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USA-Europe Frères ennemis

par M'hammedi Bouzina Med

La querelle Europe/USA à propos des révélations de l'agent de l'Agence de sécurité américaine, Edward Snowden, prend une allure de roman-fiction en Europe. Jusqu'à accuser les USA, à l'heure du satellite, de pose de micros d'écoute dans les bureaux des leaders européens. Sidérant.

C'est le nouveau feuilleton pour les grandes vacances de l'été : les USA contre le reste du monde que cette découverte invraisemblable, via Edward Snowden, d'une Amérique tricheuse, voyeuse, sans scrupules qui espionne l'Europe et le reste du monde. Les voix effarouchées des leaders européens, indignés par tant d'indiscrétions pour ne pas dire trahisons sonnent comme des répliques d'acteurs dans une grande pièce théâtrale qui ne convainc même pas les spectateurs que nous sommes. Depuis quand l'espionnage sous toutes ses facettes : économique, industriel, sécuritaire, politique s'embarrasse-t-il de morale, d'étique ou dispose-t-il d'un code de déontologie ? Depuis que les hommes vivent en tribus, ils « s'observent », se concurrencent pour mille et une raisons et usent de tous les stratagèmes possibles pour « survivre » dans l'affrontement naturel qui les oppose et qui est le moteur de leur histoire. Récemment, soit à la veille de la chute du communisme à la fin des années 80, la « guerre » du renseignement et de l'espionnage faisait rage entre les démocraties occidentales et les pays communistes. Nous fait-on croire que la guerre souterraine de l'espionnage a disparu avec la chute du mur de Berlin ? Trêve donc de manifestations étonnées des leaders européens et leurs déclarations sentencieuses qui menacent, ridiculement, de remettre en cause le Partenariat commercial stratégique avec les USA si les révélations de l'agent de la (NSA), Snowden, s'avéreraient fondées. Parce qu'il faut bien nous expliquer comment ne pas s'intéresser aux 1.000 milliards de dollars qui sous-tendent, chaque jour, le commerce entre l'Europe et les USA et que le projet de partenariat vise à développer d'avantage pour assurer sa suprématie sur le reste du monde. Et puis il y a aussi tout le reste : la sécurité, la lutte antiterroriste, l'Otan etc. Jusqu'à preuve du contraire, tous les pays européens, y compris les nouveaux venus au sein de l'Union européenne, sont membres de l'Otan. Faut-il rappeler que les vrais patrons de l'Otan sont les USA ? Ils disposent et contrôlent tous les postes de commandement, tant ceux du quartier général (QG) que ceux des commandements régionaux. Ils fournissent 90 % des forces navales et aériennes de l'Organisation transatlantique. C'est en toute logique que leurs services de renseignement, d'espionnage et de contre-espionnage soient sur le qui-vive permanent, équipés des derniers moyens technologiques et surtout, érigent en principe cardinal la « méfiance » jusque chez eux, entre eux. Après tout, les révélations sont l'œuvre d'agents américains (Bradley pour Wikileaks et Snowden pour cette fois-ci). Reste maintenant l'aspect «fiction cinéma» qui entoure ce «scandale» diplomatique. A lire et entendre les médias européens, il y aurait eu des agents américains qui auraient placé des micros d'écoute dans les bureaux et salles de réunions des Institutions de l'UE et dans bien des ambassades chez eux et ailleurs dans le monde.

Mais pourquoi alors avoir fait appel, pour une grande partie, à la technologie américaine pour équiper les systèmes informatiques et de communications des Institutions européennes et de l'Otan? Jusqu'au système de géolocalisation par satellite (GPS) : L'Europe affirme depuis des années qu'elle travaille à son propre système de navigation par satellite, le projet «Galiléo» dont l'exploitation est annoncé pour 2014. Dix contre un que « Galiléo » sera repoussé à une autre échéance et que l'Europe continuera à naviguer sous les auspices et la bienveillance des Américains.

Par ailleurs, pourquoi les USA auraient-ils pris des risques si détectables, inutiles et fort peu rentables en plaçant des micros d'écoute dans les bureau des leaders européens ? Les lobbyistes, journalistes, analystes américains sont si nombreux et bien installés au sein des Institutions européennes qu'ils fournissent une masse d'informations quotidienne prête à l'exploitation par Washington. Enfin, pourquoi les Européens crient-t-ils à la trahison alors qu'ils ont signé et entériné « l'Accord sur l'échange des données personnelles » de tous les voyageurs partant de l'Europe vers les USA ? En cette année 2013, et après bien de réserves, les Européens ont estimé satisfaisantes les conditions de l'Accord. Jusqu'au Contrôleur européen de la protection des données personnelles (CEPD) qui a avalisé les conditions de l'accord. Rappelons que les données personnelles des voyageurs (y compris leurs fonctions, croyances religieuses?) sont transmises au ministère de l'intérieur américain (DHS). Voilà les Européens livrés nus aux services de renseignements américains sans que cela ne choque leurs leaders. En réunissant tous les moyens humains, technologiques, militaires etc., les USA n'auraient pas l'absurde idée d'installer des micros d'écoute dans les bureaux des diplomates européens. Evidemment, toute cette bataille du renseignement et d'espionnage est justifiée par un énorme risque commun : la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Le monde entier y adhère, y compris l'Afghanistan, l'Irak et même la Syrie en guerre. Reste le volet politique de cette affaire et il serait difficile de conclure à un affrontement des idées entre les USA et l'Europe. Les deux défendent la démocratie et le libre-échange commercial. Les deux dominent le monde et aspirent à le rester. Ils sont alliés et acteurs dominants dans la marche du monde vers une économie de marché mondialisée. Ils savent tout l'un de l'autre et les révélations de l'agent Bradley (soldat de 2ème classe) ou celle d'Edward Snowden (ingénier informatique) ne changeront en rien la solidarité euro américaine dans sa quête d'hégémonie économique et commerciale du monde. Enfin, posons la question : pourquoi ces « histoires » d'espionnage concernent, toujours, le couple USA/Europe ? Pourquoi jamais encore la Russie ou la Chine par exemple qui, elles, sont dans une position géostratégique concurrentielle à « l'Occident » à bien des égards. Faut-il en conclure que ces derniers pays sont à l'abri de l'espionnage sous toutes ses formes ? Que du contraire : la guerre du renseignement et de l'information et plus intense, voire violente entre ces pays, les USA et l'Europe avec, cependant, une constante : jamais de scandale public. La discrétion, le secret et le mode « Off » sont les caractéristiques de base du monde de l'espionnage. La querelle USA/Europe sur ce sujet ne sera qu'un « scandale diplomatique » de plus en ce début de grandes vacances. En attendant peut-être une autre bourrasque bancaire venue des USA ou une autre guerre, cette fois vraie, ailleurs en Afrique ou dans un pays arabe.