Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Algérie, une et multiple... et «crises»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

50 ans de médias algériens. Actes du Colloque en hommage à Abddelhamid Benzine, 9-10 mars 2013. Ouvrage collectif. Editions Les Amis de Abdelhamid Benzine, avec le soutien du ministère de la Culture, 235 pages, 500 dinars, Alger 2014

Que de noms ! Belkacem Mostefaoui (un survol des 50 ans de médias algériens), Mohamed Bensalah (sur le civisme de l'information? «qui fait cruellement défaut»), Mazouz Rezigui (sur la régulation des médias), Said Chabani (sur la problématique de l'ouverture de l'audiovisuel), Laid Zaghlami (sur la globalisation et la numérisation, un texte trop court, dommage !), Salima Tlemçani (sur «le journalisme d'investigation»), Boukhalfa Amazit (un merveilleux «papier» sur les journalistes d'hier et d'aujourd'hui), Larbi Zouag (sur le commentaire de presse), Mohamed Arezki Himeur (sur le rôle de la presse durant la période coloniale), Belkacem Benrouane (sur les sondages), Mohamed Bedreddine (sur la communication d'expression amazighe), Cherif Dris (sur le marché de la presse écrite)... et une dizaine d'autres, pour la plupart des universitaires enseignants en Journalisme et Communication : Fella Bourenane (sur le champ médiatique), Ryma Rouibi-Kateb (sur la mobilité linguistique dans la consommation de la presse écrite), Fatima Taiebi Moussaoui (sur les TIC), Maya-Radia Gouini (sur la presse scientifique), Mourad Zeggane et Boukhalfa Chouikret (sur la formation), Fatma Kebbour et Malika Boukhari (sur le traitement de l'information par certains JT)...

Ils ont tous participé au Colloque (tenu en mars 2013 à Alger) organisé alors par l'Association Les Amis de Abdelhamid Benzine sous une direction scientifique, s'il vous plaît !. C'est dire la valeur d'un contenu extrêmement utile pour bien comprendre l'évolution des médias nationaux et, surtout, pour en saisir les défis, les enjeux et les perspectives, proches ou lointains. En tout cas, une bonne partie d'entre eux, ce qui n'est pas rien dans un contexte en changement continu, à la limite de l'anarchique.

Des textes en français. Des textes en arabe. Ce qui ne gâte rien, c'est une bibliographie qui, bien qu'indicative, permet d'avoir l'essentiel de ce qui s'est fait, en Algérie, en matière d'écrits principaux sur la com', ainsi que des annexes porteuses d'une foule d'indications (ex : liste des journalistes de 54 à 62, liste des journalistes et autres travailleurs des médias assassinés par les terroristes islamistes entre 93 et 97 : 111 très exactement dont un étranger, en reportage à la Casbah d'Alger?)

Avis : Un document de niveau scientifique, publié avec le soutien de ministère de la Culture... Elaboré dans un cadre méthodologique étudié et rigoureux déjà utilisé lors des précédents colloques. Utile. Aux étudiants. Aux journalistes. Aux «décideurs» publics ou privés. Aux candiadts à la présidentielle, en tout cas pour bien de leurs soutiens ? Pourquoi pas, il n'est jamais trop tard pour s'instruire.

Extraits : «Le plus important réside dans l'appréhension qu'ont d'eux-mêmes les hommes et les femmes des médias. S'ils sont de plus en plus nombreux à prendre conscience que l'acte d'informer est une lourde responsabilité à assumer avec rigueur et abnégation, ils vont finir par développer des démarches pouvant participer efficacement à la démocratisation de la société et, par conséquent, à son évolution et à sa modernisation» (Ahmed Ancer, préface, p 13), «Lorsque les médias publics et même privés font allégeance aux régimes en place, lorsque les dirigeants confondent information et propagande et lorsque le silence devient la règle sur des sujets sensibles, excluant de fait toute concertation, il est normal qu'une société se bloque et que l'apathie prédomine» (Mohamed Bensalah,p 33).

Dictionnaire des locutions de l'arabe dialectal algérien. Recueil de Mohamed Nazim Aziri. Editions Anep, 484 pages, 1070 dinars, Alger 2012

Un journaliste, ce n'est pas, ce n'est plus, seulement, un pilier de rédaction, préoccupé par la seule recherche et la mise en forme de nouvelles. Il peut et il doit, aussi, être un faiseur de sens en se mettant à l'écriture, soit romanesque, soit historique, soit tout simplement documentaire. Les exemples ne manquent pas, ne manquent plus, depuis quelque temps, en Algérie.

Parmi la vingtaine de journalistes s'étant mis à l'écriture d'ouvrages, il y a Nazim Aziri, le journaliste de Canal Algérie qui anime, entre autres, Questions d'Actu.

