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Ce que le monde nous doit

par Abdelkader Leklek

Ils font vibrer tous les coins de la planète par leurs talents, comme ils font que les limites des connaissances, des sciences et des techniques reculent, et que les arts soient libérés et affranchis des carcans, des asservissements, des oppressions et autres soumissions, afin que l'humanité en profite.

Ils font vibrer tous les coins de la planète par leurs talents, comme ils font que les limites des connaissances, des sciences et des techniques reculent, et que les arts soient libérés et affranchis des carcans, des asservissements, des oppressions et autres soumissions, afin que l'humanité en profite. Cependant, et si leurs parents n'étaient partis ? Les descendants de ces exilés contraints ou volontaires, de ces émigrés, de ces expatriés et de ces réfugiés malgré eux. De ces refoulés, de ces expulsés, et d ces dépaysés pour diverses causes, personnelles, politiques, philosophiques, économiques, parfois culturelles, donnent depuis, du rêves, de l'espoir et de l'ambition aux jeunes et à ceux qui ne le sont plus. Sans eux le monde aurait été privé de toutes ces stars, et de tout ce qu'elles entrainent et véhiculent comme perspectives et espérances. Et même si mon affirmation de présentation semble prétentieuse, moi j'étais parti sur cette preuve biblique qui atteste, que nul n'est prophète en son pays. Oui mais, dans ce cas, il ne s'agit pas de ceux qui n'avaient pas été reconnus prophètes chez eux, mais de leurs enfants, qui sont reconnus prophètes dans le pays qui n'est pas le leur, mais celui où ils sont quasiment tous et toutes nés. Est-ce à dire que certaines certitudes, bibliques soient-elles, peuvent connaitre des limites ? Je n'en veux pour preuve que la composante de l'équipe nationale de football, qui a qualifié l'Algérie au mondial du Brésil de 2014. Bien sur qu'il y aura des esprits chagrins qui m'opposeront le cas du candidat deux fois malheureux, à la présidentielle française de 2007 parce qu'il n'avait pas pu recueillir les 500 parrainages de maires de France, et qui avait en désespoir de cause, acquis le parrainage d'un maire d'une commune du Calvados de 342 habitants, que cet édile avait mis aux enchères. L'aspirant candidat l'acheta et le déchira en direct à la télé sur une chaine d'information. Ceci rappelle le coup de gueule qu'avait poussé l'artiste Serge Gainsbourg, qui protestant de payer trop d'impôt avait brulé en direct à la télé, un billet de 500 francs. Le candidat malchanceux en France et étant binational viendra tenter fortune en Algérie et il postula la candidature à le présidentielle du 17 avril 2014. Et comble de scoumoune, le véhicule qui transportait les 62 000 feuilles de souscriptions, selon ses prétentions, disparut énigmatiquement et son frère aurait été kidnappé dans les mêmes circonstances brumeuses. Ceci se passait à quelques heures de la forclusion du délai légal de dépôt du dossier de candidature au conseil constitutionnel. Le mystère est depuis demeuré entier. Toutefois, le but était atteint et son coup de pub fut spectaculaire. Et voila qu'à mon tour je participe à faire résonner sa propagande. Oui mais pour que ma chronique avance, j'endosse ce sacrifice. Celles et ceux que le monde nous doit, sont des dieux des stades, tel Zidane évoluant en équipe de France, vainqueur de la coupe du monde de football 1998, et ayant porté 26 fois, le brassard de capitaine des bleus, dont le sociologue Michel Maffesoli dit ceci dans son livre ?'iconologies, nos idolâtries postmodernes, Albin Michel 2008, dit «Zinedine Zidane est une de ces figures sportives suscitant la passion. Il symbolise le corps collectif. Il suffit de voir les hystéries qu'il suscite pour comprendre en quoi il est la cristallisation de toute une série de rêves, de désirs et de plaisirs appartenant au trésor commun de l'humanité».

