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Karim Cherif, président de la Fédération nationale des Hôteliers : «Beaucoup reste à faire, pour améliorer le secteur du Tourisme»

par M. Mazari

Dans les années 1970, la destination Algérie état parmi les plus prisées, dans la Méditerranée. En 2013, elle est à la 132ème place des destinations touristiques, sur un classement comptant 140 pays, alors qu'avec son potentiel elle devrait être, au moins, parmi les cinquante premières. Que s'est-il passé depuis ?

Depuis 2010, la Tunisie et l'Egypte vivent des moments fort difficiles. L'Algérie, vivant pourtant une certaine stabilité politique, n'a pas su - ou pu - profiter de cette donne. Et avec tous ses tracas, la Tunisie a su attirer quelque 1,1 million de touristes étrangers, durant les 6 premiers mois de 2013. En 5 mois, l'Egypte, quant à elle, et malgré la crise politique, a accueilli près de 5 millions de touristes.

Mais d'autres pays, comme la Grèce, qui vit une crise économique et financière aiguë, n'a pas raté l'occasion, avec 16 millions de touristes, en 2012 et 17 millions en 2013. Pour ce pays, c'est une véritable bouffée d'oxygène.

Pendant plus de 20 ans, l'Algérie a «délaissé» le créneau touristique, pourtant très porteur, même si le pays recèle d'atouts extraordinaires : 1.200 km de côtes sublimes, et le Sahara, aussi varié qu'attirant, ainsi que des infrastructures hôtelières, de plus en plus, nombreuses et de qualité. Et si le tourisme peine à démarrer dans notre pays, c'est qu'il y a des problèmes. Et le plus sérieux d'entre eux est l'absence d'un plan, ou de politique de développement, voire de relance de ce secteur. Il faut dire que le pays s'est contenté de ses hydrocarbures, sans chercher à diversifier les ressources et sans penser, sérieusement, à l'après pétrole.

LES INDICES DE LA RELANCE

Néanmoins, quelques indices portent à penser qu'une réflexion est engagée pour investir ce créneau et faire, de nouveau, de l'Algérie une destination touristique incontournable, en Méditerranée et dans le monde et reprendre les nombreuses places perdues, dans le classement. «Selon l'Organisation mondiale du Tourisme (OMT), les arrivées de touristes internationaux, pour l'année 2012, ont dépassé le seuil symbolique d'un milliard de touristes (1,035 md), l'Afrique ayant reçu 50 millions, avec des perspectives à l'horizon 2030, de plus de 135 millions.

1.000 milliards de dollars, par an, est le chiffre d'affaires généré par le secteur et qui représenterait 6 à 7% du PIB mondial avec 1 emploi sur 10 qui serait mis à l'actif du tourisme», nous a indiqué M. Karim Cherif, président de la Fédération nationale des Hôteliers (FNH). C'est dire, l'importance de cette véritable industrie qu'est le tourisme. Et d'ajouter : «dans notre pays, les flux touristiques, bien que moins importants, sont en continuelle augmentation et encourageants, puisque nous avons reçu, en 2012, 2.630.000 touristes (1,6 million d'Algériens vivant à l'étranger et un 1 million de touristes étrangers)».

D'autre part, durant le 1er trimestre 2013, l'Algérie a accueilli quelque 400.000 touristes étrangers. L'afflux a, donc, augmenté par rapport à la même période de l'année 2012 où on avait enregistré 280.000 touristes étrangers. Au total, 1,8 million de touristes étaient attendus, en Algérie, en 2013. Mais, d'un autre côté, ce sont 100.000 touristes algériens qui se sont déplacés vers la Tunisie, durant le mois de décembre 2013. D'aucuns diraient que ces touristes algériens sont allés chercher, en Tunisie, ce qu'ils n'ont pas pu trouver dans leur pays, en l'occurrence des infrastructures touristiques abordables, notamment en ce qui concerne les prix et la qualité. Le tourisme local est donc en perte de vitesse.

