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Les islamistes du printemps arabe ont montré peu d'imagination

par Abed Charef

La vague verte qui a balayé l'Afrique du Nord est dans l'impasse. Absence d'un projet, manque d'initiatives, crise économique, ont progressivement amené les vainqueurs des élections d'hier à tenter de s'adapter pour survivre.

Du Caire à Tunis, de Tripoli à Rabat, les islamistes ont réussi, dans l'euphorie du printemps arabe, à conquérir de vastes territoires de l'Afrique du Nord. Promettant une cité idéale dans laquelle règnerait une justice sans failleet une moraleparfaite, ils ont remporté des victoires électorales crédibles, pour accéder au pouvoir qu'ils ont exercé avec des fortunes diverses.

Ayant à gouverner toute cette partie monde arabe, les islamistes sont cependant été rapidement contraints de déchanter.Pour les « Frères », le mouvement le plus ancien, et qui prétend être le plus mûr pour gérer un pays, l'inexpérience, les longues décennies passées dans l'opposition, et la crise économique, expliquent partiellement ce bilan controversé. A l'inverse, leurs adversaires parlent d'incompétence, d'absence de choix économique et de recours aux recettes les plus traditionnelles, comme la hausse d'impôts et la réduction des subventions pour faire face aux difficultés économiques. Les islamistes ont-ils forcé le trait, pour montrer qu'eux aussi, ils sont capables de se mouler dans le monde moderne ? Toujours est-il que les gouvernements islamistes du Maroc, de Tunisie et d'Egypte ont tous eu recours au FMI pour dépasser l'impasse économique dans laquelle ils se sont retrouvés.

Autre déception, la générosité des pays « frères » n'a pas été aussi importante qu'attendu. Bien qu'elle soit souvent discrète, l'aide des pays du Golfe à la Tunisie et à l'Egypte ne semble pas significative. Des spécialistes l'expliquent par le différend idéologique qui sépare les Frères musulmans, au pouvoir dans ces pays d'Afrique du Nord, et le wahabisme, prôné par les riches monarchies du Golfe. Mais au final, l'Algérie, qui a un intérêt immédiat à la stabilité de la Tunisie, par exemple, a fait plus d'efforts que certains pays « islamistes » du Golfe, selon un diplomate algérien.

D'autre part, ces pouvoirs islamistes qui ont pris le pouvoir en Afrique du Nord à la faveur du printemps arabe, ont adopté des stratégies largement différentes. En Egypte, les frères musulmans pensaient être en mesure de prendre le pouvoir, pour se résigner à le partager. Ils ne contrôlent ni le ministère de la défense, ni les affaires étrangères, ni les services de renseignements. C'est pourtant là que se trouve le vrai pouvoir en Egypte.

Mais les frères Musulmans de M. Mohamed Morsi ont, surtout, envisagé de gérer le pays selon une vision étriquée, oubliant que près de la moitié de l'Egypte ne leur était pas acquise. N'ayant pas l'épaisseur requise pour gérer tout le pays, ils se sont recroquevillés sur eux-mêmes, se contentant de satisfaire leur clientèle.

Ennahdha et le «trou noir» libyen

A l'inverse, les Tunisiens d'Ennahdha semblent avoir, dès le départ, compris le danger. Ils ont choisi de s'allier avec des courants plutôt laïcs, au risque de perdre leur identité. Mais grâce à cette démarche, ils ont pu amortir les attaques frontales de leurs adversaires les plus radicaux. La présence de Moncef Marzouki à leur côté leur a épargné de subir, seuls, les attaques les plus violentes. Ils ont ainsi réussi à traverser, sans trop de dégâts, la crise née de l'assassinat de l'opposant radical Chokri Belaïd.

Pourtant, le parcours d'Ennahdha n'a pas été sans faute. En livrant l'ancien premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, au nouveau pouvoir de Tripoli, ils ont commis une faute grave. Leur erreur est apparue dans toute son ampleur quand des informations crédibles ont confirmé que M. Baghdadi a été probablement torturé par les nouveaux maitres de la Libye. Inacceptable pour des hommes qui ont précisément subi la torture sous le régime de Ben Ali.

Pourtant, à la différence des frères Egyptiens, Ennahdha assume son exercice du pouvoir. Quand a sonné l'heure de combattre les jihadistes, le gouvernement Ennahdha l'a fait, et l'a assumé. En se plaçant dans cette perspective, le parti de Rached Ghannouchi se place comme un parti de pouvoir, dans la durée, et non comme un intermittent qui risque de disparaitre après un tour de piste.

Au Maroc, c'est une réalité totalement différente. Les islamistes du PJD ne veulent surtout pas déranger. Face au poids du makhzen, ils veulent seulement faire profiter leurs réseaux de la rente jusqu'ici réservée à ce makhzen. Ils ne veulent ni instaurer un état islamique, ni islamiser la société. Ils veulent juste être reconnus et respectés, et en tirer quelques dividendes. De ce point de vue, non seulement l'islamisme politique ne constitue pas une menace pour la monarchie marocaine, mais il tend à la consolider, pour espérer en devenir un nouveau pilier. A l'autre extrême, se pose le cas libyen. Dans ce pays, l'islamisme politique n'arrive pas à s'imposer réellement. Il accompagne la dislocation de l'Etat libyen, et se montre incapable de jouer un rôle de fédérateur, pour pallier l'absence de mouvements politiques d'envergure nationale. L'absence d'un Etat, d'une armée structurée, et d'organisations politiques et sociales nationales offrait pourtant un terrain favorable.

Mais les mouvements islamistes libyens hésitent entre prosélytisme, jihadisme et conservatisme social, alors que l'implantation de la confrérie des frères musulmans demeure faible. Ces mouvements « sont dans un trou noir, à l'image de la Libye », selon la formule d'un sociologue, qui se dit « frappé par le peu d'imagination dont ont fait preuve les partis islamistes de gouvernement ».