Les Benzéma, Nasri ailleurs. Et pour nous, les Nadir Belhadj, Karim Matmour, Hassan Yebda, Taïder, Feghouli et j'en passe et des meilleurs. Le champion olympique, médaille d'or en boxe mi mouche et aussi champion du monde dans la même catégorie, Brahim Asloum, fait rêver dans sa finesse d'exécution du noble art. Comme ils sont aussi, les animateurs du showbiz, avec un professionnalisme qui en fait d'elles et d'eux des partenaires très recherchés. Il n'y a qu'à voir, ce que fait le chorégraphe Kamel Ouali en matière de comédies musicales reprenant de grands classiques universels, comme les dix commandements, et des chefs-d'œuvre de la littérature occidentale, tels : «Autant en emporte le vent»,et «le roi soleil», en œuvre propre. C'est le cas également d'une kyrielle de rappeurs qui sont référence en la matière en France et outre atlantique. Ils deviennent par leur art, des faiseurs d'opinions. Comme également la pléiade d'acteurs et d'actrices à l'image de Samy Naceri, Rachida Brakni et de réalisateurs, comme Rachid Bouchareb et Mehdi Charef. Et pareillement, une enfilade d'humoristes comme Ramzy Habib El Haq Bébia, alias Ramzy. Les politiques ne sont pas en reste. Et uniquement pour exemplifier, je citerai, celles et ceux qui ont été ministres des deux camps du champ politique français, la gauche comme le droite ; Tokia Saïfi, Fadéla Amara et Yamina Zohra Belaïd Benguigui. Des animateurs politiques comme Malik Boutih et Leïla Aïchi. Quant à la vie littéraire, ses animateurs sont Azzouz Beggag, qui avait été qualifié par la critique littéraire d'inventeur de la littérature beur, qui fut également ministre. Faïza Guène, elle, auteur d'un premier ouvrage à l'âge de 19 ans :''kiffe kiffe demain'', vendu à 400 000 exemplaires et traduit dans 26 langues, fut surnommée par les commentateurs, la ?'Sagan des banlieues''. Et enfin, je ne pouvais pas la rater, Assia Djebbar, même si pour elle, le parcours n'est pas analogue à tous ceux et toutes celles que j'ai cités pour illustrer la chronique. Elle a été élue à l'académie française en 2005, excusez du peu. Car quoique l'on dise, pour calomnier et discréditer, cette institution composée de 40 vieux gâteux, dit-on, jouant à faire la police de la langue française, par la rectification de l'orthographe du dictionnaire. Y être n'est pas peu, pour quelqu'un comme Assia dont la langue maternelle n'est pas celle de l'académie, mais un butin de guerre conquis par Kateb Yacine et Malek Haddad, rebelles à leurs façons.

Les domaines de la médecine, de la recherche et des inventions ont leurs noms parmi ceux que le monde nous doit. Alors qu'est-ce qui a fait que toutes ces réussites, un peu pour nous et beaucoup pour les autres, ce qui est d'ailleurs formidable, mais également, ces ascensions sociales se réalisent ? Que ces talents s'expriment, que ces capacités, ces aptitudes, et ces habiletés trouvent du succès, et qu'aussi ces qualités Triomphent ? Ce sont les rêves, dit-on, qui font grandir les enfants, et ce sont les occasions de voir ses espoirs aboutir, qui font que les sociétés humaines deviennent plus fortes. Des générations de juristes se sont échinés à définir le concept de nation, bien sur avec des fortunes diverses, mais aucune définition n'avait fait l'unanimité. Toutes péchaient par un défaut d'accomplissement, qui fait faisait qu'aucune n'en fut universellement réalisable. Et pourtant les exigences à priori simples face aux chocs des civilisations, cette farfelue théorie et tous ses dérivés, exploités jusqu'à l'usure, par des tripotées de manipulateurs, ont fait son insuccès. Les prosélytismes religieux, les singularismes communautaires, les exacerbations des particularismes identitaires et autres nombrilismes, demeurent des facteurs péremptoirement bloquants. Et à mon tour j'ose.

Une nation, au-delà d'un pays, d'une patrie, c'est quand des hommes et des femmes, acceptent de vivre ensemble, mais aussi quand chaque membre de cet ensemble, demeure libre de conserver ses dogmes, ses certitudes, sans les imposer aux autres membres. C'est cette propension à posséder et à maitriser cette capacité, qui fabriquera des nationaux. Loin, bien loin de la notion de nationaliste. Cependant se sont des apprentissages à l'école, dans les familles et à travers l'environnement qui forgeront le champ notionnel du patriote. Ce n'est pas un homme seul qui peut décider de tout, quoi qu'en soit le système politique, ni une ou des assemblées, qui doivent le faire sans aucun contrôle. Alors, est-ce cela qui a fait que le monde nous doit des femmes et des hommes tels qu'annoncés dans mon développement? Mais à l'opposé, qu'est-ce que nous autres, à notre tour devons au monde, en femmes et en hommes ? L'histoire commence au presbytère de la ville Souk-Ahras à la veille du déclenchement de la guerre de libération. Le lundi 16 avril 1956, les trois prêtres ouvriers de la paroisse de Souk-Ahras, les pères, Louis Augros, Jobic Kerlan et Pierre Mamet, sont convoqués par le commissaire de police de la ville, dit Sybille Chapeu, dans son livre : «des chrétiens dans la Guerre d'Algérie : l'action de la mission de France». Le chef de la police leur notifie trois ordres d'expulsion les concernant, signés par le préfet de Constantine, M, Dupuch, datés du 9 avril 1956. Il leur est reproché d'entraver l'action des pouvoirs publics. Cet ordre d'expulsion était exécutoire immédiatement. Cette mesure, continue Chapeu, fait l'effet d'une bombe car, pour la première fois depuis le début de la guerre d'Algérie, des prêtres catholiques sont suspectés d'avoir des liens avec ?'de fellagas algériens''. Se déplaçant à Alger le père Jobic Kerlan, réussit, par l'entremise de Jean Daniel, alors journaliste à l'Express, de rencontrer Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, qui l'informe qu'il est accusé de : ?' distribuer des produits pharmaceutiques aux rebelles du secteur de Souk-Ahras''. Mais aussi, que les trois prêtres sont accusés : ?'d'avoir dénigré les autorités et d'exercer des activités politiques que religieuses''. Et enfin : ?'de faire du service social pour le Front de Libération Nationale''.

