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La musique, ce sortilège charmeur

par Farouk Zahi

Le musée national Nasr Eddine Dinet de Bou Saâda a fait coïncider, en mai 2009, son panorama photographique intitulé «Un siècle d'exposition» avec la production de l'orchestre symphonique national.

Créée en 2001 sous la houlette du musicien Abdelkader Bouazara, cette formation musicale à laquelle s'est jointe la chorale « Nagham » de Rabah Kadem, est sans doute l'une des fiertés lyriques nationales. Le recours à des professionnels tels que Mokhtar Boujelida et Abdelkader Houti deuxièmes violons et chefs d'orchestre, Véra Ait Tahar, premier violon, n'a pas empêché de jeunes talents d'intégrer le groupe qui tourne actuellement autour de 80 musiciens et choristes. Les échanges avec des orchestres extranationaux ont donné le « la » à une expérience des plus riches. C'est ainsi que la première production orchestrale, dirigée par un jeune maestro égyptien a été donnée à Mostaganem. En droite ligne avec les objectifs du département de la Culture, la halte cette fois- ci a été prévue le jeudi 14 mai 2009 à Bou Saâda. Le fief de Dhiab El Hilali pouvait ainsi accueillir et apprécier des œuvres musicales universelles. La manifestation culturelle du jeudi s'est déroulée à l'Institut des techniques hôtelières et de tourisme (ITHT) jouxtant l'hôtel « Le Caid ». Qui mieux que ce lieu mythique, où l'on devine la patte du célébrissime Pouillon, pouvait recevoir une telle rencontre. Aux abords immédiats de la palmeraie, le site architectural fait de dômes et d'arceaux où le blanc et le vert se marient à merveille, vibrera le temps d'une soirée vernale sous les sons de la clarinette et du hautbois. Le décor oasien et les jardins inondés par un soleil printanier en déclin, rappellent quelque peu le verdoiement de l'Andalousie perdue. Le ciel flamboyant pré crépusculaire participe à la féerie annoncée.

Dès 18 heures les galeries d'exposition s'avèrent exigues, le salon déjà bondé de convives écoute religieusement un ou deux chantres de la poésie bédouine, manière de mettre l'assistance dans le bain. Dès 19 heures l'auditorium est déjà comble. Perspicace de l'affluence, l'administration des lieux a du ajouter une centaine de sièges supplémentaires. Les enfants, en grand nombre, ont eu droit à une sorte de « poulailler » longeant l'une des coursives latérales. Encadrés par des adultes, ils furent bien sages et attentifs. Les jeunes filles et les dames voilées pour la plupart, dont certaines en « melhefa » (voile local), étaient en bonne place ; elles occupaient toute l'aile droite de la salle. Qui a dit que la femme est cloîtrée dans son antre ménager ?

Le maire entouré de quelques membres de l'Assemblée populaire, tenant à assister à l'événement depuis le début, ne quittait les lieux qu'après la gratification de l'orchestre par une copie des « Danseuses » de Dinet et des présents offerts par la population de la ville, à chacun des membres de l'orchestre. A l'heure indiquée, soit 19h 30, les membres de l'orchestre firent leur entrée sous un tonnerre d'applaudissements. Le brouhaha qui s'en suivit s'estompa peu à peu pour laisser place, à un silence religieux à l'endroit des musiciens en attente du maestro. D'un pas pesant, Rachid Saouli en queue de pie sombre et noeud papillon blanc, fit son entrée avec la solennité d'usage ; les membres de l'orchestre et le public debout, lui faisaient une ovation digne des grands maîtres. Une partie du public connaissait le chef d'orchestre pour l'avoir apprécié, lors d'une production au printemps de 2007 à l'Institut national spécialisé de la formation professionnelle. Dès le premier coup de baguette sur le pupitre, la salle archicomble se mue magiquement en carpe. Et c'est en prélude qu'est jouée « Lunga » dans le mode nahaouand de Salim Dada suivie de « El Hamdou Lilah » de Hadj M'hamed El Anka, « Ya Raih » de Dahman El Harrachi et de « Ya El Ouarka » de Mahboub Bati. L'auditoire se surprend à fredonner avec la chorale ces airs du répertoire national. Connaisseur, il applaudit là où il faut. Même les enfants qu'on craignait, au tout début, savaient se taire quand il le fallait. Les chuchotements et les rires étouffés s'estompaient dès que le premier son instrumental fusait. L'exécution de morceaux de la suite n°1 de Carmen de Georges Bizet mis « le feu aux poudres » et fit lever la salle qui ovationna le maestro pendant plusieurs minutes. L'orchestre rendit la pareille en faisant de même. Les sons du cor, des trompettes et de la cymbale faisaient trembler les structures du bâtiment qui n'a sans doute, jamais vibré sous un tel flot de décibels. Le public ravi, en redemandait. Les élèves hôteliers dont certains en tenue de cuisine et toque sur la tête, s'agglutinaient sur les trois accès faute de sièges.

Le summum de la symbiose a, sans nul doute, été atteint, lorsque Abdelkader Houti, debout dans un magistral solo, fit sortir de son violon une longue complainte de flûte (gasba) en prélude à « Hizia » immortalisée par la romanesque épopée amoureuse de Benguitoun. Des you you inattendus vinrent ajouter du piment à l'allégresse exprimée par les applaudissements ; l'assistance se pâmait d'aise. La joie des membres de l'orchestre s'exprimait par les saluts en direction du public. En guise de conclusion à cette communion, le maestro Saouli offrait coup sur coup « le Trouvère », « Zangarella » de Giuseppe Verdi et « Carménia Burana » de Karl Orff. Et là, on a pu apprécier toute la puissance vocale du chœur constitué de jeunes sopranos, ténors, altos et basses. Le public, en fin connaisseur, a tenu à rendre un hommage marqué à ces femmes et à ces hommes qui pendant un moment, lui ont procuré un indicible bonheur. Le génie de Bouazara et de Saouli réside certainement dans le fait d'avoir trouvé la voie qui mène du répertoire traditionnel, au répertoire universel, sans préalable de stratification sociale. Ils ont réussi un pari des plus périlleux et des moins gratifiants.