CE QUI FREINE LE DEVELOPPEMENT DU TOURISME

De nombreux facteurs freinent le développement du Tourisme en Algérie. Parmi ces facteurs, selon le président de la Fédération nationale des Hôteliers, «le manque de professionnalisme de certains exploitants hôteliers». Dans ce cadre, ajoute-il, «la Fédération s'est engagée, dans l'une de ses missions principales, à accompagner notre corporation pour faire un saut qualitatif». M. Karim Cherif a avoué que «beaucoup restait à faire pour améliorer le secteur». «? un climat des affaires à améliorer, des lourdeurs bureaucratiques, la problématique de l'interdépendance avec d'autres secteurs d'activités, les mentalités qui doivent intégrer la dimension moderniste du Tourisme, et bien d'autres pesanteurs, sont des facteurs qui ralentissent l'émergence et le développement de notre secteur», a-t-il précisé.

Que faire, donc, pour assurer cette émergence et ce développement ? Pour notre interlocuteur, «l'augmentation substantielle des infrastructures touristiques, dans le cadre incitatif, est un moyen, par le biais de la concurrence et de l'émulation, d'augmenter la qualité de la prestation, sous toutes ses formes, mais aussi de participer à la baisse des prix».

Côté infrastructures, le président de la FNH indique que sur 1.250 hôtels, le secteur public ne représente que 5% du parc avec 68 établissements hôteliers et une dizaine de stations thermales. Et cette prédominance du privé sera accentuée, davantage, avec les 750 projets d'investissements hôteliers, en réalisation, à l'horizon 2015. «Au lendemain de l'indépendance, il n'y avait que 5.000 lits exploitables, dans notre pays. Toutefois, les capacités installées, aujourd'hui, et qui avoisinent les 98.000 lits, prouvent qu'il y a eu une évolution considérable», rappelle Karim Cherif. Par ailleurs, le ministère du Tourisme a décidé de relancer 80 projets touristiques qui faisaient, auparavant, face à une multitude de problèmes. Ainsi, plus de 70 milliards de DA ont été alloués pour remettre à niveau 65 infrastructures touristiques, parmi elles les stations thermales. Ces projets ont été confiés à une entreprise émiratie et connaissent un taux d'avancement appréciable et seront livrés, au début de l'année 2015.

2015, L'ANNEE DU DEMARRAGE ?

Il faut dire que l'Etat attend beaucoup de l'année 2015, considérée comme l'année de la relance, effective, du Tourisme, en Algérie. C'est, en tous les cas, le mot d'ordre des dernières assises du Tourisme, qui se sont déroulées, en avril dernier, durant lesquelles ont été débattus les moyens de développer le tourisme national. Dans ce cadre, l'Etat entend récupérer 1 million de touristes algériens, sur un total de 7 millions, qui préfèrent la destination Tunisie. Le ministère du Tourisme veut récupérer 15 à 20 % de ce chiffre, chaque année. Durant ces assises, les intervenants avaient, également, examiné le soutien à l'investissement touristique, notamment local, et les moyens d'améliorer la qualité des prestations et la promotion de la destination Algérie. Et pour ce faire, il est question de développer le niveau de formation, en matière de tourisme, conformément aux exigences des clients, qu'ils soient autochtones ou étrangers. Durant ces mêmes assises du Tourisme, M. Mohamed Lamine Hadj Saïd, alors secrétaire d'Etat, avait mis en relief l'existence de plusieurs lacunes, concernant la promotion du Tourisme, dans la mise en œuvre du «schéma directeur de l'aménagement touristique» (SDAT). Quelques-unes de ces lacunes concernent la «dynamique de la mise en œuvre du SDAT, particulièrement, en ce qui concerne la qualité de la promotion de la destination». Hadj Saïd avait, alors, appelé à l'actualisation de ce plan. Il a, entre autres, préconisé l'exploitation des caractéristiques de chaque wilaya et à «préserver le foncier touristique» et éviter de copier les schémas étrangers». Quant à la qualité du produit touristique, Hadj Saïd avait indiqué que cela représentait un véritable défi, ceci sur plusieurs plans, à savoir : la qualité des prestations et la formation du personnel.

