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Morsi non, Al Sissi si ! L'armée égyptienne franchit le Rubicon

par Salem Ferdi

Un porte-parole du Parti de la liberté et de la justice, a annoncé, une heure après l'expiration de l'ultimatum, qu'un coup d'Etat était en cours d'exécution et que des chars étaient déployés dans les rues. Reuters faisait état de plusieurs centaines de militaires égyptiens défilant sur la principale avenue près du palais présidentiel. Différentes sources faisaient état de mouvements de l'armée en plusieurs directions. Le président Morsi, selon un journal égyptien, était confiné dans le quartier général de la Garde républicaine et aurait été interdit de recevoir des visites à l'exception de huit personnalités du gouvernement et de son cabinet présidentiel. Des chars se dirigeaient vers le lieu de rassemblement des partisans de Morsi, près de la mosquée Rabia Al-Adawiya, signe d'une crispation de la situation. Auparavant, des informations indiquaient que le président Mohamed Morsi et plusieurs dirigeants des Frères musulmans ont été interdits de quitter l'Egypte, dans le cadre d'une enquête sur une affaire d'évasion de prison en 2011 ! Des responsables à l'aéroport du Caire ont confirmé avoir reçu l'ordre d'empêcher les responsables islamistes, dont le Guide suprême de la puissante confrérie Mohammed Badie et son «numéro 2» Khairat al-Chater, de voyager.

CE QUI SE PASSE EST UN COUP D'ETAT MILITAIRE

Les signes que l'armée a franchi le Rubicon s'accumulaient après l'expiration de l'ultimatum et dans l'attente de la publication de l'ultimatum où elle est censée annoncer sa «feuille de route». Les Frères musulmans qui ont fait de la résistance au nom de la défense de la «légitimité constitutionnelle» ont commencé à tirer les conclusions. Le conseiller pour la sécurité nationale du président Mohamed Morsi, Essam al-Haddad, a dénoncé mercredi un «coup d'Etat militaire. Dans l'intérêt de l'Egypte et pour la précision historique, appelons ce qui se passe par son vrai nom: un coup d'Etat militaire», a-t-il déclaré dans un communiqué publié sur Facebook, peu après l'expiration de l'ultimatum demandant au président Morsi de se plier «aux revendications du peuple». «Alors que j'écris ces lignes, je suis parfaitement conscient qu'elles sont peut-être les dernières que je vais publier sur cette page», a ajouté M. Haddad. Les choses se faisaient, en effet, de manière méthodique en attendant la proclamation officielle. Des aéroports étaient fermés, la circulation des trains était arrêtée et le déploiement des forces armées dans les rues du Caire s'intensifiait. Déploiement préventif avant l'annonce d'une quelconque décision alors que durant toute la journée, sur les écrans de télévision, deux images se sont fait face : place Tahrir, noire de monde, place Rabea Al Adawiya (Nasr City), noire de monde aussi. L'une veut le départ de Morsi, l'autre défend le président élu. Deux images représentatives d'une Egypte divisée et en attente dans la rue, ce que les militaires vont annoncer. Le président Mohamed Morsi, lui, avait tranché : il ne cèdera pas. Il est prêt «à donner sa vie» pour préserver la «légitimité». Dans un discours télévisé, mardi soir, il avait martelé qu'il continuait d'assumer la responsabilité du pays en soulignant que la légitimité était la «seule garantie contre l'effusion de sang» et a mis en garde contre le piège d'une violence sans fin. Il avait appelé les forces armées à «retirer leur avertissement» et refusé tout «diktat», en référence à l'ultimatum militaire, assimilé par ses partisans à un coup de force pour le faire partir.

DIVORCE CONSOMME

Ces déclarations survenant après une longue rencontre avec le ministre de la Défense et chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, laissaient entendre que le divorce était consommé entre la présidence et l'armée. Rue contre rue, présidence contre présidence, les ingrédients inquiétants d'un bras de fer pouvant déboucher sur des débordements de violence étaient réunis. Toute la journée, avec une tension grandissante, les Egyptiens, dans les places ou chez eux, attendaient un communiqué de l'armée. L'ultimatum fixé par l'armée est arrivé à expiration à 16H31 (heure algérienne) dans un climat de tension extrême. Une heure après l'expiration de l'ultimatum, aucune annonce n'avait été faite, mais un déploiement dans les rues donnait clairement le ton.

Les mesures d'interdiction de sortie d'Egypte à l'encontre de Mohamed Morsi et des responsables des Frères musulmans avaient été annoncées par Al-Ahram comme faisant partie de la «feuille de route». Cette feuille de route, selon Al Ahram, prévoit une suspension de la Constitution, la mise en place d'un Conseil présidentiel de trois membres, dirigé par le président de la Cour suprême constitutionnelle, la mise en place d'un gouvernement intérimaire sans appartenance politique. Ces autorités devraient organiser des élections législatives et présidentielles. Le chef de l'armée égyptienne, Abdel Fattah al-Sissi, a rencontré Mohammed ElBaradei, le patriarche copte Tawadros II et l'imam d'Al Azhar, Ahmed al-Tayeb. Les représentants du parti salafiste al-Nour et du Parti de la liberté et de la justice, vitrine politique des Frères musulmans, ont refusé d'y prendre part. La messe semblait dite. Pour les partisans de Morsi, réunis à Al Adawiya, c'est un coup d'Etat qui est en marche. Place Tahrir, on attendait tout simplement le renvoi du président Morsi. Tout le monde attendait l'annonce des militaires qui semblaient prêts à franchir le Rubicon et démettre le président Mohamed Morsi. Son appel à la formation d'un «gouvernement de coalition et de consensus afin d'organiser des législatives à venir» aura été la dernière et vaine tentative d'arrêter le mouvement. En quelques jours, 47 morts ont été enregistrés. Alors que la nuit commençait, l'Egypte attendait l'annonce de l'armée.