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Une spécificité française : l'exil fiscal

par Michel Fourriques *

L'exil fiscal est un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur selon les fiscalistes, les banquiers et les conseillers en gestion de patrimoine, pour ceux qui veulent échapper au relèvement de la fiscalité entamé à partir de 2010. Ce mouvement se serait, selon les spécialistes, accéléré depuis le retour de la gauche au pouvoir.

Ces départs de chef d'entreprise et d'artistes qui fuient l'impôt français nuisent à la démocratie et la solidarité. En effet, ils pénalisent la collectivité en fondant leur action sur la maximisation de leur intérêt. Mais peut-on leur reprocher ?

Le sentiment d'injustice des français provient du décalage entre le sort d'une élite mondialisée, capable de contourner les règles du jeu national, et le sort commun.

On assiste, de fait, à une « révolte des élites » au sens de Christopher Lasch, sociologue américain, et à la « sécession des riches » (Cf., T. Pesch, Le Temps des riches, anatomie d'une sécession, éd. Seuil, 2011) qui « votent avec leurs pieds ».

MOTIVATIONS DES EXILES FISCAUX

Les différentes mesures votées dans les lois de finances qui se sont succèdées depuis le 1er janvier 2012 ont changé la donne : relèvement de la tranche maximal de l'IR à 45 %, taxation des revenus à 75 % au-delà d'un million d'euros (1000 personnes concernées selon Bercy). Pour d'autres, les foyers concernés par ce nouvel impôt seraient entre 15.000 et 25.000, dont moins de 5.000 gagnant plus de 3 millions d'euros), alignement de la fiscalité des capitaux sur la fiscalité des revenus, retour à l'ancien barème de L'Impôt sur la Fortune (ISF).

L'élément déclencheur du passage à l'acte a été en réalité le relèvement de l'ISF avec une tranche maximale à 1,8 %.

Gilles Carrez, président de la commission des finances à l'assemblée nationale parle de la France comme étant une zone de « sur-pression fiscale ».

D'après une étude de KPMG, la France se situe dans la moyenne européenne avec une tranche marginale à 45 %. L'Europe de l'Ouest est la région du monde où les hauts revenus sont le plus lourdement taxés, avec une tranche marginale moyenne à 46,1 % contre 16,7 % en Europe de l'Est, et 31,7 % en Europe du Sud.

Le choix de durcir la fiscalité sur les hauts revenus, pour réduire le déficit, est resté limité à un petit nombre d'Etats. Le seul autre pays européen ayant choisi de le faire cette année est l'Espagne qui a instauré une « taxe complémentaire » faisant notamment passer l'imposition pour les revenus de plus de 300 000 euros de 45 % à 52 %. A l'inverse, d'autres

choisissent de réduire le taux de la tranche marginale, comme le Royaume-Uni, qui va ramener sa taxe de 50 % à 45 % en avril 2013. Ce taux marginal atteint 20 % à Singapour, et 15 % à Hong Kong. La France est donc devenu le pays taxant le plus les très hauts revenus.

En France, le poids total des prélèvements obligatoires (impôts + cotisations sociales) représente 44 % du PIB, contre 34 % pour le reste de l'OCDE.

De plus, la fiscalité des pays proches est attractive et les voisins pratiques la concurrence fiscale compte tenu du fait qu'il n'existe aucune harmonisation fiscale en matière d'IR au sein de l'UE. Ainsi, notre taux d'imposition sur les valeurs mobilières est à peu près le double de celui de l'Allemagne.

LE CAS PARTICULIER DE L'ISF

Deux fois plus d'exilés en 10 ans d'après la deuxième étude sur l'expatriation fiscale menée par le syndicat Solidaires-finances publiques. 717 assujettis à l'ISF ont quitté la France en 2010, contre 384 en 2001. Au final, la proportion des départs chez les contribuables fortunés, au sens de l'ISF (600 000 personnes en 2010), reste donc stable, à un niveau faible, qui s'élève à 0,12 % en 2010.

Pour l'ISF, l'administration fiscale le situe autour de 843 redevables par an partant avec 2,8 milliards de patrimoine, un chiffre à rapporter aux 517 000 redevables de cet impôt (en 2007).

Ce chiffre est toutefois incomplet car il ne prend en compte que les contribuables payant déjà l'ISF, ce qui exclut par exemple le cas classique du chef d'entreprise bénéficiant de l'exonération au titre de bien professionnel et qui quitte le pays en vendant sa société.

C'est en réalité un mystère sur lequel les plus sérieux spécialistes se cassent régulièrement les dents. Face à cette opacité, le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale a fait voter un amendement pour obliger le gouvernement à remettre chaque année un rapport faisant le point sur la question. Celui-ci, qui n'avait pas été retenu par la commission des Finances, a finalement été adopté par l'Assemblée nationale, le 7 décembre dernier.

L'INSTABILITE FISCALE

Est dénoncée également l'instabilité fiscale. Il s'agit de modifications de législation qui ont pour conséquence de bouleverser les prévisions fiscales des contribuables. Les changements incessants des règles rendent impossible toute détermination d'une stratégie patrimoniale de long terme. Il y a aussi, bien entendu, les lois fiscales rétroactives.

PROFIL DU CANDIDAT A L'EXIL

A partir de 7 ou 8 millions d'euros de patrimoine, contre 30 à 40 auparavant.

Les exilés fiscaux sont aussi plus nombreux parmi les quadra, même si la moyenne tourne toujours autour de 55-60 ans.

Il y a les patrons, mais aussi les cadres dirigeants des grandes entreprises. De ce fait, les exilés fiscaux seraient au nombre de 4 000 à 5 000.

LES DESTINATIONS DE DELOCALISATION

Elles sont différentes selon la situation professionnelle des exilés. Les retraités privilégient la Suisse et ses doux forfaits fiscaux, l'Italie et le Maroc.

Les actifs, la Belgique, et les entreprises la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.

Pour échapper à l'ISF, la liste des principales destinations choisies par les candidats au départ est la suivante : la Suisse (16 %), la Belgique et le Royaume-Uni (12 %), puis les Etats-Unis (9 %).

La Suisse est l'eldorado des artistes et des sportifs. Elle propose, notamment, un forfait fiscal réservé aux étrangers. Ce dernier est calculé sur la base du train de vie (sept fois la valeur locative de la résidence). Ainsi, Johnny Hallyday, qui réside à Gstaad, n'aurait payé en 2011 que 583 000 euros d'impôts, alors qu'il aurait gagné l'équivalent de 5 millions d'euros.

La Belgique pour les gros patrimoines car l'impôt sur la fortune n'existe pas et la fiscalité sur les successions est allégée ; tout comme les plus-values immobilières et mobilières.

Les chefs d'entreprise préfèrent s'exiler au Royaume- Uni. Les formalités de création d'entreprise y sont très souples et les impôts légers. Il y a moins de charges sociales et pas de taxation sur le capital.

LE FISC VEILLE

Depuis deux ans, le fisc enregistre de plus en plus de redressements pour fausse domiciliation à l'étranger. Au total, les redressements opérés par Bercy ont pratiquement doublé : ils seraient passés de 40 millions d'euros en 2009 à 80 millions d'euros en 2011. Alors que le nombre de contribuables redressés a diminué, passant de 205 en 2009 à 177 en 2011. Soit un redressement moyen de 450 000 euros.

* Enseignant Chercheur associé au CHERPA Sciences Po Aix (France) Professeur à l'ESAA (Algérie)