L'année 2015 sera, également, l'année de réception des projets en cours. En effet, 75.000 nouveaux lits seront réceptionnés. Cela devra se traduire, de manière positive, sur l'emploi, entre autres. Ainsi, ces projets nécessitent le recrutement de 37.500 employés entre gérants, réceptionnistes, guides et agents touristiques, les employés de l'hébergement et de la restauration. Cette hausse du nombre de lits, environ 180.000 au total, œuvrera à relancer la concurrence et, donc, la qualité des prestations, dans l'ensemble de la chaîne touristique. D'autre part, le ministre du Tourisme avait, également, appelé à accompagner les opérateurs économiques du domaine du Tourisme et de l'hôtellerie, ainsi que les tours opérateurs, dans ce processus d'amélioration de la qualité. Il a, surtout, appelé les opérateurs à s'organiser en associations professionnelles puissantes, qui seraient une force de proposition efficace. Et dans ce cadre, la Fédération nationale des Hôteliers constitue une interface importante pour faire bouger les choses dans le domaine de l'hôtellerie, en particulier, et celui du tourisme, en général. A ce propos, le président du FNH indique : «Il est, pour nous, indéniable que des avancées conséquentes sont en train d'être réalisées. Il est, tout à fait clair, que les pouvoirs publics ont, dorénavant, intégré notre secteur comme une priorité de l'essor économique et un vecteur de dynamique et de croissance. C'est à ce niveau que notre fédération, au même titre que toutes les autres corporations et acteurs dans la chaîne touristique, a un rôle à jouer. Ce rôle, nous ne pouvons le jouer, pleinement, que si nous arrivons, d'abord, à, tous, nous rassembler pour devenir une force de propositions, peut-être pas totalement écoutée, mais sûrement entendue, avec une vision et des programmes».

UN AVENIR PROMETTEUR

Plus concrètement, Karim Cherif estime que les différentes politiques incitatives, initiées par les pouvoirs publics, les nouvelles mesures d'accession au foncier touristique, conjuguées aux nouvelles facilités et modalités d'octroi du crédit bancaire, sur le long terme et de taux d'intérêt bonifiés, adossés à des exonérations des droits et taxes délivrés par l'ANDI, présagent un avenir prometteur à notre secteur».

A noter que la Fédération nationale des Hôteliers dont Karim Cherif est le président est une association nationale, nouvellement, créée. Elle a été le fruit d'un rassemblement de plus de 360 exploitants hôteliers représentant tous les secteurs d'activités confondus et regroupant les opérateurs publics et privés, venant des 48 wilayas du pays. «A l'instar des pays à vraies traditions touristiques, ce sont les différents intervenants et l'ensemble des parties prenantes et acteurs du monde du Tourisme qui font les politiques du secteur, à savoir : les fédérations professionnelles, les syndicats d'initiative, les offices du Tourisme, les organisations d'hôteliers, les restaurateurs, les cafetiers, les night-clubs et tous les organismes et organisations professionnels qui activent, à la périphérie du secteur du Tourisme. Le ministère du Tourisme n'intervient que pour coordonner, réguler, contrôler, sanctionner et, surtout, participer à la conception de la promotion de la destination du pays». Dans ce cadre, «la fédération vient clôturer la chaîne touristique dans notre pays et permettra à notre corporation de poser les problématiques, les contraintes, les préoccupations, mais aussi les propositions que nous pensons être à même d'améliorer le secteur. Je pense que nous avons besoin d'un cadre organisé et formel qui puisse, de manière professionnelle, dégager des propositions et un plan de charges capable d'augmenter l'attractivité de notre destination, mais aussi d'améliorer la qualité de nos établissements hôteliers», a-t-il ajouté. Mais une question demeure : le nombre d'infrastructures touristiques, l'augmentation du nombre des lits et les emplois générés par le secteur, sont-ils suffisants pour amorcer l'amélioration du secteur et créer une synergie capable de faire du secteur du Tourisme, le meilleur pourvoyeur de richesses après le pétrole ? Dans cette optique, Karim Cherif est catégorique : «il faut arrêter de penser que l'attractivité d'une destination se construit sur le volume et la dimension des infrastructures d'accueil. Il y a de ce point de vue, un travail de sensibilisation et de pédagogie, auprès de toutes les institutions et de tous les pans de la société algérienne.