Le père Augros fera de la résistance et ne se résoudra à quitter Souk-Ahras, que manu militari sur ordre du sous-préfet de la ville Masselot, le 10 mai 1956, quasiment un mois après l'ordre du préfet de Constantine. Chapeu faire dire au père Jobic Kerlan, qui connaissait et entretenait des rapports avec l'un des membres du groupe des 22, qui avait décidé du déclenchement de la révolution du 1èr novembre 1954, Badji Mokhtar ceci : ?' cet homme était là devant moi, calme douloureux à l'évocation de ses supplices, mais résolu et plus décidé que jamais à aller désormais jusqu'au bout. J'en étais bouleversé. Certes je savais, mais, tout à coup l'impact de ce témoignage de la victime portait en moi des proportions qui m'atteignaient au plus profond de mon être. Cette soirée fut déterminante de toute mon action et elle marqua un tournant dans mon existence. Moi non plus je ne pouvais plus faire autrement que de soutenir la cause de tels hommes''. Cela se passait à l'automne 1953. Badji Mokhtar venait d'être relâché, après avoir été arrêté le 1èr avril 1950, et condamné à trois ans de prison qu'il purgera à la prison de Guelma, dans l'affaire du démantèlement de l'Organisation Spéciale. Quant au père Pierre Mamet, après avoir, au coté d'un autre prêtre ouvrier Jean Urvaos servi dans le réseau Jeanson comme porteurs de valises et plus, il sera consulté lors des discussions des accords d'Evian sur le devenir de l'église algérienne. C'est Rédha Malek dans son livre :'' l'Algérie à Evian'' éditions Dahlab 1995, qui rapporte ceci à la page 164:'' c'est grâce à l'entremise d'un chrétien engagé, responsable syndical et membre du conseil économique et social, Alexandre Chaulet (le père de pierre) que la rencontre de Gènes eut lieu. Il s'agissait d'examiner l'avenir de l'église en Algérie.

Deux prêtres qui avaient rejoint le FLN à l'extérieur, Pierre Mamet (ancien membre de l'équipe des prêtres de Souk-Ahras) et Alfred Berenguer, ancien curé de Montagnac-Remchi, avaient établi un rapport sur ce thème. Il sert de canevas à l'entretien qui a lieu à Gènes entre Pierre Chaulet et jean Scotto''. Sur ces discussions, Pierre Chaulet lui-même, dira dans son ouvrage : le choix de l'Algérie'', éditions Barzakh 2012, à la page 220 ceci :''puis, se déroulent deux jours de discussions amicales avec Jean Scotto pour aboutir à un accord global sur la restitution au culte musulman des mosquées occupées depuis la conquête, la reconnaissance de la souveraineté nationale dans les questions de société (concernant l'école), le respect de la liberté de conscience et de l'exercice du culte?''. Pour les uns et pour les autres, ceux et celles que le monde nous doit et ceux et celles que nous lui devons. Ils sont et ils ont été les acteurs de turbulences de l'histoire, dans le sens où la linéarité historique normalement chronologique, c'est-à-dire qu'ils sont et ont été les protagonistes de perturbations de la succession temporelle des évènements qui ordinairement font cette histoire.

