'une stabilité renforcée par le contrôle exercé par «les structures de force», même s'il venait à quitter le pouvoir. «On ignore combien de temps Bouteflika pourra encore rester au pouvoir mais selon les experts, même s'il partait, la probabilité de déstabilisation serait faible et le pouvoir resterait contrôlé par les structures de force», rapporte le journal russe. L'article estime qu'il est dans l'intérêt de Moscou que Bouteflika exerce ses fonctions «aussi longtemps que possible» pour pérenniser le commerce d'armes qui fait partie des secteurs prioritaires pour la Russie et l'Algérie. En 2013, rappelle «Kommersant», Alger avait passé commande de 1,9 milliard de dollars de contrats pour l'achat d'armements russes. L'Algérie est le huitième acheteur d'armes, au monde, sur la période 2006﷓2010 où elle a acquis 3% des armes conventionnelles vendues dans le monde, à égalité avec les Etats-Unis et l'Australie, est considérée, au même titre que l'Inde, la Chine, le Venezuela et le Vietnam, comme l'un des principaux importateurs d'armements russes. Ainsi, lors des cinq dernières années, les contrats d'armements, conclus par l'Algérie avec Moscou, ont avoisiné les 16 milliards de dollars, le plus grand marché étant celui conclu à l'occasion de la visite du président russe, Vladimir Poutine, à Alger avec l'achat d'une dizaine d'avions, notamment des Mig. «Kommersant» va plus loin en liant ces contrats avec la personnalité même de Bouteflika, en affirmant que c'est sur «sa participation directe que des contrats d'armement pour 6 milliards de dollars ont été signés, au milieu des années 2000». Le journal cite, également, des sources officieuses qui annoncent que les deux pays ont, récemment, paraphé de nouveaux accords et sont prêts à signer de nouveaux contrats pour la même somme. Cette attitude intéressée n'est pas propre à la seule Russie puisqu'on la retrouve dans la position officielle de Paris qui s'est fendue d'un communiqué, le moins que l'on puisse qualifier de laconique. L'Elysée, au lendemain de la proclamation des résultats officiels de la présidentielle du 17 Avril, s'était abstenu de féliciter Bouteflika, jouant la carte de «l'extrême prudence» en se contentant de «prendre acte» du résultat. Ainsi, le quotidien français «Le Monde», et rapportant le commentaire d'un influent haut fonctionnaire, souligne que le communiqué de l'Elysée se garde bien de féliciter le chef de l'Etat algérien qu'on gratifie d'un «score à la soviétique» et se contente de lui souhaiter «le plein succès dans l'accomplissement de sa haute mission». Ce communiqué, tout en retenue, s'explique, selon le journal, par une volonté de ne pas jeter de l'huile sur le feu, d'une relation toujours empreinte d'émotion et de susceptibilité. En filigrane, ce sont surtout les intérêts, de plus en plus, importants de la France en Algérie qui ont conditionné la position française alors que le candidat Ali Benflis, crie, à qui veut l'entendre, à une fraude généralisée. Même Washington n'est mû que par ses propres intérêts et la dernière visite de John Kerry, le secrétaire d'Etat américain, à Alger où il s'est entretenu avec le président-candidat, sans pour autant rencontrer les autres candidats de l'opposition, est un adoubement à la politique de Bouteflika.

La position de l'Union européenne, même si elle est empreinte d'un évident manque d'enthousiasme, est, néanmoins, par la nature des rapports avec le régime algérien qui sont surtout placés, sous le sceau de la realpolitik, étant donné que l'Algérie vend aux Européens un tiers du gaz qu'ils consomment. Sans oublier qu'Alger est une puissance régionale et qu'elle joue un rôle majeur dans la lutte antiterroriste dans le Sahel et contribue à contrôler les flux migratoires vers le sud de l'Union.