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Algérie-Mali : Un nouvel agenda s'impose

par Ghania Oukazi

La décision guerrière de la France dépasse jusqu'à l'esprit des deux résolutions onusiennes qui n'autorise aucune intervention militaire étrangère au sol, dans le Mali.

« Le Conseil de sécurité ne prévoit pas une intervention militaire étrangère au sol, la France devait apporter uniquement une aide logistique aux troupes de la CEDEAO», nous expliquait hier un spécialiste de la sécurité, dont l'expérience au sein des services est longue mais ne semble pas l'aider à comprendre aujourd'hui, comme il le précise, «la doctrine algérienne en matière de sécurité». Il était clair que la France était partante depuis longtemps pour une guerre contre les islamistes maliens. Les longues tergiversations diplomatiques sur la question ne l'ont pas empêchée de s'y préparer et de le décider au moment où les pays voisins ne l'attendaient peut-être pas. Au milieu du jeu de l'entretien du «doute» que Paris animait, le président français s'était même amusé, lors de sa visite à Alger, à trouver à ce propos, des convergences entre la position de son pays et celle de l'Algérie.

Il faut croire que les termes employés par les canaux diplomatiques pour soutenir ou pas une intervention militaire changeaient d'un moment à un autre et d'un vis-à-vis à un autre. L'on se rappelle que depuis la détérioration de la situation sécuritaire dans le Mali, Alger avait toujours mis en avant son refus de toute intervention étrangère. Mais elle a surpris un jour tout le monde en déclarant, par la voix du porte-parole de son ministère des Affaires étrangères, qu'elle n'en était pas contre pourvu que l'intervention s'inscrive dans le cadre de la lutte antiterroriste. Aujourd'hui, les choses vont encore plus vite et plus loin. Elle se retrouve à qualifier l'invasion française dans le Mali de «décision souveraine». Alger n'explique pourtant pas si l'armée française et ses attaques aériennes et terrestres sur le sol malien cadrent bien avec le canevas de la lutte antiterroriste qu'elle s'est mise sur ses tablettes. «Si c'est le cas, pourquoi ne l'a-t-elle pas fait, elle, avec son armée ?», interroge un politologue qui peinait à répondre à nos questions, tant, a-t-il reconnu, «la situation est confuse et complexe». Le porte-parole du MAE n'a pas pris non plus le soin d'expliquer à l'opinion publique qu'elle serait la limite que le Conseil de sécurité national a tracée entre le fait d'une intervention étrangère sur la base «d'une décision souveraine» et «le droit d'ingérence» que l'Algérie a toujours condamné.

HOLLANDE, UNE SUPERBE RELEVE POUR LA FRANCE

Ce qui est sûr, c'est que la France a décidé seule du moment de son intervention militaire au Mali, des moyens qu'elle doit employer et des régions où elle doit stationner ses troupes. Depuis 48 heures, elle se trouve de plain-pied dans le Mali avec vue sur les pays voisins, notamment ceux du Maghreb. Le président français sortant s'était minutieusement employé à en élaborer la stratégie et à en édicter le cahier des charges même s'il s'avait qu'il n'allait pas rempiler. Il savait que son remplaçant allait emprunter la même voie quand il s'agit de politique extérieure et d'intérêts stratégiques de la France. Hollande lui a assuré ainsi une superbe relève.

L'Algérie soutient ainsi ce qu'elle appelle «la décision souveraine du Mali» de laisser rentrer l'armée française sur son sol. Elle ne condamne pas l'invasion militaire française à ses frontières, ni le recours à la violence et ne prévient même pas ou plus de ses conséquences qui risquent d'être fâcheuses sur l'ensemble de la région. L'on s'interroge sur les subterfuges qu'elle pourrait alors prendre pour tenter d'allier entre son approbation de l'action militaire française dans un pays voisin et son abstention de la condamner, ceci comme elle a eu à jouer sur les termes lorsqu'il s'est agi d'en accepter le principe sous couvert de lutte antiterroriste. Aucun responsable politique n'était hier disponible à clarifier ces ambiguïtés. Ils s'étaient tous inscrits aux abonnés absents. Pourtant, le risque de débordements de la guerre française au Mali sur les pays voisins n'est pas à écarter. «A force d'être traqués, les djihadistes tenteront de se trouver d'autres territoires de repli», précise un spécialiste de la sécurité qui parle de «danger réel».

QUID DU CEMOC ET DE L'UFL ?

Les politologues tentent tant bien que mal d'en saisir les aspects les plus importants sans pour autant leur trouver une assise stratégique. «On n'arrive pas à en comprendre la doctrine parce que l'Algérie n'a pas encore tranché la question relative au modèle de société qu'elle veut avoir», nous disait hier l'un d'entre eux. Il est convaincu que «tant que cette question fondamentale ainsi que les termes de gouvernance n'ont pas été clairement déterminés, on ne saura pas quels en seraient les impératifs stratégiques». Notre interlocuteur interroge si l'Algérie a choisi d'être «un pays-tampon, un leader de la région, ou un pays qui s'enferme sur lui-même». L'histoire retiendra que ce n'est pas la première fois que le Mali fait faux bond à ses partenaires de la région et cède aux voix des sirènes françaises. Bamako avait déjà donné son accord à Paris pour lancer l'assaut contre les terroristes qui avaient en otage deux de ses ressortissants, dont un était un agent de ses services secrets. Les deux étaient morts durant l'opération de leur sauvetage. Même scénario en Somalie où Paris a attaqué, ces dernières 48h, les terroristes et a perdu ses otages.

L'Algérie a eu, à maintes reprises, à lancer des rappels à l'ordre à propos de ces trahisons, à partir du CEMOC (Commandement d'état-major opérationnel commun) dans lequel elle siège aux côtés du Mali, de la Mauritanie et du Niger.

Ces «pays du champ» ont toujours manqué terriblement de coordination entre eux y compris pour ce qui est du fonctionnement de l'UFL (Unité de fusion et de liaison), mécanisme de renseignement pour le compte du CEMOC. Les deux entités ont été pratiquement mises en veilleuse, notamment depuis le coup d'Etat opéré au Mali en mai dernier. Reste à savoir si elles doivent être dissoutes ou profondément restructurées.

Mise devant le fait accompli, l'Algérie se retrouve aujourd'hui contrainte à repenser sa stratégie sécuritaire pour la préservation de ses frontières et de son immense désert. Il faut croire qu'elle devra se passer de son alliance avec les autorités actuelles du Mali même si elle faisait recevoir hier leur 1er ministre par son plus haut niveau de gouvernants.

Que son hôte ait rendu compte de la situation ou qu'il ait demandé de la compréhension et de l'aide, un nouvel agenda s'impose désormais à elle.