Ces personnages parce que connus ne peuvent aussi occulter des milliers d'anonymes, dont ils sont ou bien avaient été les partenaires dans leurs actions, et qu'à toutes et à tous il soit reconnu ces intelligences, ces facultés et ses talents d'avoir secoué les consciences et ébranlé des certitudes. Ils auront crée de l'espoir pour leur communauté et pour l'humanité par cette anormalité, collectivement non admise, travaillée des siècles durant par un cadrage conformiste des choses, incrusté dans les mémoires et de plus en plus globalisé. C'est cela qui aujourd'hui guette le monde, qui menace les libertés d'objection et le droit de dire non à toutes ces évidences, à ces véracités et autres exactitudes fabriquées par les vainqueurs du moment, même ce faisant, ils auront soumis, assujettis et contraint d'autres peuples, leur déniant le moindre des droits du à la personne humaine. Et de pareilles tentations de soumettre le monde restent malheureusement d'actualité. Cette inquiétude est dite avec justesse par Amine Maalouf, dans la première page de son livre :''le dérèglement du monde'', éditions Sedia, 2009, en avouant quasiment une peur. Il dit :'' mon inquiétude est d'un autre ordre ; c'est celle d'un adepte des Lumières, qui les voit vaciller, faiblir et, en certains pays sur le point de s'éteindre ;c'est celle d'un passionné de la liberté, qui la croyait en passe de s'étendre sur l'ensemble de la planète et qui voit à présent se dessiner un monde où elle n'aurait plus sa place ; c'est celle d'un partisan de la diversité harmonieuse, qui se voit d'assister, impuissant, à la montée du fanatisme, de la violence, de l'exclusion et du désespoir ;et c'est d'abord, tout simplement, celle d'un amoureux de la vie, qui ne veut pas se résigner à l'anéantissement qui guette''. Quant à moi, mes ainés algériens avaient ouvert leur révolution à tous les damnés de la terre et offert une place dans leur pays le premier jour de son indépendance à tous les révolutionnaires du monde ; de sorte qu'Alger fut baptisée la Mecque des révolutionnaires.

Mon pays, le premier à avoir conquis en Afrique colonisée, son indépendance les armes à la main, avait été une terre d'accueil pour tous les harcelés du monde. Selon un article publié par le monde diplomatique du mois d'aout 1970, sous le titre :''Alger, capitale des révolutionnaires en exile'', Claude Deffarge et Gordian Troeller, deux journalistes au magazine allemand Stern, avaient dénombré 27 mouvements de libération domiciliés à Alger. Ils rapportent dans leur thèse de travail cette conclusion :'' nous avions établi, dans nos hypothèses de travail, une hiérarchie des mouvements de libération, fondée sur la ?' justesse ?' plus ou moins évidente de leur cause. En tête venaient les victimes du colonialisme (colonies portugaises) et, tout de suite après, celles de l'apartheid (Afrique du Sud, Namibie, Rhodésie), ensuite celles d'une agression impérialiste (Vietnam, Cambodge), puis les minorités opprimées ou victimes de discriminations culturelles et économiques, comme les Québécois, les Basques- que nous avons aussi trouvés là, d'ailleurs - et, enfin, les victimes de dictatures militaires de style fasciste (Brésil, Portugal, Espagne, Grèce, etc.)''. Pour ma part, je dirai que cette photographie du moment, ne sera complète qu'en lui ajoutant des noms, tels Nelson Mandela, Amilcar Cabral, Norodom Sihanouk, Johakim Chisano, Jacob Zuma, Castro, Ernesto Che Guevara, le Che, les tupamaros et tous les autres.

Les mêmes auteurs rapportent une anecdote concernant les blakcs Panthers, mouvement révolutionnaire Afro-Américain, antiraciste et anti-impérialiste, ainsi :'' Des divergences se sont propagées au sein du petit groupe, de la dizaine de Panthères, resté à Alger. Elles éclatent au grand jour lorsque deux militants du mouvement détournent un avion de la Western Airlines sur la capitale algérienne, avec, pour tout bagage, une rançon de 500 000 dollars. Laquelle des deux tendances se verra- t- elle attribuer cette somme ? Qui ira la réclamer au gouvernement algérien lorsque l'avion aura atterri ? Les durs ou les modérés ? Dispute prématurée et bien inutile... Après avoir compté les billets en présence des deux pirates et d'un diplomate américain, les autorités algériennes restituaient l'argent à ceux auxquels il avait été extorqué. Une chose est d'accorder l'asile politique à des pirates de l'air réclamant le statut de réfugiés politiques, une autre de devenir complice ou receleur''. Ça c'était de la diplomatie de netteté révolutionnaire, où il y avait une morale, une éthique et de la conscience.

On donnait aux autres, et on acceptait leur aide, on leur offrait l'asile, et acceptions leur hospitalité. Entre hommes et femmes que tout ou presque séparait, il n'y avait plus de cloisons de quelque ordre que cela soit. Cela annonçait-il l'avènement d'un monde meilleur ? Que faire alors, de tout cela rapporté à ce qui se passe, dans mon pays, dans la vallée du M'Zab, aujourd'hui ?