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Lendemains de débâcle électorale socialiste en France

par Abdelhak Benelhadj

Le parti socialiste a subi un véritable naufrage électoral ce dimanche. Les élections municipales, comme en de nombreuses circonstances similaires, bien qu'elles n'aient en principe qu'une portée locale, ont exprimé un désaveu cinglant de la politique menée par le président F. Hollande et son gouvernement. Cette fois-ci la défaite est particulièrement sévère. Au moins 155 villes de 9.000 à 100.000 habitants ont basculé de gauche à droite en ce deuxième tour.

De toute son histoire, jamais le PS n'a connu une déroute aussi cuisante.

De nombreuses métropoles ? certaines d'importance - ont été conservées à gauche : Rennes, Avignon, Lille, Strasbourg, Lyon, Metz? et Paris. Mais Limoges, à gauche depuis 1912, a été perdue et d'autres fiefs, de même culture et tradition politique au moins depuis une génération, ont basculé à droite.

Le Front National n'a pas été en reste, et cela bien que son succès a été moins net que les sondages et médias l'annonçaient. Il récupère une quinzaine de municipalités de plus de 9000 habitants. Dont Béziers qui est désormais dirigé par un nostalgique de l'Algérie française. Et plus de 1000 conseillers municipaux pour s'ancrer, se notabiliser localement et préparer les futures échéances électorales.

En fait, le Parti socialiste a perdu plus que des élections. Il a perdu le peuple de gauche. Le parti des abstentionnistes majoritairement de gauche est devenu (nouveau record à 36.3% qui rejoint les records observés dans les autres démocraties représentatives) le premier parti de France.

Mais pour ceux qui partagent son idéologie, fondamentalement populaire, le Parti Socialiste a perdu le peuple de France tout entier.

Après ces désastreuses municipales, les futures élections européennes, fin mai, annoncent de nouvelles désillusions. De cette prochaine compétition à la proportionnelle, le FN s'en frotte les mains. La droite aurait tort de se réjouir des déboires socialistes (certains élus UMP s'en gardent bien).

Que s'est-il donc passé ?

Après le premier tour, des responsables socialistes expliquaient que leur défaite venait de ce que la droite a repris à son compte les thématiques de l'extrême droite : sécurité, émigration?

Une vieille rengaine sans consistance reposant sur un idéalisme philosophique désuet qui fait peu de cas de la situation réelle des Français et renvoie sur d'autres ses propres insuffisances. Au reste, à observer la carte électorale du FN, on découvre qu'elle recoupe pour l'essentiel celle de la France du chômage et non celle des idées.

Ce ne sont pas des idées qu'attendent les Français de leurs élus, mais des actions efficaces pour soulager le quotidien de ceux dont le nombre augmente sans cesse et rapidement.

Entre « pacte de responsabilité » et « pacte de solidarité »

Après le second tour des municipales, la communication change de registre : ce n'est pas le PS qui est bloqué mais toute la France. Tous ses dirigeants quelle que soit leur couleur politique, ont affaire à la même contradiction. Et ce serait d'ailleurs à cause de cette contradiction constitutive qu'aucune majorité ne conserve de mandat deux fois de suite depuis 1986 (première « cohabitation » sous la Vème République).

A peine élue elle trahit ses promesses. A peine élue elle est déjà contestée et rejetée. Et les cycles se raccourcissent dangereusement.

- D'un côté une recherche de sécurité, de protection sociale, de services publics, d'emplois. La plupart d'entre eux veulent aussi conserver l'euro. Mais

- d'un autre côté payer de moins d'impôts et de cotisations sociales, moins de dettes, de plus de « liberté », de moins de déficits, de plus d'Europe.

En un mot, si l'on en croit la porte-parole du PS, les Français tiennent à la fois à leur politique sociale et à l'équilibre budgétaire capital pour maintenir le rang de leur pays dans le monde et en Europe.

On peut deviser longuement sur les théories et les politiques économiques : de Keynes à Laffer, de Schumpeter aux monétaristes de l'Ecole de Chicago, en passant par Leontief ou Stiglitz.

Malheureusement, le fond du problème est ailleurs :

1.- le président Hollande a renié le programme politique sur lequel il a été élu dès les premières semaines de son mandat en 2012. (Mitterrand ? attentif aux conseils prodigués par les « visiteurs du soir »- a attendu lui près de deux ans). Et cela même si Hollande s'est habillement débrouillé au cours de sa campagne pour éviter de répondre précisément à certaines questions? Chacun voyait bien que le président reniait son programme au fur et à mesure qu'il l'annonçait.

2.- Les politologues surestiment souvent l'impact des idéologies dans la mobilisation des foules. Les peuples sont plus pragmatiques et moins benêts que ne le croit les Spin Doctor. Les électeurs de F. Hollande auraient à la limite consenti à la « trahison » de ses engagements (une prescription cardinale chez les hommes politiques « professionnels », selon certains « spécialistes ») si sa politique avait obtenu des résultats. Or de résultats point.

La France bat des records : en matière de chômage, de déficit budgétaire (3% inatteignables en 2015), de déficit commercial, d'endettement (93,5% du PIB en 2013, après 90,2% en 2012). L'investissement et la croissance sont en panne, le nombre de faillites s'accroît, la désindustrialisation s'accélère, les parts de marché de l'économie française se rétrécissent?

Au point qu'ayant ratifié le Traité de Lisbonne (signé par Nicolas Sarkozy) et donné des gages à Bruxelles, Paris est sous la menace de rétorsions à la fois de ses partenaires et des marchés. Les agences de notation lui ont déjà retiré « triple A ».

Mais elle pourrait perdre bien davantage?

Certes, l'Allemagne sait que la France n'est ni le Portugal ni la Grèce. L'impact d'une défaillance française aurait des conséquences incalculables. Et pas seulement sur l'Euroland et l'Union. C'est sans doute pour cela que les taux d'intérêt appliqués au crédit de Paris restent curieusement très proches de ceux de la zone mark.

Mais pour combien de temps encore ?

D'autres questions demeurent sans réponse :

Les socialistes ont su très tôt et parfaitement les conséquences prévisibles de leur politique. Quels objectifs poursuivent-ils au juste ?

Jusqu'à quel point les écologistes ont-ils un agenda commun avec les socialistes et jusqu'à quand conserveront-ils une alliance de gouvernement (avec ou sans participation) qui risque de compromettre des élections européennes qui leur sont ordinairement plus favorable ?

C'est enfin les liens entre le PS et le PC (un parti ouvrier en perdition) qui risquent de se tendre. Les communistes savent ce que leur rapportent les alliances électorales avec leurs frères ennemis. Mais beaucoup de communistes savent ce que cela leur coûte et ce que cela va encore leur coûter?

En attendant, on sert aux Français un nouveau gouvernement dans lequel Montebourg en toute fatuité occupe un siège vide et son ancien titulaire promu sans doute à Bruxelles (sous le contrôle de Francfort, de Berlin et de la cour de Karlsruhe) ira exercer des prérogatives qui désormais ne sont plus à Paris.

La France perd ainsi sur tous les tableaux et se ménage des lendemains difficiles.

De la constitution de la Vème République les gouvernants qui en ignorent délibérément l'esprit, ne retiennent que les pouvoirs conférés à l'exécutif.

Devant le désastre des dernières années et la correction de dimanche dernier, on se souvient que le Général avait remis sa démission pour moins que ça.