Son diplôme en océanographie lui a permis (ou l'a poussé) a aller encore plus profondément à la recherche des instruments populaires de la langue?l'arabe dialectal algérien. En fin de parcours, un «dictionnaire des locutions» de près de 500 pages. Des locutions par milliers, car il a remonté le temps en se plongeant dans des œuvres parfois assez anciennes, hélas oubliées comme ont été oubliées bien des façons de dire les choses dans notre pays, préférant emprunter, aujourd'hui, des expressions bien étranges car étrangères. L'auteur le note fort bien en introduction : «A écouter nos discussions et nos échanges de propos, on se rend vite compte de l'ampleur du changement, ou plutôt de la détérioration subie par notre façon de parler et de s'exprimer». Une détérioration que l'on retrouve dans les médias (arabophones et francophones)?, et trois fois hélas, à l'Ecole et à l'Université.

Le drame, c'est que le choc actuel des «langages» est en train de faire bien plus de dégâts, sur tamazight y compris, que celui, passé, des langues. Désormais, on a perdu la langue française, nous n'avons pas gagné totalement l'arabe, nous n'avons pas récupéré le tamazigh et l'on se retrouve englués dans une quatrième? quasi-incompréhensible.

Avis : Un peu cher, mais il vaut le détour d'autant qu'il est très bien présenté (couverture cartonnée faite pour durer, contenu aéré? et maquette superbe). Sera très utile pour «corriger» vos enfants ou pour «poser» au café du coin. Pour compléter votre culture populaire, lire aussi : «Encyclopédie des proverbes algériens».Un recueil de proverbes et dictons populaires (en arabe et en français. Traduction de Mustapha Ferhat) de Kheddouci Rabah. Dar El Hadhara. Alger 2002. 197 pages, 200 dinars. Et, «Glossaire raisonné des mots français d'origine arabe»? un mini-dictionnaire de Amine Mahrez. Editions El Othmania, collection Arabissima, Alger 2006,196 pages, 300 dinars.

Extraits : «La langue que nous utilisons entre nous pour communiquer est un mélange hétéroclite d'arabe et de français et dont le résultat donne une sorte d'imbroglio linguistique, ne répondant presque à aucune règle grammaticale» (p 5)

Les malaises de la société algérienne. Crise de langues et crise d'identité. Essai de Abderrezak Dourari, Casbah Editions, 174 pages, 300 dinars, Alger 2003

L'auteur est bien connu tant dans le monde universitaire (Docteur en linguistique, enseignant en sciences du langage, multilingue :arabe-français, anglais, tamazight), il analyse la société algérienne de l'intérieur? et durant les moments les plus dramatiques (ou tragiques), c'est-à-dire les moments les plus révélateurs des différences et des points communs d'une société en pleine ébullition, tout juste sortant d'une période de déconstruction parfois sanglante. Une déconstruction-destruction qui a cultivé la haine et des caprices rétrogressifs durant près de trente années (62-90).

A travers des études, il décortique les malaises (les déchirements !) sociétaux, surtout ceux culturels et linguistiques, source de tous les maux empêchant l'identité nationale de se sortir de la «mélasse» intégro-culturaliste (arabiste, avec son avatar islamiste, celui-ci sanglant et/ou berbériste), de se développer harmonieusemnt dans l'unité de l'identité et la diversité des cultures et des langues, dans le respect de tous les symboles d'intégration, tout en adhérant aux horizons de démocratie, de liberté et de modernité.

Avis : Il date certes, il est peut-être dépassé par l'actualité. Mais, sur le plan historique et théorique, il est, par la lucidité de l'analyse, absolument nécessaire pour savoir «garder raison» et pour mieux envisager un avenir commun? multiple. Et sans «crises».

Extraits : « L'ère du «un» est bel et bien terminée ; il convient maintenant de s'engager dans la voie du multiple, dans celle de la modernité sociale, culturelle et politique qui s'accommode très peu de totalitarisme, de communautarisme, ou d'intégrismes quelle qu'en soit la nature ou le mode d'expression» (p 29), «La dénomination «le tamazight» où le singulier frappe l'esprit de celui qui est un tant soit peu au fait de la pluralité des variétés berbères, ne peut être interprété que comme un vouloir être, lui-même fondé sur un avoir été mythique, érigé en devoir être. La loyauté envers la langue, mais aussi envers l'idéologie qui la sous-tend, «devra être sans faille». Le vouloir être Un est présenté presque comme un monothéisme. Le multiple «doit» être pourchassé ; il participerait au polythéisme» (p 148), «Le domaine de la culture comme celui de l'identité ont été mythifiés dans notre société après avoir été soumis à l'impensé à tel point qu'on les a classées comme des domaines impensables» (p163)