Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'arme de la préemption dissuade Marathon Oil de quitter la Libye

par Akram Belkaïd, Paris

Le feuilleton pétrolier libyen continue de plus belle. Alors que le blocage des installations de production et d'exportation se poursuit de manière récurrente dans l'est du pays ?et cela malgré les promesses du gouvernement d'un retour rapide à la normale, c'est le projet de départ de certains opérateurs étrangers qui fait l'actualité. Le groupe texan Marathon Oil vient ainsi de se voir signifier le refus des autorités l'autoriser à se désengager de la joint-venture Waha Oil Company. Pour mémoire, cela fait plusieurs mois que les marchés financiers ? Marathon Oil est inscrit à la Bourse de New York ? s'attendent à ce que cette compagnie vende sa part de 16,3% dans ce champ de grande importance pour la Libye puisque sa production habituelle est de 350.000 barils par jour (soit la moitié de ce que produit actuellement le pays). Or, la loi libyenne est formelle. Aucune vente de participation dans le secteur pétrolier local ne peut se faire sans l'aval de la Libyan National Oil Company (NOC), autrement dit sans l'aval des autorités libyennes puisque NOC est une entreprise étatique. Une disposition qui permet, entre autre, à la Libye de prévenir les investissements spéculatifs mais aussi de préempter toute cession.

VETO LIBYEN

Durant l'été dernier, NOC ? qui détient 59,2% de Waha ? avait ainsi prévenu Marathon qu'elle exercerait son droit de préemption si jamais Marathon persistait à vouloir se retirer. Selon l'Agence Reuters, NOC aurait même signifié à ses interlocuteurs que son prix de rachat des 16,3% se ferait en dessous des conditions du marché. «Le message est clair, décrypte un analyste. Si vous voulez vous retirer, faites-le mais vous y perdrez votre mise». Du coup, Marathon aurait renoncé à quitter la Libye, du moins pour le moment. Il faut dire que le champ de Waha a beaucoup souffert des obstructions à l'exportation dans les terminaux de l'est du pays. Les dirigeants de Marathon auraient estimé urgent de se retirer d'un pays qui représente pourtant 7% de leur production totale. «Cette compagnie est en train de se redéployer dans le monde, relève l'analyste. Elle veut se désengager d'Angola mais reste en Guinée équatoriale et vient même de s'implanter au Kurdistan, jugé plus stable que la Libye». En tout état de cause, le blocage de Tripoli fait que les autres opérateurs étrangers de Waha, c'est-à-dire Conoco (16,3% du champ) et Hesscorp (8,2%) devraient eux aussi maintenir leur présence. «Nos partenaires étrangers savent que la situation va s'améliorer et qu'ils ont intérêt à rester en Libye» a déclaré à ce sujet Abdelbari Arusi, le ministre libyen du pétrole. Une sortie qui sonne comme un rappel à l'ordre alors que tout le secteur est menacé de débandade et que le départ du pays en septembre dernier d'ExxonMobil a constitué une vraie déconvenue pour Tripoli. Reste que pour de nombreux observateurs, la décision libyenne est un très mauvais signal à destination d'autres compagnies étrangères qui pourraient être incitées demain à s'installer dans le pays pour relancer une production en forte baisse. Conscient de cela, Abdelbari Arusi a d'ailleurs évoqué une prochaine loi des hydrocarbures plus souple mais sans donner de véritables indications à ce sujet, notamment en ce qui concerne ce que certains experts appellent la «pénalité Hôtel California». C'est-à-dire une législation qui fait que l'opérateur étranger qui investit en Libye ne pourra la quitter à l'image de l'hôtel jadis chanté par les Eagles?

APPETITS CHINOIS

Mais le dossier Marathon ? dont les représentants se sont refusés à tout commentaire ? éclaire aussi d'une autre manière les enjeux qui concernent le pétrole libyen. Selon les agences Reuters et Bloomberg, si cette compagnie a sérieusement envisagé son retrait, c'est qu'elle possédait un «bon repreneur» dont l'offre se situait au-dessus des prix du marché. En clair, il existerait aujourd'hui des opérateurs volontaires pour s'installer en Libye et en payant le prix fort pour cela. Aucun nom n'a filtré mais le petit monde du pétrole désigne l'incontournable et l'insatiable Chine dont les compagnies pétrolières cherchent à s'implanter aux quatre coins de la planète, surtout là où les réserves de brut sont les plus conséquentes. Déjà, Pékin serait l'un des principaux acheteurs de brut de libyen, certaines cargaisons étant achetées «cash» par des intermédiaires mandatés par les majors chinoises. Pour autant, certaines indiscrétions laissent entendre que Tripoli rechignerait actuellement à ouvrir son sous-sol à des opérateurs chinois. Pour quelles raisons ? «D'amicales mises en garde de partenaires occidentaux» avance un ancien cadre de NOC aujourd'hui installé en Suisse. Pour ce dernier, les Etats-Unis mais aussi les pays européens, notamment l'Italie, verraient d'un très mauvais œil un développement des intérêts chinois en Libye. Sauf que les entreprises chinoises ne semblent guère rebutées par l'insécurité qui règne aujourd'hui dans ce pays tandis que Tripoli a un besoin urgent de relancer sa production. Signe qui ne trompe guère, le gouvernement libyen vient ainsi d'annoncer qu'il va acheter du gaz naturel au voisin algérien afin de faire face aux nombreuses coupures d'énergie qui affectent la capitale et les autres grandes villes du pays.