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Algérie, France, Aussaresses

par Brahim Senouci

Aussaresses vient de mourir. Il est responsable de la mort de plusieurs milliers d'Algériens dont certains ont été assassinés de ses propres mains. Il a torturé des milliers de personnes. Ceux qui ont survécu en ont gardé les stigmates à vie.

Imaginons un instant Klaus Barbie, coulant une retraite paisible dans une Allemagne qui aurait amnistié tous les criminels de la période nazie, se vantant d'avoir massacré des milliers de Français durant l'Occupation. Imaginons-le annonçant fièrement avoir assassiné lui-même Jean Moulin. Quel scandale cela aurait soulevé ! L'Europe n'y aurait pas survécu. Peut-être même le bruits des bottes se seraient-ils fait entendre sur les bords du Rhin.

C'est exactement ce qui s'est passé, avec Aussaresses dans le rôle de Barbie et Jean Moulin dans celui de Larbi Ben Mhidi. L'analogie s'arrête là. Aussaresses a pu se vanter de ses « exploits » à la télévision sans encourir autre chose qu'une condamnation dérisoire pour apologie de la torture. Il paraît qu'il a commis sa sortie pour séduire une femme, une « putain de la République » comme elle se désignait elle-même, dont il s'était épris. L'histoire ne dit pas s'il est parvenu à ses fins? Il est certes peu probable que la République au nom de laquelle il a commis ses vilenies lui rende hommage, sans doute pas au nom d'un impératif moral. C'était un personnage trop voyant. En revanche, cette même République a honoré celui qui a livré Ben Mhidi à Aussaresses en toute connaissance du sort qui l'attendait. Les cendres du général Bigeard, puisque c'est de lui qu'il s'agit, ont été transférées au mémorial des guerres d'Indochine à Fréjus, en présence de Giscard d'Estaing, ex-président de la République et de Jean-Yves Le Drian, ministre socialiste de la Défense en exercice. Il faut dire que la pression citoyenne a fait capoter le projet initial qui destinait ces cendres aux Invalides. La remise de Ben Mhidi n'est pas le seul « exploit » à l'actif de Bigeard. On lui doit aussi les fameuses « crevettes Bigeard d'Alger ». On désignait ainsi les cadavres des Algériens que vomissait la Méditerranée chaque matin?

Alors, l'amitié algéro-française ? Souhaitable ? Certainement. Mais est-elle possible ? Non, en tout cas pas tant que l'on tiendra de ce côté-ci de la Méditerranée les morts algériens pour quantité négligeable, pas tant qu' au mieux on fait silence, qu' au pire on tresse des louanges à ceux qui ont peuplé les cimetières, les grottes, les fosses communes, des milliers de corps désarticulés, rompus.