Je pense, fondamentalement, que le tourisme, au-delà de toute autre considération, c'est, d'abord et avant tout, une culture qui doit être en adéquation avec l'immense réservoir et ressources touristiques dont dispose le pays».

ENCOURAGER LE TOURISME DOMESTIQUE

L'activité touristique contribue dans le développement économique du pays, à hauteur d'environ 3% du PNB. Elle représente aux alentours de 250 milliards de DA à la contribution nationale. Le secteur contribue à hauteur de 5% de l'emploi. 45.000 emplois sont à mettre à l'actif du secteur du Tourisme. Et cette proportion pourra être améliorée, de manière drastique, avec le développement du tourisme domestique, ainsi que le tourisme international d'affaires et le tourisme international de masse. Dans ce cadre, la FNH, forte de ses adhérents et de son programme, a un grand rôle à jouer. «Nous avons, avec le bureau exécutif, décidé de doter la fédération d'une base de données exhaustive qui nous permettra d'engager un vrai programme d'accompagnement et de sensibilisation auquel devront adhérer les exploitants hôteliers. Le programme que nous voulons construire se base sur la mise aux normes, la mise à niveau, la formation, les problématiques de l'hygiène et de la sécurité, et sur bien d'autres pistes d'amélioration. Ce programme ne peut voir le jour, sans une organisation et une présence de la fédération, avec un relais, sur tout le territoire national». Et d'ajouter : «La Fédération dispose de représentants dans les 48 wilayas. Ces représentants permettront de faire la synthèse et l'évaluation des problématiques, des contraintes et des propositions pour, ainsi, disposer d'une plate-forme la plus complète possible. De même, une charte de qualité et de l'hygiène est en préparation au niveau de la fédération».

Ces mesures, une fois concrétisées, permettront, certainement, de donner un coup de fouet au tourisme local. Dans ce cadre, Les acteurs du tourisme semblent convaincus de la nécessité de développer le tourisme domestique, en adaptant leurs offres aux besoins du marché local. La FNH, qui a tenu, il y a quelques semaines, à Alger, une rencontre ayant pour thème : «Hôtellerie en Algérie : état des lieux et perspectives» parie sur le développement du tourisme domestique, pour en faire la locomotive du développement du tourisme d'accueil. Le président de la FNH estime que l'heure est venue pour une remise en question de la stratégie touristique nationale, en favorisant les touristes algériens. Cela passe par l'assainissement du climat d'affaires, en Algérie, et la suppression des lourdeurs bureaucratiques et, bien entendu, la baisse des prix, entre autres. Comme premier pas vers le développement du tourisme domestique, la Fédération a signé une convention de partenariat avec l'Office national algérien du Tourisme (ONAT) pour la promotion du tourisme en général et du tourisme domestique en particulier.

Dans le même cadre, le ministre du Tourisme a annoncé, il y a quelques jours, à Oran, que plusieurs conventions avec des établissements bancaires privés seront signées, dans les prochaines semaines, pour accompagner les investisseurs à concrétiser leurs projets dans le secteur du Tourisme. Le ministère, a-t-il ajouté, a déjà signé des conventions avec des établissements bancaires publics dans le domaine de l'accompagnement des investissements. Pour développer le tourisme d'accueil et intérieur, le ministre a fait état d'une nouvelle procédure consistant à baisser le taux d'imposition sur les gains de 25 % à 19 %, en faveur des agences de tourisme.